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Les femmes au cœur du prix Nobel d’économie !

13 octobre 2023
Gender gap
Historiquement très masculin, le prix Nobel d’économie a cette année été décerné à l’économiste Claudia Goldin. Double reconnaissance pour la gent féminine, puisque ce prix récompense ses travaux éclairants sur la situation des femmes sur le marché du travail. Un sujet au cœur des questions socio-économiques depuis de nombreuses années et sur lequel la Banque s’est régulièrement penchée. Les recherches du Professeur Goldin ont notamment mis en lumière le rôle de la maternité dans les écarts salariaux entre les hommes et les femmes.
Claudia Goldin
Claudia Goldin

Pour la petite histoire, Claudia Goldin est née en 1946 à New York. Elle a d’abord rêvé de devenir archéologue, puis microbiologiste, avant de découvrir l’économie sous la houlette du professeur Alfred E. Kahn à l’université de Cornell. En 1972, elle obtient son doctorat en économie de l’université de Chicago et en 1990, elle est la première femme à obtenir un poste de professeur titulaire au département d’économie de l’université d’Harvard.

Les recherches qu'elle a menées au cours de sa longue carrière ont porté sur une grande variété de sujets, de l'esclavage à l’éducation en passant par la Grande Dépression ou encore la régulation. Ce sont toutefois ses travaux sur les femmes dans l'économie américaine qui ont fait sa renommée et qui, aujourd’hui, lui valent de recevoir le prix Nobel[1]. Elle devient ainsi la troisième femme à recevoir la plus haute distinction en sciences économiques, après Elinor Ostrom en 2009 et Esther Duflo en 2019, et la première à ne pas la partager avec un homme. Ses publications dénotent à la fois par leur caractère novateur et par une approche multidisciplinaire faisant intervenir l’économie, l’histoire, la sociologie, la politique et les développements technologiques.

It’s not the economy!

Dans son premier ouvrage, paru en 1990, « Understanding the Gender Gap : An Economic History of American Women », Claudia Goldin retrace l'évolution de l'emploi féminin aux États-Unis sur une période de deux siècles. Elle montre que la participation des femmes à l'emploi rémunéré n’est pas directement liée au cycle économique comme d’aucuns le pensaient, mais dépend de facteurs plus structurels :

  • la législation ;
  • le niveau d’éducation et le choix d’orientation des études ;
  • la modification des attentes et des normes sociétales ; et
  • le développement des moyens de contraceptions.
La participation des femmes à l'emploi rémunéré n’est pas directement liée au cycle économique comme d’aucuns le pensaient, mais dépend de facteurs plus structurels.

Elle montre également que les femmes ont davantage travaillé que ce qui ressort des statistiques officielles. Enregistrées comme « épouse », de nombreuses femmes mariées en emploi ne sont pas comptabilisées dans les données d’emploi. Sur cette base, Goldin recalcule l’emploi des femmes et identifie une évolution en U. Dans la société agricole de la fin du XVIIIème siècle, la proportion de femmes mariées exerçant un travail rémunéré atteignait 60% aux États-Unis. L’industrialisation a cependant changé la donne au cours du XIXème siècle, en rendant notamment plus compliqué le travail à domicile, et le taux d’emploi des femmes est tombé à 10% au début des années 1900. Au XXème siècle, et certainement depuis l’après-guerre, les possibilités pour les femmes de travailler se sont à nouveau progressivement accrues, mais le déséquilibre des genres en matière d’emploi est demeuré substantiel.

La maternité creuse l’écart de rémunération

Le Professeur Goldin s’est également intéressé de près aux différences salariales entre les hommes et les femmes. Sur la base de données américaines, elle a montré que, à compétences égales, les différences salariales étaient très faibles en début de carrière, et que les écarts demeuraient contenus au cours des premières années en emploi. Les choses changeaient toutefois sensiblement à l’arrivée du premier enfant.

Dans son dernier livre, publié en 2021, « Career and family », elle souligne que les différences salariales entre les diplômés du supérieur sont moins importantes aujourd’hui qu’elles ne l’ont été par le passé, mais qu’elles persistent bel et bien. Elles sont liées à l’existence de discriminations mais aussi, de manière plus insidieuse, à l’organisation de la société dans laquelle les femmes, plus souvent que les hommes, s’occupent des enfants et du foyer. Les femmes sont typiquement pénalisées par l’existence de nombreux « emplois cupides »[2], des emplois très demandant dont le salaire horaire croît avec le nombre ou le type d’heures prestées (soirée, week-end, vacances), précisément car elles prennent la responsabilité de la famille.

Les femmes sont typiquement pénalisées par l’existence de nombreux « emplois cupides », des emplois très demandant dont le salaire horaire croît avec le nombre ou le type d’heures prestées (soirée, week-end, vacances), précisément car elles prennent la responsabilité de la famille.
Graphique : L’écart salarial s’accroît avec l’arrivée du premier enfant
L’écart salarial s’accroît avec l’arrivée du premier enfant - Source : www.nobelprize.org

En Belgique aussi

Si la Belgique se démarque par un écart salarial de genre parmi les plus faibles des pays de l’OCDE, la participation des femmes au marché du travail continue d’être un défi dans notre pays. Depuis plusieurs années, la BNB s’intéresse à cette question et divers travaux ont vu le jour. Un article paru en 2021 (Nautet & Piton) montre notamment qu’en Belgique, aussi, quitter son emploi ou réduire son temps de travail suite à la naissance d’un premier enfant est une décision essentiellement féminine. Ces choix, volontaires ou subis, ont par la suite des implications non négligeables sur les évolutions de carrière.

Si la Belgique se démarque par un écart salarial de genre parmi les plus faibles des pays de l’OCDE, la participation des femmes au marché du travail continue d’être un défi dans notre pays. Depuis plusieurs années, la BNB s’intéresse à cette question et divers travaux ont vu le jour.

L’analyse de ces questions est d’autant plus importante que la Belgique s’est fixée comme objectif de réduire l’écart de genre en matière de taux d’emploi de moitié à l’horizon 2030. Dans ce contexte, les économistes de la BNB ont analysé en profondeur les facteurs derrière la plus faible participation des femmes au marché du travail (Conseil Supérieur de l'emploi, 2023). Plusieurs recommandations ont été formulées afin d’améliorer la situation :

  1. instaurer un congé parental partagé équitablement entre la mère et le père afin d’assurer une meilleure répartition des tâches familiales non rémunérées entre les deux parents ;
  2. améliorer le système de garde d’enfants ;
  3. repenser l’organisation des journées d’école afin d’occuper les enfants de manière qualitative jusqu’à la fin de la journée de travail des parents ; et
  4. favoriser la transparence en matière de rémunération ainsi qu’au niveau des critères d’engagement et de promotion.

Un signal fort

L’attribution du Nobel d’économie 2023 à Claudia Goldin est un signal fort. Il démontre en particulier l’importance de comprendre les facteurs qui influencent la participation des femmes au marché du travail, et la nécessité d’en tenir compte au sein des politiques qui sont mises en œuvre. Renforcer l’égalité entre les genres passera aussi par un partage plus équitable des tâches domestiques, et notamment celles liées aux enfants.

Grâce aux travaux de Goldin, les questions d’équité, notamment de genre, ont gagné en importance pour des institutions responsables de la stabilité macroéconomique comme la BNB. Son Nobel est un bel encouragement à poursuivre le travail.  

 

[1] Officiellement : « prix de sciences économiques de la Banque de Suède en mémoire d'Alfred Nobel.

[2] “Greedy jobs” selon l’expression utilisée par Claudia Goldin.

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