Déclaration de soupçons : commentaires et recommandations de la BNB

Une des obligations les plus importantes en matière de LBC/FTP qui reposent sur les institutions financières est le fait qu’elles doivent effectuer une déclaration de soupçons à la CTIF dès qu’elles savent, soupçonnent ou ont des motifs raisonnables de soupçonner que des fonds, des opérations ou un fait dont elles ont connaissance sont liés au BC/FT. Sont synthétisés ci-après des informations succinctes concernant les cas dans lesquels une déclaration de soupçons doit être réalisée (cf. point 1), les modalités pratiques de transmission des déclarations à la CTIF (cf. point 2), les conséquences de la déclaration de soupçons (cf. point 3) et les mesures de contrôle interne à mettre en place en la matière (cf. point 4).

1. Les cas dans lesquels une déclaration de soupçon doit être adressée à la CTIF

1.1. Déclaration de soupçon de BC/FT suite à l’analyse d’opérations ou de faits atypiques

Conformément à l’article 47, § 1er, de la Loi anti-blanchiment, les institutions financières doivent effectuer une déclaration à la CTIF lorsqu’elles savent, soupçonnent ou ont des motifs raisonnables de soupçonner que sont liés au BC ou au FT :

  1. des fonds détenus par leurs clients, quel qu’en soit le montant ;
  2. des opérations effectuées ou ordonnées par leurs clients ; ou
  3. des faits, en ce compris des tentatives d’opérations, dont elles ont connaissance.

L’obligation de déclaration à la CTIF résulte de l’analyse décrite à la page « Analyse des faits et opérations atypiques », lorsque cette analyse conclut au caractère suspect d’une opération atypique, des fonds impliqués ou des faits atypiques concernés.

1.2. Autres cas de déclarations de soupçons

L’article 47, § 3, de la Loi anti-blanchiment attribue au Roi le pouvoir de déterminer, par arrêté royal délibéré en conseil des ministres et pris sur avis de la CTIF, des cas dans lesquels des fonds, opérations et faits doivent en toute hypothèse être notifiés à la CTIF sans requérir qu’une analyse de l’AMLCO permette de conclure à l’existence d’un soupçon de BC/FT.

De même, l’article 54, § 1er, de la Loi anti-blanchiment attribue au Roi le pouvoir d’étendre l’obligation de déclaration à la CTIF aux fonds, opérations ou faits concernant des personnes physiques ou morales ayant des liens avec des pays ou territoires dont la législation est reconnue insuffisantes ou dont les pratiques sont considérées comme faisant obstacle à la lutte contre le BC/FT, sans qu’il ne soit nécessaire de procéder à une analyse de ces fonds, opérations ou faits en vue d’étayer un soupçon de lien avec le BC/FT.

Toutefois, dans l’état actuel de la réglementation belge, aucun arrêté royal pris par application de ces deux dispositions de la Loi n’est en vigueur.

Les dispositions de droit européen imposant des mesures restrictives à l’encontre de certains pays en vue de lutter contre la prolifération des armes de destruction massive et son financement, prévoient également une obligation directement applicable aux institutions financières d’informer sans retard leur Cellule de renseignements financiers, en Belgique, la CTIF, des cas dans lesquels il existe des motifs raisonnables de soupçonner que des fonds ou des opérations pourraient être liés au financement de la prolifération des armes de destruction massive. Actuellement, de telles obligations de déclarations à la CTIF sont énoncées à l’article 23, paragraphe 1, points e) et f), du Règlement (UE) 2017/1509 du Conseil du 30 août 2017 concernant des mesures restrictives à l’encontre de la République populaire démocratique de Corée et abrogeant le Règlement (CE) 329/2007.

Pour une vision globale et un commentaire de tous les cas possibles de déclarations à adresser à la CTIF, la BNB invite les institutions financières à consulter les lignes directrices de la CTIF concernant la transmission d’informations à celle-ci.

2. Les modalités de transmission à la CTIF

2.1. Champ d’application territorial des obligations de déclaration de soupçons à la CTIF

L’obligation de déclaration à la CTIF s’appliquent à toutes les institutions financières visées à l’article 5, § 1er, de la Loi anti-blanchiment, c’est-à-dire aux institutions financières de droit belge et aux succursales établies en Belgique, de même qu’à certaines institutions financières qui relèvent du droit d’un autre Etat membre de l’EEE et qui sont assujetties à la Loi anti-blanchiment belge au motif qu’elles offrent des services en Belgique en ayant recours à des agents (liés ou indépendants) ou à des distributeurs. Il est renvoyé, à cet égard, à la page « Champ d’application ». 

En outre, le paragraphe 2 de l’article 47 de la Loi anti-blanchiment prévoit que, lorsque l’institution financière agit dans un autre État membre de l’EEE sans y disposer d’établissement, les soupçons concernant les opérations effectuées sous le régime de la libre prestation de services en relation avec des clients établis dans cet autre Etat membre doivent également être transmises à la CTIF (en tant que CRF de l’État d’origine / « home country »).

En revanche, lorsqu’une institution financière exerce des activités sur le territoire d’un autre Etats membre de l’EEE par le biais d’une filiale, d’une succursale ou d’une autre forme d’établissement (notamment des agents ou, dans le cas des établissements de monnaie électronique, des distributeurs qui les y représentent), cet établissement localisé sur le territoire d’un autre Etat membre n’est pas assujetti à la Loi anti-blanchiment belge, mais à la législation anti-blanchiment de son pays d’accueil. Les faits et opérations suspects détectés localement, conformément à cette législation, doivent dès lors être déclarés à la CRF du pays d’accueil. Ni l’établissement localisé sur le territoire de ce pays d’accueil, ni sa maison-mère belge, ne doivent ni ne peuvent s’acquitter correctement de leur obligation légale de déclaration en adressant celle-ci, relativement à ces mêmes faits ou opérations, à la CTIF. Il est également renvoyé à ce sujet à la page « Champ d’application » et aux commentaires et recommandations formulées par la Banque à la page « Maisons-mères belges » (chapitre 3 : Application de la législation locale par les succursales et filiales établies à l’étranger). Ces précisions ne portent pas préjudice aux échanges d’informations au sein des groupes chaque fois que cela est nécessaire (cf. la page « Maisons-mères belges », chapitre 2, section 2.2.3), ni à la prise en compte par un établissement belge des faits ou opérations suspectes détectées par une autre entité de son groupe afin d’analyser adéquatement des faits ou opérations atypiques détectés par cet établissement belge et ayant des liens avec les mêmes personnes (voir la page « Analyse des faits et opérations atypiques », section 2.2. Responsabilités de l’AMLCO).  

2.2. Les déclarants

Conformément à l’article 49 de la Loi anti-blanchiment, la déclaration et la transmission d'informations à la CTIF doivent en principe être effectuées par l’AMLCO. L’AMLCO peut cependant déléguer cette responsabilité à des membres de son service qui agissent à cette fin sous son contrôle et sous sa responsabilité directe. En outre, tout dirigeant, tout employé et tout représentant de l’institution financière concernée ou de la succursale en question procèdent personnellement à la transmission d’informations à la CTIF chaque fois que la procédure normale, via l’AMLCO, ne peut être suivie.  Ceci peut être le cas, par exemple, lorsque l’AMLCO n’est pas disponible pour y procéder lui-même en temps utile, ou lorsque les personnes au sein des entités assujetties semblent impliquées dans une activité de blanchiment ou de financement du terrorisme et feraient obstacle à la transmission des informations selon les procédures ordinaires.

S’agissant des institutions financières européennes ayant recours à des agents ou des distributeurs en Belgique et répondant aux critères repris dans la page consacrée aux points de contacts centraux, la déclaration et la transmission d'informations à la CTIF doivent en principe être effectuées par le point de contact central désigné.

2.3. Les modalités de la déclaration

L’article 50 de la Loi anti-blanchiment précise que les informations et renseignements visées aux articles 47, 48 et 66 seront transmis par écrit ou par voie électronique selon les modalités définies par la CTIF.  Ces modalités sont actuellement contenues dans les lignes directrices de la CTIF du 26 octobre 2017 concernant la transmission d’informations à celle-ci

En pratique, la BNB recommande aux institutions financières de transmettre leurs déclarations de soupçons via le site internet sécurisé ORIS qui a été mis en ligne par la CTIF depuis le 1er septembre 2006.  A cette fin, le déclarant reçoit, sous la responsabilité de l’AMLCO, un ou plusieurs codes d’accès sécurisés qui seront ensuite répartis en interne sans que la CTIF doive connaitre l’identité du collaborateur qui effectue la déclaration. La déclaration s’effectue ainsi au nom et pour le compte du déclarant. Le système offre en outre la possibilité aux déclarants d’automatiser une partie du processus de déclaration.

2.4. Le contenu de la déclaration

La déclaration de soupçons doit au moins contenir les informations suivantes :

  • les éléments d’identification et coordonnées professionnelles du déclarant ;
  • les éléments d’identification du client et, le cas échéant, du bénéficiaire effectif qui fait l’objet de la déclaration ainsi que, dans le cas où une relation d’affaires a été nouée avec le client, l’objet et la nature de cette relation ;
  • le descriptif de l’opération et les éléments d’analyse qui ont conduit à effectuer la déclaration ;
  • le délai d’exécution lorsque l’opération n’a pas encore été exécutée.

Les institutions financières veillent à ne pas effectuer de déclarations lacunaires ne permettant pas de connaître les faits à l’origine du soupçon.

S’agissant du descriptif de l’opération et des éléments d’analyse ayant conduit à effectuer la déclaration, il convient d'indiquer les flux caractéristiques et/ou les montants les plus significatifs ainsi que les personnes concernées par ces flux.

La déclaration de soupçons est accompagnée, le cas échéant, de toute autre pièce utile à son exploitation par la CTIF (notamment relevés bancaires, si possible dans un format permettant une exploitation informatique, documents relatifs à l’ouverture de compte ou à la souscription d’un contrat d’assurance, etc.).

La BNB rappelle le caractère essentiel de la correcte rédaction des déclarations de soupçons, quelles que soient les modalités de transmission de ces dernières. La clarté, la concision et la précision de la présentation des éléments d’information mentionnés dans la déclaration sont particulièrement importantes pour l’efficacité du dispositif LBC/FTP.

2.5. Moment de la saisine de la CTIF

2.5.1. Principe de déclaration avant l’exécution de l’opération

Conformément à l’article 51 de la Loi anti-blanchiment, en règle générale, la CTIF doit être saisie de la déclaration de soupçons immédiatement, préalablement à l’exécution de l’opération, en indiquant, le cas échéant, le délai dans lequel celle-ci doit être exécutée.  

Néanmoins, il peut être procédé à la déclaration immédiatement après l’exécution de l’opération pour deux raisons :

  • soit parce que le report de l’exécution de l’opération n’est pas possible en raison de la nature de celle-ci ;
  • soit parce que le report de l’exécution de l’opération serait susceptible d’empêcher la poursuite des bénéficiaires du blanchiment.

La première dérogation s’applique lorsque l’opération est instantanée. Tel est le cas d’une opération de change manuel qui est une opération d’échange immédiat de devises. Tel est aussi le cas d’une opération qui est directement effectuée par le client lui-même sans aucune intervention d’un collaborateur de l’institution financière, par exemple, en recourant à une application de « home banking » ou à une application mobile. Cette dérogation peut trouver également à s’appliquer lorsque l’opération est soumise à des contraintes d’exécution dans des délais très courts, qui rendent difficile la mise en place d’une détection a priori systématique. Cela concerne notamment des opérations du secteur bancaire, du secteur de la prestation de services d’investissement et de paiement, et plus exceptionnellement, celles du secteur de l’assurance, qui impliquent une exécution immédiate. Les organismes précisent dans leurs procédures LBC/FTP les opérations pour lesquelles la déclaration est effectuée respectivement avant ou après leur exécution.

La seconde dérogation s’applique également lorsqu’un report de l’exécution serait susceptible d’empêcher la poursuite des bénéficiaires du blanchiment. Tel pourrait notamment être le cas s’il existe des raisons de craindre que le report de l’exécution de l’opération pourrait alerter le client et l’encourager à prendre des mesures immédiates afin de soustraire ses fonds, suspectés d’avoir une origine illicite, aux investigations de la CTIF ou des autorités judiciaires.

Dans les deux cas, ces dérogations sont à mettre en œuvre strictement et la raison pour laquelle la CTIF n’a pas pu être informée préalablement à l’exécution de l’opération doit lui être également communiquée.

2.5.2. Le délai de déclaration après l’exécution de l’opération

Après l’exécution d’une opération qui répond aux conditions prévues à l’article 51 de la Loi anti-blanchiment, la déclaration doit être transmise immédiatement à la CTIF.  Cette disposition introduit une obligation de célérité qui contraint chaque institution financière à veiller à ce que, quelle que soit son organisation, et à chaque stade de son processus débouchant, le cas échéant, sur une déclaration, les diligences à accomplir le soient aussi rapidement que possible. Ainsi, les institutions financières veillent à ne prendre que le temps strictement nécessaire pour procéder aux investigations et à l’analyse faisant suite au signalement d’un fait ou d’une opération atypique.

2.6. Les déclarations complémentaires et les demandes de renseignements de la CTIF

L’article 48 de la Loi anti-blanchiment dispose que les entités financières ont l’obligation de donner suite, dans les délais déterminés par la CTIF, aux demandes de renseignements complémentaires qui leur sont faites par cette dernière.  

En outre, toute information de nature à infirmer, conforter ou modifier les éléments contenus dans une déclaration de soupçons est portée sans délai à la connaissance de la CTIF sans exigence de montant et a fortiori lorsqu’un client procède à de nouvelles opérations suspectes. Lorsque plusieurs opérations postérieures à une première déclaration de soupçons doivent être portées à la connaissance de la CTIF, le déclarant peut, pour des raisons d’efficience, regrouper plusieurs opérations dans une seule déclaration complémentaire portant sur une certaine période d’opérations adaptée au cas d’espèce. Dans ce cas, la déclaration complémentaire précise les modalités de regroupement des opérations déclarées. Plusieurs déclarations de soupçons complémentaires peuvent devoir être ainsi effectuées par un même assujetti, si les conditions l’exigent.

3. Les conséquences de la transmission d’une déclaration de soupçons

Les principales conséquences de la transmission d’une déclaration de soupçonss à la CTIF sont :

  1. l’interdiction de divulgation.
  2. la protection des déclarants ;
  3. l’obligation de réévaluation individuelle des risques de BC/FT du client ; et
  4. l’obligation de conservation des pièces qui se rapportent aux déclarations effectuées.

Concernant les deux premières conséquences, il est renvoyé aux pages « interdiction de divulgation » et « Protection des déclarants ». 

S’agissant la troisième conséquence mentionnée ci-dessus, elle découle de l’article 22 du Règlement anti-blanchiment qui prévoit que, lorsqu’une institution financière procède à une déclaration de soupçons en application de l’article 47 de la Loi anti-blanchiment, elle procède à une réévaluation individuelle des risques de BC/FT, conformément à l’article 19, § 2, de la loi, en tenant compte notamment de la particularité que le client concerné a fait l’objet d’une déclaration de soupçons.  Ainsi, sur base de cette réévaluation et de sa politique d’acceptation des clients, l’institution financière doit décider soit de maintenir la relation d’affaires moyennant la mise en œuvre de mesures de vigilance adaptées aux risques ainsi réévalués, soit d’y mettre fin. La BNB attire l’attention sur le fait qu’il doit s’agir d’une décision individuelle, prise sur la base de l’évaluation individuelle de l’ensemble des informations disponibles concernant le client et la relation d’affaires avec celui-ci. Elle estime qu’une décision de principe de rompre systématiquement la relation d’affaires lorsqu’une déclaration de soupçons a été adressée à la CTIF ne serait pas conforme à l’article 22 du Règlement anti-blanchiment, et qu’elle pourrait en outre avoir pour effet d’informer indirectement et implicitement le client du fait qu’une déclaration de soupçon le concernant a été adressée à la CTIF.

Concernant la quatrième conséquence, les documents relatifs aux opérations réalisées par les institutions financières sont conservés pendant une période de dix ans suivant la cessation de la relation d’affaires concernée.  Appliquée aux déclarations de soupçons, cette obligation de conservation concerne tant la copie de la déclaration de soupçons et, le cas échéant, des pièces qui lui étaient jointes, que l’accusé de réception de la déclaration par la CTIF.  Pour plus d’informations à ce sujet, il est renvoyé à la page « Conservation des données et documents ».

4. Les mesures de contrôle interne

Il est attendu des institutions financières qu’elles contrôlent de manière périodique et permanente l’adéquation des mesures organisationnelles mises en place pour respecter l’obligation légale de déclaration de soupçons à la CTIF.  A cet égard, la BNB attend des institutions financières qu’elles surveillent en particulier leur délai de déclaration de soupçons. 

La BNB recommande en outre à la fonction d’audit interne de porter une attention particulière sur :

  • l’adéquation du dispositif de déclaration de soupçons, de déclarations complémentaires et de réponses aux demandes d’informations de la CTIF qui sont mis en œuvre par l’AMLCO ;
  • le caractère adéquat des délais de déclaration de soupçons en vue d’éviter que l’institution financière procède à des déclarations de soupçons de manière tardive ;
  • le respect des instructions de la CTIF quant aux modalités de transmission des déclarations d’opérations suspectes et quant aux informations qui doivent y être incluses ; et
  • le respect des conséquences de la transmission d’une déclaration d’opération suspecte à la CTIF.