Analyse des faits et opérations atypiques: commentaires et recommandations de la BNB

Lorsque les mécanismes de vigilance à l’égard des opérations et relations d’affaires mis en œuvre génèrent le signalement d’un fait ou d’une opération atypique, il est attendu de l’institution financière qu’elle procède dans un premier temps à une préanalyse dudit signalement en vue de s’assurer de son bienfondé (cf. point 1 ci-dessous). Les institutions financières doivent en outre se doter d’un dispositif d’analyse des faits ou opérations dont le caractère atypique est ainsi confirmé afin d’établir, le cas échéant sur la base d’une gamme élargie d’informations si l’institution financière doit considérer qu’elle « sait, soupçonne ou a des motifs raisonnables de soupçonner » que les fonds, l’opération ou le fait sont liés au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme (cf. point 2 ci-dessous). Le dispositif de préanalyse et d’analyse des faits et opérations atypiques doit également faire l’objet de mesures de contrôle interne (cf. point 3 ci-dessous).

1. La préanalyse des signalements générés par le dispositif de détection des faits et opérations atypiques

Comme explicité à la page « Vigilance à l’égard des relations d’affaires et des opérations occasionnelles et détection des faits et opérations atypiques », le dispositif de détection des faits et opérations atypiques repose sur 2 éléments : (i) un processus de détection par les personnes en contact direct avec les clients ou chargés de leurs opérations et (ii) un système de surveillance automatisé complémentaire.

Lorsque cela apparaît indiqué au regard des caractéristiques du signalement, compte tenu notamment de la complexité de l’opération ou du fait concerné, du nombre d’intervenants, des montants en jeu, etc., ou en raison de doutes sérieux quant à la validité des informations sur lesquelles le signalement se fonde, la Banque recommande de procéder à une préanalyse en vue de vérifier que les informations directement disponibles ne contredisent pas le caractère atypique du fait ou de l’opération signalée. Il s’agit donc d’une première appréciation des circonstances sous-jacentes à l’opération ayant conduit  au signalement, dans le but de s’assurer qu’il est pertinent.

En règle générale, la BNB recommande que cette tâche de préanalyse soit remplie par l’AMLCO ou un membre de son équipe.  Néanmoins, pour des raisons notamment de proportionnalité, la BNB autorise que cette tâche soit effectuée par un « correspondant AML » localisé dans un autre service pour autant que celui-ci fasse l’objet d’un double rattachement hiérarchique, à l’égard de l’AMLCO ou du responsable de la fonction Compliance, pour ce qui concerne ses tâches en matière de préanalyse des signalements, d’une part, et d’un autre département opérationnel pour ce qui concerne ses autres tâches et fonctions, d’autre part.  Dans tous les cas, les personnes qui effectuent la préanalyse des signalements doivent recevoir leurs instructions en la matière de l’AMLCO sous le contrôle de qui elles remplissent ces tâches. Elles doivent disposer d’une expérience, d’une qualification, et d’une formation adéquate en matière LBC/FTP et avoir accès aux informations nécessaires à l’exercice de leurs missions.  En outre, il est attendu des institutions financières qu’elles s’assurent que la ou les personnes qui effectuent cette préanalyse disposent des moyens humains et techniques suffisants pour procéder à cette validation des signalements. L’insuffisance des moyens alloués à cette tâche peut en effet générer l’impossibilité d’analyser les signalements générés dans de brefs délais et des retards dommageables de soumission des signalements validés à l’analyse de l’AMLCO, ou, inversement, conduire à la communication d’un nombre excessif de dossiers à l’AMLCO, incluant des dossiers fondés sur des informations inexactes et réduisant l’efficacité de la fonction d’analyse au fond de ce dernier. 

La préanalyse, par l’examen des informations directement disponibles sur le contexte des faits ou des opérations ayant conduit au signalement, peut conduire soit à un classement sans suite dûment justifié s’il s’agit d’une ‘fausse alerte’, soit à la communication du dossier à l’AMLCO en vue que celui-ci réalise une analyse plus approfondie. Le résultat de cette préanalyse doit être documenté sur base d’une justification simple et si possible structurée (de type « fausse alerte car… » ou « Signalement nécessitant une analyse plus approfondie car… ») afin de pouvoir faire l’objet d’un contrôle a posteriori.

En cas de communication du dossier à l’AMLCO, la ou les personnes chargée(s) de cette préanalyse doivent coopérer pleinement et sans délai avec lui et l’aider à collecter, si nécessaire, le maximum d’informations disponibles concernant le client, le fait ou l’opération concernée ou leur contexte.

2. L’analyse des faits et opérations atypiques par l’AMLCO

2.1. Finalité de l’analyse – Détermination du soupçon de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme

Lorsque la pertinence du signalement est validé comme indiqué ci-dessus, il appartient à l’institution financière de veiller à ce que l’opération ou le fait atypique concerné fasse l’objet d’une analyse suffisamment approfondie, tenant compte également de son contexte, afin de déterminer si cette institution financière doit considérer qu’elle « sait, soupçonne ou a des motifs raisonnables de soupçonner » que les fonds, l’opération ou le fait concernés sont liés au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme.

La détermination du soupçon doit être le fruit d’une démarche intellectuelle et la conclusion d’une analyse étayée. Elle ne peut pas être menée par les seuls systèmes automatisés mais requiert une intervention humaine fondée sur l’analyse des faits et opérations atypiques et de leurs circonstances, pour décider si ces faits ou opérations atypiques sont suspects d’être liés BC/FT et doivent dès lors faire l’objet d’une déclaration à la CTIF ou, inversement, que leur analyse permet d’écarter de tels soupçons et doit donner lieu à un classement sans suite. 

Cette analyse doit être conduite en tenant pleinement compte de la définition légale du blanchiment de capitaux et de celle du financement de capitaux.

2.1.1 Soupçons de blanchiment de capitaux

A. Principes généraux

L’article 2 de la Loi anti-blanchiment définit le blanchiment de capitaux par l’énumération d’agissements (conversion, transfert, dissimulation, etc.) se rapportant à des fonds issus d’activités criminelles et visant essentiellement à échapper ou à permettre d’échapper aux conséquences juridiques des actes illicites commis.

Les activités criminelles sous-jacentes du blanchiment de capitaux sont nombreuses mais énoncées de manière limitative à l’article 4, 23° de la Loi anti-blanchiment comme étant « tout type de participation à la commission d’une infraction liée :

  1. au terrorisme ou au financement du terrorisme ;
  2. à la criminalité organisée ;
  3. au trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes ;
  4. au trafic illicite de biens, de marchandises et d’armes, en ce compris les mines anti-personnel et/ou les sous-munitions ;
  5. au trafic d’êtres humains ;
  6. à la traite des êtres humains ;
  7. à l’exploitation de la prostitution ;
  8. à l’utilisation illégale de substances à effet hormonal sur les animaux, ou au commerce illégal de telles substances ;
  9. au trafic illicite d’organes ou de tissus humains ;
  10. à la fraude au préjudice des intérêts financiers de l’Union européenne ;
  11. à la fraude fiscale grave, organisée ou non ;
  12. à la fraude sociale ;
  13. au détournement par des personnes exerçant une fonction publique et à la corruption ;
  14. à la criminalité environnementale grave ;
  15. à la contrefaçon de monnaie ou de billets de banque ;
  16. à la contrefaçon de biens ;
  17. à la piraterie ;
  18. à un délit boursier ;
  19. un appel public irrégulier à l’épargne ;
  20. à la fourniture de services bancaires, financiers, d’assurance ou de transferts de fonds, ou le commerce de devises, ou toute autre quelconque activité réglementée, sans disposer de l’agrément requis ou des conditions d’accès pour l’exercice de ces activités ;
  21. à une escroquerie ;
  22. à un abus de confiance ;
  23. à un abus de biens sociaux ;
  24. à une prise d’otages ;
  25. à un vol ;
  26. à une extorsion ;
  27. à l’état de faillite ;
  28. à une criminalité informatique. »

Il est toutefois observé que l’article 47, § 1er, alinéa 2, de la Loi anti-blanchiment précise qu’il n’appartient pas aux institutions financières de déterminer l’activité criminelle sous-jacente au blanchiment de capitaux soupçonné. Elles ne doivent a fortiori pas vérifier que les éléments constitutifs des infractions pénales visées sont réunis, ni en réunir des éléments de preuve. Il suffit dès lors que leur analyse des opérations et faits atypiques les conduise à savoir, à soupçonner ou à avoir des raisons de soupçonner que l’une quelconque des criminalités énumérées est concernée pour qu’elles soient tenues de qualifier de suspects le fait ou l’opération atypique considérée. Dans la majorité des cas, les déclarants ne sont en effet pas à même de connaître précisément l’activité criminelle sous-jacente au blanchiment de capitaux soupçonné.  C’est à la CTIF qu’il incombe de découvrir, par une analyse approfondie, le lien entre les fonds concernés, l’opération suspecte ou les faits dénoncés et l’une des formes de criminalité visées par la loi.  A cet égard, la CTIF joue le rôle de tri/filtre et d’enrichissement des déclarations qui lui sont adressées, permettant d’éviter que les services du parquet soient encombrés par des déclarations non pertinentes.  Ceci n’empêche nullement que les déclarants peuvent faire référence à l’une ou l’autre criminalité sous-jacente lorsqu’ils savent, soupçonnent ou ont un motif raisonnable de soupçonner que les fonds blanchis sont issus de l’une ou l’autre activité criminelle mentionnée à l’article 4, 23°, de la Loi anti-blanchiment.

Les termes « soupçonnent » ou « ont des motifs raisonnables de soupçonner », signifient que l’institution financière doit qualifier de suspects les fonds impliqués, l’opération concernée, ou le fait considéré si l’analyse des informations recueillies, conformément aux obligations de vigilance et en vue de l’analyse, l’amène à former une opinion de suspicion (« soupçonnent ») ou comprennent des éléments ne lui permettent pas raisonnablement d’écarter le doute (« ont des motifs raisonnables de soupçonner ») quant à la licéité de l’origine des sommes ou de l’opération ou quant à leur justification économique, juridique ou fiscale.

B. Cas particuliers de blanchiment de capitaux

§1er. Blanchiment de capitaux issus de la fraude fiscale grave, organisée ou non

Pour rappel, par application du principe énoncé à l’article 47, § 1er, alinéa 2, de la Loi anti-blanchiment, une institution financière doit qualifier de suspecte une opération atypique, dès lors que l’analyse de cette opération l’amène à considérer qu’elle sait, soupçonne ou a des motifs raisonnables de soupçonner que les fonds concernés ont une origine illicite pouvant consister dans l’une quelconque des criminalités énumérées par la loi, en ce compris la fraude fiscale grave, mais sans avoir à déterminer celle des criminalités qui est concernée (cf. supra).

La Banque considère dès lors qu’il y a lieu de qualifier de suspects les fonds et les opérations relatives à des fonds dont l’institution financière sait, soupçonne ou a des raisons de soupçonner qu’ils pourraient être le produit de la fraude fiscale, et ce dès lors qu’elle ne peut pas raisonnablement exclure, sur la base des informations en sa possession, qu’il s’agit d’une fraude fiscale grave. Le soupçon qu’il pourrait s’agir d’une fraude fiscale grave ou l’existence de motifs raisonnables de le soupçonner suffisent à qualifier l’opération de suspecte. Tel pourra notamment être le cas si le soupçon de fraude fiscale se combine, soit avec un montant élevé des fonds impliqués, ou un montant anormal eu égard aux activités ou à l’état de fortune du client, soit avec un soupçon de confection ou d’usage de faux document.

Ceci n’implique en revanche en aucune manière que l’institution financière dispose de la certitude ou dispose d’éléments probants du fait que la fraude fiscale suspectée remplit effectivement les conditions juridiques qui la qualifient de « grave, organisée ou non ».  Il reviendra à la CTIF, à laquelle cette opération suspecte doit être déclarée, de découvrir, par une analyse plus approfondie, s’il y a ou non une fraude fiscale grave sous-jacente.

Il est également souligné qu’afin de favoriser la détection d’opérations atypiques susceptibles d’être liées au blanchiment de capitaux issu de la fraude fiscale grave, l’article 39 de la Loi anti-blanchiment impose l’exercice d’une vigilance accrue lorsqu’une opération, une relation d’affaires ou des personnes intervenant dans celle-ci ont des liens quelconques avec un État à fiscalité inexistante ou peu élevée visé dans la liste fixée par arrêté royal conformément à l’article 307, § 1er/2, alinéa 3, du Code des Impôts sur les Revenus 1992. Il est renvoyé, à cet égard, à la page « Etats à fiscalité inexistante ou peu élevée ». 

Par ailleurs, il est renvoyé à la page « Vigilance à l’égard des relations d’affaires et des opérations occasionnelles et détection des faits et opérations atypiques » pour une liste d’indicateurs d’opérations atypiques pouvant être à la base d’une suspicion de fraude fiscale grave.

§2. Blanchiment de capitaux issus de la fraude sociale 

La Loi anti-blanchiment a ajouté à la liste des criminalités sous-jacentes la fraude sociale et la criminalité informatique. 

Sous la notion de fraude sociale, on retrouve par exemple le travail au noir, la perception indue d’allocations, le non-respect de la règlementation relative à l’occupation de la main d’œuvre étrangère, etc.

La BNB invite les institutions financières à consulter les rapports d’activités de la CTIF à ce sujet. 

§3. Blanchiment de capitaux issus de la criminalité informatique

Sous la notion de criminalité informatique, la Loi anti-blanchiment vise à couvrir les infractions ayant l’informatique pour cible, et vise donc les comportements dirigés contre un système informatique ou les données qu’il contient (par exemple, l’accès non autorisé à un système informatique ou hacking). Elle vise également les infractions pour la réalisation desquelles l’informatique n’est utilisée que comme outil (par exemple, la diffusion, par des réseaux informatiques, d’images pédophiles).

La BNB invite les institutions financières à consulter les rapports d’activités de la CTIF à ce sujet. 

2.1.2. Soupçons de financement du terrorisme

La BNB appelle tout particulièrement l’attention des institutions financière sur le fait que l’analyse des opérations et faits atypiques doit également permettre à l’institution financière de déterminer si elle se trouve en situation de considérer qu’elle « sait, soupçonne ou a des motifs raisonnables de soupçonner » que les fonds, l’opération ou le fait concernés sont liés au financement du terrorisme. Celui-ci est défini par l’article 3 de la loi anti-blanchiment comme l’action de réunir ou de fournir des fonds ou d’autres moyens matériels, par quelque moyen que ce soit, directement ou indirectement, avec l’intention qu’ils soient utilisés ou en sachant qu’ils seront utilisés, en tout ou en partie, par une organisation terroriste ou par un terroriste agissant seul, même en l’absence de lien avec un acte terroriste précis.

Les institutions financières doivent ainsi s’assurer de la cohérence entre l’origine et/ou la destination des fonds relatifs à une ou plusieurs opérations et les éléments de connaissance actualisée de la clientèle. Ils exercent une vigilance renforcée sur les transferts de fonds (virements et transmissions de fonds) en provenance ou à destination de zones géographiques considérées comme risquées en matière de terrorisme ou de financement du terrorisme ou sur les opérations effectuées dans ces zones.

Il est rappelé aux institutions financières la nécessité que leurs dispositifs de LBC/FT intègrent les risques liés aux pays/territoires de provenance ou de destination des fonds. Il leur incombe d’être attentives aux opérations effectuées par leur client dans des pays « sensibles », mais aussi à celles effectuées dans des pays, sans lien ou rapport, à leur connaissance, avec leur client, certains pays pouvant être utilisés comme pays de transit pour cacher le pays final de destination ou de provenance des fonds. Une attention particulière doit également être attachée aux schémas faisant apparaître qu’une même personne effectue sur une brève période des transferts multiples de fonds au profit de bénéficiaires localisés dans des zones géographiques à risque ou, inversément, qu’une même personne bénéficie d’un grand nombre de transferts de fonds initiés par des personnes différentes.

La vigilance s’exerce toutefois plus largement afin de pouvoir s’adapter à la nature évolutive du financement du terrorisme. En effet, l’actualité récente montre que des opérations sont réalisées dans tout pays sans lien identifié avec les zones de combat et sans rapport avec la connaissance de la relation d’affaires.

Les changements dans l’attitude d’un client ou dans le fonctionnement de la relation d’affaires sont également de nature à retenir l’attention.

2.1.3. Soupçons de financement de la prolifération des armes de destruction massive

L’analyse des opérations et faits atypique doit également viser à permettre aux institutions financières de se conformer aux dispositions de droit européen imposant des mesures restrictives à l’encontre de certains pays en vue de lutter contre la prolifération des armes de destruction massive et son financement, et en particulier à l’obligation d’informer la CTIF de toute opération impliquant des fonds à l’égard desquels il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’ils pourraient être liés au financement des activités ou programmes en rapport avec des armes de destruction massive.

La Banque estime qu’une analyse spécifique des opérations et faits atypiques est requise à cet égard dès lors que les caractéristiques des fonds, notamment leur origine et leur destination, la nature et les caractéristiques des opérations, ou les caractéristiques des personnes impliquées dans l’opération ou la relation d’affaires, en ce compris le client, ses mandataires ses bénéficiaires effectifs ou les contreparties des opérations présentent des liens avec les pays concernés ou des personnes ou entités connues pour leur implication dans la prolifération des armes de destruction massive.

L’attention est attirée sur le fait que, de même qu’en matière de lutte contre le BC ou le FT, il n’est nul besoin que l’institution financière dispose d’une certitude ou de preuves pour considérer qu’une opération ou des fonds peuvent être liés au financement de la prolifération des armes de destruction massive :  le fait qu’il existe des motifs raisonnables de le soupçonner suffit à cet égard.  

2.2. Responsabilités de l’AMLCO

L’analyse comme indiqué ci-dessus des faits et opérations atypiques détectés afin de déterminer s’il existe ou non un soupçon de BC/FT ou des motifs raisonnables de le suspecter, et s’il s’impose dès lors de déclarer le fait, les fonds ou l’opération concernée à la CTIF conformément aux articles 47 et suivants de la Loi anti-blanchiment, constitue une des responsabilités opérationnelles essentielles de l’AMLCO.

Afin de pouvoir assumer cette responsabilité, l’AMLCO doit disposer d’un accès aisé à toutes les informations détenues par l’institution financière qui sont pertinentes pour mener à bien son analyse.

Si la préanalyse décrite au point 1 ci-dessus consiste uniquement à valider les informations directement liées à l’opération ou au fait atypique, l’analyse à laquelle l’AMLCO doit procéder sur pied de l’article 45 de la Loi anti-blanchiment ne peut se limiter à cette seule validation.

Il est attendu que l’AMLCO analyse en profondeur l’ensemble des informations qui ont été récoltées dans le cadre du processus de détection des faits ou opérations atypiques et de la préanalyse de ceux-ci, c’est-à-dire (i) le contenu des signalements provenant, soit des personnes qui sont en contact direct avec les clients ou qui sont chargées de l’exécution de leurs opérations, soit du système de surveillance automatisé et (ii) l’ensemble des informations recueillies et documentées dans le cadre de la préanalyse.

Le plus fréquemment, ces premières informations sont en outre insuffisantes pour fonder la décision de considérer les fonds, l’opération ou le fait comme anodins ou, inversément, la décision de les qualifier de suspects. L’analyse de l’opération ou du fait atypique par l’AMLCO demande généralement d’aller plus loin en se fondant sur une gamme plus large d’informations permettant d’étayer la décision. La BNB attend dès lors de l’AMLCO qu’il élargisse de manière adéquate, en fonction des circonstances et des besoins, la gamme des informations sur lesquelles il fonde son analyse.

A cet effet, il lui appartient notamment de réunir, aux fins de son analyse, les informations disponibles au sein de l’institution financière concernant le client, son profil de risque, la relation d’affaires entretenue avec lui – en ce compris l’historique des opérations qu’il a effectuées sur une période suffisante, en fonction des circonstances –, et tout élément de contexte pertinent.  Il importe de souligner l’importance pour l’AMLCO d’être en mesure de rassembler l’ensemble des éléments d’information qui sont détenus par l’institution financière, quel que soit le service ou département de celle-ci qui les détient, et qui sont pertinents pour évaluer adéquatement le caractère suspect ou non de l’opération ou du fait atypique considéré.

En fonction des circonstances, cette analyse peut également nécessiter la réconciliation des opérations effectuées par le client concerné avec celles effectuées par d’autres clients avec lesquels il semble entretenir des relations financières.

Outre les recherches d’informations dans les bases de données internes de l’institution, visées ci-dessus, l’analyse des faits ou opérations concernées peut nécessiter de prendre des mesures complémentaires à celles déjà appliquées dans le cadre de la vigilance à l’égard des relations d’affaires et des opérations occasionnelles  (cf. articles 19 à 41 de la Loi anti-blanchiment). Ces mesures complémentaires peuvent notamment consister :

  • à demander des informations complémentaires ou des justificatifs au client lui-même ;
  • à actionner les procédures relatives au partage des informations au sein du groupe aux fins de la lutte contre le BC/FT (voir la rubrique « Organisation et contrôle interne au sein des groupes »), en vue d’obtenir, notamment, des informations détenues par d’autres entités du groupe concernant les opérations ou relations d’affaires du même client avec ces autres entités du groupe, leur connaissance de ce même client, voire, le cas échéant, leurs éventuelles suspicions à son égard ou les éventuelles déclarations d’opérations suspectes le concernant qu’elles auraient adressées à la cellule de renseignements financiers de leur pays d’établissement ;
  • à consulter des sources publiques d’informations, notamment sur internet,
  • etc.

Il convient d’attirer l’attention sur l’article 45 de la Loi anti-blanchiment qui prévoit que dans le cadre de cette analyse, l’AMLCO (ou les membres de son équipe agissant sous son autorité) doit examiner, dans la mesure du possible, le contexte et la finalité des opérations qui remplissent au moins une des conditions suivantes : lorsqu’il s’agit d’opérations (i) complexes, (ii) portant sur des montants anormalement élevés, (iii) qui s’inscrivent dans des schémas inhabituels ou (iv) qui n’ont pas d’objet économique ou licite apparent. 

S’agissant de l’examen de la finalité des opérations, les institutions financières cherchent à comprendre la réalisation d’un montage juridique, l’imbrication de sociétés ou des mouvements financiers croisés entre des personnes différentes, par exemple. L’institution procède à l’analyse sur la base de tous les éléments d’information à sa disposition ou auxquels il peut accéder (recherche du bénéficiaire effectif, objet des opérations en cause, fonctionnement des comptes…).

L’étendue des recherches et la profondeur de l’analyse peuvent être déterminées en fonction des caractéristiques et de l’importance des cas examinés, mais doivent être suffisantes pour éviter que des opérations ou des faits soient qualifiés de suspects sans tenir compte d’informations importantes qui étaient disponibles au sein de l’institution financière et qui étaient manifestement de nature à lever le soupçon ou, inversement, soient classés sans suite à défaut d’avoir tenu compte d’informations pourtant détenues, et qui, jointes à l’analyse, constitueraient des motifs raisonnables de suspecter un lien avec le BC ou le FT.

Dès lors que la décision de qualifier une opération ou un fait de suspect doit résulter d’une analyse telle que décrite ci-dessus, les institutions financières s’abstiennent de qualifier telles certaines opérations ou certains faits de façon automatique, uniquement sur la base d’indicateurs objectifs prédéfinis, et en se dispensant de procéder à l’analyse requise.

Ainsi, par exemple, il convient de s’abstenir de qualifier de manière automatique des opérations comme étant suspectes sans analyse identifiant un motif du soupçon, sur la seule base :

  • d’un simple présupposé lié à l’activité du client, à son adresse ou à son pays de résidence ou d’enregistrement ;
  • du montant élevé d’une opération fixé a priori et de manière générale, sans que ne soit établi le caractère anormalement élevé au regard du profil de la relation d’affaires ou, s’agissant d’une clientèle occasionnelle, des opérations habituellement réalisées par l’institution ;
  • des difficultés entre l’institution financière concernée et son client ou le comportement de celui-ci notamment en face-à-face ;
  • de l’ouverture d’une enquête judiciaire ou d’une demande de renseignement émanant par exemple de la CTIF ou d’une autorité administrative ou judiciaire ;
  • etc.

De tels indicateurs apparaissent en revanche particulièrement utiles pour identifier des faits ou opérations atypiques devant être soumises à l‘analyse de l’AMLCO.

Ainsi, par exemple, un comportement inhabituel d’un client ne peut en règle générale pas suffire à lui seul et sans autre analyse, pour établir un lien entre ses opérations ou ses actes avec le blanchiment de capitaux ou le financement du terrorisme. Il peut constituer par contre un indice pertinent pour qualifier ses opérations ou ses actes (notamment ses tentatives d’opérations) comme atypiques, et initier ainsi une analyse de l’AMLCO pour déterminer s’il en découle un soupçon de BC/FT. Il est rappelé à cet égard que les procédures internes relatives à la vigilance à l’égard des relations d’affaires et des opérations doivent notamment inclure l’énumération des critères permettant aux personnes qui sont en contact direct avec les clients ou chargés de l’exécution de leurs opérations de détecter les opérations et les faits atypiques (voir article 16, 1°, du Règlement BNB anti-blanchiment). Il est renvoyé à cet égard à la page « Politiques, procédures, processus et mesures de contrôle interne : commentaires et recommandations ».

De même, le fait que l’institution financière soit informée de l’ouverture d’une enquête judiciaire à l’encontre d’un client, ou le fait qu’elle ait reçu une demande de renseignement émanant par exemple de la CTIF ou d’une autorité administrative ou judiciaire, ne peuvent suffire à considérer automatiquement que les opérations qu’il a effectuées sont automatiquement suspectes sans que l’AMLCO n’ait procédé à l’analyse de ces opérations afin de déterminer s’il existe des soupçons de BC/FT. De même, le constat qu’un client son mandataire ou son bénéficiaire effectif fait l’objet d’une mesure de gel des avoirs ne suffit pas à lui seul pour considérer toutes les opérations du client concerné comme suspectes, mais doit conduire l’institution financière à soumettre la relation d’affaire à un nouvel examen renforcé en vue de déterminer si certaines opérations peuvent être suspectées d’être liées au financement du terrorisme. 

Inversement, dans l’hypothèse où l’analyse des opérations effectuées par un client conduit l’AMLCO à suspecter qu’elles sont liées au BC/FT, le fait qu’il soit informé qu’une enquête judiciaire, voire des poursuites pénales sont engagées à l’encontre de ce client ne dispense pas l’institution financière de procéder aux déclarations d’opérations suspectes requises.

Pour plus d’information, il est renvoyé à la page « Déclaration de soupçons » et aux informations qui y sont reprises concernant la bonne foi.

2.3. Résultat et documentation de l’analyse effectuée par l’AMLCO dans un rapport écrit

L’analyse du fait ou de l’opération atypique peut conduire soit à un classement sans suite, soit à la décision de qualifier le fait, les fonds ou l’opération de suspects. Dans les deux cas, la décision appartient à l’AMLCO (sans intervention du haut dirigeant responsable de la LBC/FTP).

Il y a lieu de souligner qu’étant donné l’objectif de l’analyse, qui consiste à déterminer s’il y a lieu ou non de déclarer le fait, les fonds ou l’opération suspecte à la CTIF conformément à l’article 47 de la Loi anti-blanchiment, les institutions financières doivent veiller à ce que leurs AMLCO puissent procéder à l’analyse des signalements qui leur sont adressés avec diligence requise pour que puissent être respectés les délais de déclaration fixés par l’article 51 de la Loi (voir la page « Déclarations de soupçons »).  L’AMLCO veille à accorder la priorité à la finalisation des analyses des opérations atypiques qui présentent les caractéristiques les plus alarmantes, notamment du point de vue des montants en jeu et de la nature et de la vraisemblance du lien possible avec le BC/FT.

Dans tous les cas où un fait ou une opération atypique est soumise à l’analyse de l’AMLCO, celui-ci doit en consigner les résultats dans un rapport interne établi par écrit. Ce rapport interne d’analyse doit notamment permettre de comprendre les motifs pour lesquels l’AMLCO a décidé qu'il existe ou non un soupçon de BC/FT, de justifier a posteriori les décisions qu’il a prises et d’exercer un contrôle sur l’efficacité et la pertinence du processus décisionnel.

Conformément au principe énoncé à l’article 47, § 1er, alinéa 2 de la Loi anti-blanchiment, ni l’analyse de l’AMLCO, ni le rapport écrit qui la consigne, ne doivent en revanche identifier la criminalité sous-jacente à l’opération suspecte (cf. ci-dessus).  

3. Ressources et mesures de contrôle interne

L’analyse des faits et opérations atypiques telle que décrite ci-dessus afin de déterminer s’il existe ou non des soupçons de BC/FT, et qui constitue le préalable requis aux déclarations d’opérations, fonds ou faits suspects à la CTIF, constitue un élément essentiel du mécanisme de prévention du BC/FT dont les institutions financières sont légalement tenues de se doter.

Il est rappelé que l’article 18 du Règlement BNB anti-blanchiment prévoit également que les institutions financières adoptent des procédures appropriées permettant d’effectuer dans les plus brefs délais l’analyse des opérations atypiques (cf. la page « Politiques, procédures, processus et mesures de contrôle interne »).

La BNB attend en outre des institutions financières qu’elles dotent leurs AMLCO des moyens humains et techniques qui sont nécessaires pour leur permettre de procéder efficacement à cette analyse et de leur donner les suites requises dans les délais fixés par la loi.

D’une manière générale, il est attendu des institutions financières qu’elles contrôlent de manière périodique et permanente l’exercice effectif des tâches relatives à la LBC/FTP par l’ensemble des personnes qui en sont chargées en son sein. Ceci inclut également l’ensemble des tâches et responsabilités de l’AMLCO, notamment sa mission d’analyse des opérations atypiques.  Il est renvoyé à cet égard au point 3 de la page « Politiques, procédures, processus et mesures de contrôle interne ».

S’agissant en particulier du contrôle du dispositif d’analyse des faits et opérations atypiques mis en œuvre par l’AMLCO, la BNB recommande à la fonction d’audit interne de porter une attention particulière sur :  

  • l’efficacité du processus de préanalyse et d’analyse des opérations atypiques par l’AMLCO ;
  • l’adéquation du travail de collecte d’informations réalisé par l’AMLCO dans le cadre de sa mission d’analyse des opérations atypiques ;
  • le caractère suffisant des moyens humains et techniques alloués à l’AMLCO pour effectuer sa mission d’analyse des faits et opérations atypiques.