3.3.3 Indépendance d'esprit

3:56 Une distinction peut être établie entre (i) l'indépendance d'esprit et (ii) l'indépendance « formelle » telle que visée dans les lois de contrôle visées dans le présent chapitre sous la définition d’administrateur indépendant. 

3:57 En ce qui concerne la première notion (indépendance d’esprit), toute personne qui exerce une fonction d’administrateur, de dirigeant effectif ou de responsable de fonction de contrôle indépendante doit pouvoir décider en conscience, en toute objectivité et de manière indépendante, dans l'intérêt de l'établissement et de ses parties prenantes, après avoir soigneusement soupesé toutes les informations et opinions disponibles, et indépendamment de toute influence extérieure. 

3:58 En ce qui concerne l'indépendance formelle, il convient de se référer aux critères énoncés dans les lois de contrôle (article 3, 83° pour la loi bancaire). Ces critères renvoient aux critères énoncés au § 89 des orientations EBA/GL/2021/06. Il s’agit d’une qualification attribuée à certains administrateurs non-exécutifs qui ont pour missions de représenter l’ensemble des parties prenantes / stakeholders de l’établissement et de surveiller le management notamment en participant aux comités spécialisés de l’organe légal d’administration [1].

3.3.3.1 Indépendance d’esprit et conflits d’intérêts

3:59 Les administrateurs, dirigeants effectifs et responsables d’une fonction de contrôle indépendante doivent être capables de prendre leurs propres décisions de manière saine, objective et indépendante. L’indépendance d'esprit ressort du caractère et du comportement de la personne concernée et peut être affectée par des conflits d'intérêts.

3:60 Ainsi, l’établissement doit évaluer si la personne concernée par le contrôle d’aptitude:

  1. possède les aptitudes comportementales nécessaires, et notamment:
    1. le courage, la conviction et la force d’évaluer et de remettre en cause efficacement les propositions de décisions qui lui sont soumises;
    2. la capacité de poser des questions et d’exprimer des opinions divergentes; et
    3. la capacité de ne pas céder à la pensée de groupe;
  2. est susceptible d’être confrontée à des conflits d’intérêts qui pourraient porter atteinte à sa capacité d’exercer sa fonction avec l’indépendance d’esprit et l’objectivité nécessaire.

3:61 Tenant compte du risque de conflits d’intérêts, la loi bancaire exige que l’organe légal d’administration mette en place des mécanismes de gouvernance visant à prévenir les conflits d'intérêts. Il est renvoyé à cet égard à l’article 62, §§ 2 et suifvants de la loi bancaire concernant l'exercice de fonctions extérieures[2] et à l’article 72 concernant les prêts, crédits et garanties aux dirigeants, actionnaires et personnes apparentées[3]

3:62 Les orientations EBA/GL/2021/06 précisent que les situations suivantes sont susceptibles de générer des conflits d’intérêts avérés ou potentiels et doivent au moins être prises en considération[4]:

  1. les intérêts économiques (par exemple, actions, autres droits de propriété, participations et autres intérêts économiques détenus dans des contreparties de l’établissement, droits de propriété intellectuelle, prêts octroyés par l’établissement à une société appartenant ou contrôlée par des membres de l’organe légal d’administration);
  2. les relations personnelles ou professionnelles avec les détenteurs de participations qualifiées dans l’établissement;
  3. les relations personnelles ou professionnelles avec le personnel de l’établissement ou d’entités entrant dans le périmètre de consolidation prudentielle (par exemple, relations familiales étroites);
  4. les autres emplois et les postes précédents occupés récemment (par exemple, au cours des cinq dernières années);
  5. les relations personnelles ou professionnelles avec des parties prenantes externes pertinentes (par exemple, le fait d’être associé à des fournisseurs, des consultants ou d’autres prestataires de services significatifs);
  6. la participation à un organe ou la propriété d’une entité ayant des intérêts divergents; et
  7. l’influence politique ou les relations politiques.

3:63 Dans le même ordre d’idée, les conflits d’intérêts peuvent aussi être classés en 4 types: (i) les conflits d’intérêts personnels, (ii) professionnels, (iii) financiers et (iv) politiques.

3:64 L’établissement doit identifier dans le chef de la personne concernée les conflits d’intérêts avérés ou potentiels auxquels elle peut être confrontée, conformément à leur politique en la matière, et en évaluer le caractère significatif ou non.

3:65 S’agissant du caractère significatif d’un conflit d’intérêts, il est renvoyé aux orientations EBA/GL/2021/06 et à l’article 72 de la loi bancaire en ce qui concerne les conflits d’intérêts pouvant ressortir de prêts, crédit et garanties octroyés aux membres de l’organe légal d’administration et à leurs personnes apparentées [5].

3:66 Tous les conflits d’intérêts, avérés ou potentiels, significatifs ou non, au niveau de l’organe légal d’administration, de la direction effective ou d’un responsable de fonction de contrôle indépendante doivent être discutés, documentés, tranchés de manière adéquate et dûment gérés par l’organe compétent[6] (c’est-à-dire que les mesures nécessaires doivent être prises). Les personnes concernées doivent s’abstenir de voter sur des sujets qui les placent en situation de conflits d’intérêts.

3:67 Lorsqu’un conflit d’intérêts significatif est identifié, l’établissement doit (i) procéder à une évaluation détaillée de la situation; (ii) décider des mesures d'atténuation qu'elle prendra sur la base de sa politique interne en matière de conflits d'intérêts; et (iii) décider des mesures qu'elle prendra pour prévenir le conflit d'intérêts, si elle ne peut pas atténuer ou gérer le conflit d'intérêts de manière adéquate. 

3:68 Les établissement doivent informer la BNB de tout conflit d’intérêts, avéré ou potentiel, significatif ou non, qui pourrait avoir une incidence sur l’indépendance d’esprit d’un membre de l’organe légal d’administration, d’un dirigeant effectif ou d’un responsable de fonction de contrôle indépendante, ainsi que des mesures atténuantes ou préventives prises par l’établissement (« conflict of interests statement »):

  • Si le conflit d’intérêts a été jugé non-significatif, l’établissement doit, dans le cadre de l’évaluation d’aptitude, expliquer pourquoi ce conflit d’intérêts a été jugée non-significatif;
  • Si le conflit d’intérêts a été jugé significatif, l’établissement doit communiquer à la BNB au moins les informations suivantes: (i) une description du conflit d’intérêts identifié, (ii) une description de l’évaluation réalisée au sein de l’établissement, (iii) la conclusion de l’établissement quant aux mesures d’atténuation ou de prévention prises et (iv) la motivation du caractère adéquat de ces mesures.

3:69 Pour plus d’informations concernant les conflits d’intérêts, il est renvoyé aux orientations EBA/GL/2021/06.

3.3.3.2 Indépendance d’esprit versus indépendance formelle

3:70 Comme indiqué ci-dessus, l’indépendance d’esprit ne doit pas être confondue avec la notion d’indépendance formelle au sens de l’article 3, 83° de la loi bancaire et d’autres lois de contrôle. Un administrateur indépendant au sens formel est un administrateur non-exécutif qui n’a pas de lien avec l’actionnaire et qui représente les intérêts de l’ensemble des stakeholders de l’établissement. Les lois de contrôle prévoient généralement la présence d’un ou plusieurs administrateurs indépendants dans les comités spécialisés de l’organe légal d’administration[7].

3:71 La notion d’indépendance est définie dans les lois de contrôle (cf. par exemple l’article 3, 83° de la loi bancaire). Celles-ci énoncent une liste de critères à respecter pour être considéré comme indépendant au sens formel. L’établissement a néanmoins aussi la possibilité de faire valoir auprès de BNB que, bien que tous les critères n'aient pas été remplis, l'indépendance de la personne concernée n'est pas compromise (« explain », en application du principe « comply or explain »)[8].

3:72 Dans la pratique, les décisions de la BNB concernant, d’une part, l’aptitude de la personne concernée, et d’autre part, le respect ou la justification de non-respect des critères d’indépendance défini dans la loi de contrôle seront généralement prises de manière concomitante. Néanmoins, il n’est pas exclu que ces deux décisions soient dissociées dans la mesure où la question de l’indépendance concerne également le processus de surveillance permanente de la gouvernance.

[1] Pour ce qui concerne les dépositaires centraux de titres, même si le Règlement (UE) n° 909/2014 (CSDR) ne contient pas de règle spécifique en ce qui concerne l’indépendance formelle des administrateurs, il est recommandé qu’ils se réfèrent aux informations publiées par l’ESMA en la matière (y compris les Q&A) et qu’ils précisent, dans leur mémorandum de gouvernance, la manière dont ces critères sont concrètement mis en œuvre.

[2] Voir également l’arrêté royal du 8 février 2022 portant approbation du règlement de la Banque nationale de Belgique du 9 novembre 2021 concernant l’exercice de fonctions extérieures par les dirigeants et responsables de fonctions de contrôle indépendantes d’entreprises réglementées et la Communication NBB_2022_19 sur ce sujet.

[3] Voir également la circulaire NBB_2017_21 à ce sujet.

[4] En ce qui concerne les dépositaires centraux, même si le Règlement (UE) n° 909/2014 (CSDR) ne prévoit pas de définition spécifique de la notion de conflits d’intérêts, il convient de se référer aux exigences reprises en la matière dans le ESMA RTS 2017/392.

[5] Conformément à l’article 72 de la loi bancaire, seuls les prêts crédits et garanties qui dépassent le seuil de 500.000 euros doivent être considérés comme significatifs. Pour plus d’informations, il est renvoyé à la circulaire NBB_2017_21. 

[6] L’organe compétent pour gérer les conflits d’intérêts est (i) le comité de direction pour les dirigeants effectifs (à défaut de comité de direction, par l’organe légal d’administration) et (ii) l’organe légal d’administration pour les administrateurs non exécutifs et les responsables de fonctions de contrôle indépendantes.

[7] Cf. notamment l’article 28 de la loi bancaire qui impose, lorsque l’établissement de crédit a l’obligation de constituer un comité d’audit, un comité des risques, un comité de rémunération et un comité de nomination, que chacun d’eux compte au moins un administrateur indépendant. Il est en outre imposé que la majorité des membres du comité d’audit soient indépendants.

[8] Dans ce cas, l’établissement transmet, ensemble avec le formulaire « fit & proper » de l’administrateur concerné, une demande de dérogation dans laquelle il justifie le bien-fondé de sa demande. L’acceptation ou non de cette demande de dérogation doit faire l’objet d’une décision de la BNB, dans le cadre la surveillance de la gouvernance.