Une grande étape européenne a été franchie dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme
Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi votre banque vous réclame des informations à caractère personnel lorsque vous ouvrez un compte ou que vous souhaitez effectuer une transaction importante ? Elle ne le fait pas sans raison : le but est d’éviter qu’on ne se serve d’elle pour blanchir des capitaux ou pour financer le terrorisme. Les établissements financiers sont donc les « gardiens » du système financier. Ce rôle leur est imposé par les pouvoirs publics, et la Banque nationale veille à ce qu’ils le remplissent.
Le 19 juin, le paquet AML a été publié au Journal officiel de l’Union européenne (le « Moniteur » européen). Ce corpus législatif, qui se compose de deux règlements et d’une directive, constitue indéniablement une grande étape dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en Europe. Pour la première fois, les obligations en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux s’appliqueront directement aux établissements financiers de tous les États membres. En outre, une nouvelle autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux verra le jour (l’AMLA), qui sera l’épine dorsale d’un système intégré de supervision dans le cadre duquel les autorités de surveillance nationales, telle la Banque nationale, continueront de jouer un rôle essentiel.
Luttons ensemble contre le blanchiment de capitaux
Les criminels gagnent énormément d’argent en commettant des délits comme le trafic de drogues, la fraude fiscale ou sociale et le vol. Ils réinjectent ensuite ces fonds dans l’économie régulière en les blanchissant. On estime qu’environ 16 milliards d’euros d’argent sale sont blanchis chaque année en Belgique. Le blanchiment de capitaux est punissable, mais mieux vaut prévenir que guérir. C’est la raison pour laquelle les établissements financiers sont légalement tenus de dresser le profil de leurs clients, de surveiller leurs opérations et de rapporter les transactions suspectes à la Cellule de traitement des informations financières (CTIF). En sa qualité de service de renseignements financiers, la CTIF juge ensuite s’il existe suffisamment d’indices pour saisir la justice en vue d’éventuelles poursuites. La lutte contre le blanchiment de capitaux est donc l’affaire d’un grand nombre d’intervenants (le secteur financier lui-même, les autorités de surveillance telles que la Banque nationale, la police et la justice). Mais une chaîne n’est pas plus solide que son maillon le plus faible. La coopération est essentielle.
Vers une supervision européenne unique
Le nouveau paquet AML a vu le jour alors que plusieurs scandales européens de blanchiment de capitaux avaient défrayé la chronique. Citons l’exemple du scandale de la Danske Bank, dans le cadre duquel des milliards de dollars provenant notamment de Russie ont été blanchis par l’intermédiaire d’une succursale estonienne d’une banque danoise, avant d’entrer dans l’UE. Ces scandales ont douloureusement fait comprendre qu’il fallait édicter des règles claires au sein de l’UE et que la supervision n’atteignait pas le même degré d’efficacité dans tous les pays. La criminalité ne s'’arrête en effet pas aux frontières. Les criminels sont précisément particulièrement inventifs lorsqu’il s’agit de trouver le maillon faible. Une réaction européenne forte s’imposait.
Un règlement du paquet AML rendra les obligations fondamentales en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux directement applicables dans les États membres dès la mi‑2027. C’est une première. En outre, une autorité de surveillance européenne, l’AMLA, verra le jour. Dès le 1er janvier 2028, l’AMLA supervisera directement un certain nombre d’établissements financiers (maximum 40) présentant un risque élevé d’être utilisés aux fins de blanchiment de capitaux et actifs dans au moins six États membres.
Les autorités de surveillance nationales continueront de superviser le reste du secteur financier, mais l’AMLA exercera un contrôle indirect poussé en supervisant les autorités de surveillance nationales. En d’autres termes, il s’agira d’une supervision de la supervision. L’AMLA procédera ainsi à des évaluations des autorités de surveillance nationales. Dans les cas complexes, elle pourra également se substituer à l’autorité de surveillance nationale. Par ailleurs, l’AMLA jouera un rôle dans la supervision des gardiens du secteur non financier. Pensons aux avocats, aux comptables, aux réviseurs, aux casinos et aux clubs de football. L’AMLA devra aussi rationaliser la coopération entre les services de renseignements financiers en Europe. Enfin, elle se chargera de poursuivre la mise au point de la politique anti-blanchiment, les autorités de surveillance nationales y participant par le biais de leur siège au sein du conseil général de l’autorité de surveillance européenne.
Quel est le rôle de la Banque nationale ?
La Banque nationale veille à ce que les établissements financiers respectent les règles anti‑blanchiment. Dans le cadre de ses activités de supervision, la Banque prend en compte le profil de risque de blanchiment de capitaux de l’établissement financier. Plus l’établissement présente des risques, plus la Banque le supervisera étroitement. Dans le cadre de sa supervision off-site, la Banque vérifie si les établissements financiers sont suffisamment organisés pour se conformer à leurs obligations légales. Les inspections on-site permettent par ailleurs aux inspecteurs de la Banque de contrôler sur place si les procédures mises en place par les établissements financiers sont effectivement appliquées. En cas de problèmes, la Banque peut intervenir et prendre des mesures. Elle peut ainsi ordonner l’interruption temporaire de certaines activités. La Commission des sanctions de la Banque peut quant à elle aussi infliger des amendes.
La Banque contribue également activement au développement de la politique anti-blanchiment nationale, internationale et européenne. Elle participe ainsi, au sein du Groupe d’action financière, à l’élaboration des normes anti-blanchiment mondiales, qui seront ensuite traduites en normes européennes et nationales. La Banque est par ailleurs très active en Europe. Un représentant de la Banque mène ainsi les discussions à ce sujet au sein de l’Autorité bancaire européenne (EBA). Enfin, plus tôt cette année, ce sont des collaborateurs de la Banque qui, conjointement avec la CTIF et la Trésorerie, ont mené à bien les négociations avec le Parlement européen sur le paquet AML à la veille des élections européennes.
Une course contre la montre
Maintenant que le paquet AML a été publié, l’AMLA existe déjà sur le papier. Il faut à présent lui donner corps, ce qui ne sera pas une sinécure. L’autorité sera basée à Francfort, siège de la Banque centrale européenne, même si les deux institutions n’ont aucun lien structurel. Au cours de l’année à venir, tout sera mis en œuvre pour rendre l’AMLA opérationnelle et constituer ses organes de direction. Lorsqu’elle aura atteint sa vitesse de croisière, l’AMLA comptera plus de 400 collaborateurs.
Cela promet d’être une course contre la montre, d’autant plus qu’un grand nombre de normes techniques et de lignes directrices doivent encore être élaborées avant que l’AMLA ne puisse entamer sa supervision directe en 2028. Conformément à son orientation européenne, la Banque nationale va tout mettre en œuvre pour assurer le succès de l’AMLA.