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Télétravail : une arme à double tranchant pour les femmes ?

08 mars 2022
Gender gap
Le télétravail est un des grands défis du marché du travail. En cette Journée internationale des femmes, nous nous penchons sur son impact sur les inégalités de genre. Présenté comme bénéfique, le télétravail n’est toutefois pas dénué d’inconvénients. S’il permet de mieux concilier vie privée et vie professionnelle, il accentue les déséquilibres de genre dans la répartition des tâches. En cela, le télétravail peut nuire à la carrière des femmes. Le télétravail ne doit pas supplanter d’autres dispositifs tels que la flexibilité des horaires ou un système de garde d’enfants accessible et abordable.

La crise a incité un plus grand nombre de femmes à télétravailler. Au départ, les hommes travaillaient plus souvent à domicile. Ils sont d’ailleurs surreprésentés dans les emplois qui le permettent, comme les fonctions dirigeantes. La pandémie a changé la donne : les femmes ont été plus nombreuses à saisir cette possibilité. Aujourd’hui, les femmes travaillent même proportionnellement plus de chez elles que les hommes.

Sources : Eurostat et Statbel (Enquêtes sur les forces de travail).

Des avantages : flexibilité et gain de temps

Le télétravail est souvent présenté comme avantageux pour le travailleur. De fait, il raccourcit le temps de trajet journalier entre le domicile et le lieu de travail. La propension à recourir au télétravail augmente d’ailleurs avec la distance à parcourir. Alors que 10 % des travailleurs utilisent cette facilité lorsqu’ils habitent à moins de 5 km de leur lieu de travail, ils sont 34 % à le faire lorsque cette distance atteint ou dépasse les 50 km. L’octroi du droit au télétravail pourrait inciter certaines femmes et certains hommes à accepter des emplois plus éloignés de leur domicile.

La flexibilité que procure le travail à domicile permet également de plus facilement combiner vie privée et vie professionnelle. Pour les femmes, et plus particulièrement pour les mères, il pourrait limiter les interruptions temporaires de carrière ou le recours au temps partiel. Il est par exemple plus aisé de s’absenter pour aller chercher les enfants à l’école ou les conduire à leurs activités extrascolaires. Le télétravail évite également la prise de congé lorsqu’un enfant est malade. Si tel est le cas, cela allégerait nettement la pénalité associée à la maternité sur le marché du travail. Il apparaît en effet que la maternité réduit l’emploi des femmes ou leur temps de travail, ce qui limite leurs perspectives de carrière, notamment pour occuper des postes à responsabilité ou des fonctions dirigeantes.

Des inconvénients : isolement, stress et perception négative par l’employeur

Malgré ses avantages, le télétravail induit un certain isolement pour le travailleur. Il diminue les contacts sociaux, tout comme le sentiment d’appartenance à l’entreprise. Du stress peut également découler de l’impression de rester perpétuellement joignable. La frontière entre vie privée et vie professionnelle se rétrécit.

Dans l’entreprise, les télétravailleurs sont perçus comme moins investis dans leur travail. Les employeurs ont l’impression que la productivité décline. Pendant la crise du COVID-19, plus de la moitié des employeurs interrogés à ce sujet associaient le télétravail à une perte de productivité. Les trois raisons les plus souvent invoquées sont :

  • une baisse des échanges d’idées ;
  • un réseau qui s’amenuise ; et
  • un environnement de travail moins adapté.

Pourtant, le télétravail peut être synonyme de gain de productivité, à condition toutefois qu’il ne dépasse pas deux jours par semaine ou 50 % du temps de travail. Le ressenti des employeurs, même s’il n’est pas vérifié, peut induire chez eux une certaine réticence à accorder des promotions, a fortiori lorsqu’il s’agit de femmes.

Le télétravail accentue les déséquilibres de genre

D’après les données de l’OCDE, la répartition entre travail rémunéré et tâches quotidiennes reflète clairement une spécialisation selon le genre. Alors même que les femmes sont de plus en plus actives sur le marché du travail, l’essentiel des tâches domestiques repose toujours sur leurs épaules. Les femmes consacrent plus de temps que les hommes aux tâches ménagères ainsi qu’aux soins et à l’éducation des enfants et moins au travail rémunéré et aux loisirs.

Source : OCDE (données pour la Belgique).

Cette répartition des tâches ne reflète pas tant la préférence des femmes que la pression sociale exercée pour qu’elles se conforment à l’image que l’on se fait d’une bonne mère ou d’une bonne épouse. Les stéréotypes de genre s’appliquent inévitablement au télétravail. Lorsque les écoles ont fermé pendant la première vague de COVID-19, les enfants ont plus souvent interrompu leur mère dans son travail. Les femmes ont donc eu plus de mal à se concentrer et ont eu moins de temps à consacrer à leur travail.

En creusant plus loin les stéréotypes de genre, on constate que le télétravail peut pousser certaines femmes à choisir sciemment des tâches moins valorisantes qui leur permettent de mieux concilier leur emploi avec leur vie privée. Ce faisant, elles courent le risque de voir leur progression salariale et leurs chances de promotion s’étioler.

Le travail à domicile s’est installé dans nos vies et y restera

Le retour en arrière ne semble pas se profiler à l’horizon. Malgré l’assouplissement des restrictions en matière de distances sociales, le nombre de télétravailleurs demeure élevé et beaucoup souhaitent garder cette possibilité à l’avenir. Plus encore, 30 % des employés se disent prêts à changer d’emploi si leur fonction actuelle ne leur permet plus de travailler à distance.

Que faut-il retenir ?

En définitive, le télétravail présente certains avantages pour les travailleurs mais il peut aussi impliquer des effets néfastes pour la carrière et le bien-être. Bien que cela concerne aussi bien les hommes que les femmes, la société dans laquelle nous vivons et les normes sociales qu’elle induit font que les risques associés au télétravail sont plus présents pour la gent féminine et en particulier pour les mères. Le télétravail ne doit pas supplanter d’autres dispositifs tels que la flexibilité des horaires ou un système de garde d’enfants accessible et abordable.

Pour en savoir plus :

  • Bertrand M. (2020), “Gender in the Twenty-First Century”, AEA Papers and Proceedings, 110, 1-24.
  • Chung, H. (2018), “Gender, flexibility stigma and the perceived, negative consequences of flexible working in the UK”, Social Indicators Research 2018 151:2, Vol. 151/2, pp. 521-545.
  • Coppens B., Minne G., Piton C. & C. Warisse (2021), “The Belgian economy in the wake of the COVID-19 shock”, Revue économique de la Banque Nationale de Belgique, Septembre 2021.
  • Duprez C. et Nautet M. (2019), “Economic flows between Regions in Belgium”, Revue économique de la Banque Nationale de Belgique, Décembre 2019.
  • Enquêtes de l'ERMG
  • Hansez I., L. Taskin and J.F. Thisse (2021), “Télétravail: solution d’avenir ou boom éphémère?”, 164, 1-28.
  • Nautet M. et Piton C. (2021), “How does parenthood affect the careers of women and men?”, Revue économique de la Banque Nationale de Belgique, Décembre 2021.

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