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Les prix élevés de l’électricité pourraient coûter des emplois

06 décembre 2021
Énergie
Industrie
Compétitivité
La flambée des cours de l’électricité ne peut pas vous avoir échappé. Cette augmentation des prix est souvent encore plus forte pour les entreprises que pour les ménages, ce qui risque de causer de nombreuses pertes d’emplois. L’étude que nous avons menée révèle que si la hausse récente des prix se poursuit même partiellement, jusqu’à 10 000 postes de travail pourraient être menacés dans les entreprises qui consomment beaucoup d’énergie. Dans les régions où ces entreprises sont présentes en nombre, un problème pourrait se poser si les travailleurs touchés ne retrouvent pas rapidement un autre emploi.

L’électricité est devenue beaucoup plus chère non seulement pour les ménages, mais aussi pour les entreprises. De grands acteurs industriels, comme BASF, Nyrstar et ArcelorMittal, ont récemment annoncé qu’ils allaient réduire leur production. Ils pointent du doigt les tarifs élevés de l’électricité et du gaz. Chez les grossistes, les prix ont plus que triplé ces derniers mois. Pour les ménages, la facture d’électricité est composée en majeure partie des coûts de distribution et des taxes. Les prix de gros ont donc un impact légèrement moins important sur le montant de la facture finale. Il n’en va pas de même pour les entreprises. Le coût imputé aux grands consommateurs industriels est en effet largement influencé par les tarifs des grossistes. Dès lors, même si le prix final est plus bas pour les entreprises, celles-ci font actuellement face à une hausse des prix proportionnellement beaucoup plus vive que les ménages.

Source : BPX Baseload (moyenne mensuelle) via Refinitiv.

La récente augmentation des prix est sans doute temporaire, mais les cours de l’électricité pourraient aussi rester élevés à plus long terme. Les causes du renchérissement marqué de ces derniers mois sont multiples. Tout d’abord, la demande est plus élevée que prévu en raison de la reprise rapide observée après le début de la crise du COVID-19, mais une série de facteurs météorologiques et géopolitiques limitent l’approvisionnement en gaz et en énergie renouvelable. Ensuite, les investissements dans l’énergie verte ont probablement été insuffisants pour compenser la baisse des investissements fossiles classiques. Les prix de gros de l’électricité sont récemment passés de quelque 50 euros/MWh à plus de 200 euros/MWh. Le marché des contrats à terme anticipe une baisse de ces tarifs à partir de 2022. Cependant, même pour une livraison au début de 2023, le prix demeure supérieur à 100 euros/MWh, soit environ le double de celui pratiqué en 2018-2019. Pour les clients industriels, un doublement du tarif de gros pourrait entraîner un accroissement du prix final de 30 à 75 %. Au final, l’alourdissement de la facture dépendra du profil du consommateur. Le fait que le site de production soit directement relié ou non au réseau à haute tension jouera lui aussi un rôle.

Une hausse durable de 30 % des prix de l’électricité pourrait coûter jusqu’à 10 000 emplois. Sur ce plan, la Flandre est plus vulnérable que la Wallonie.

L’augmentation des prix de l’électricité nuit à la compétitivité des entreprises et des branches d’activité qui en consomment beaucoup, ce qui peut provoquer des pertes d’emplois. Lorsque l’électricité devient plus onéreuse, les entreprises de production paient leurs inputs plus cher. Cela touche surtout les branches d’activité qui sont les plus tributaires de l’électricité. C’est par exemple le cas des entreprises qui produisent de l’acier et d’autres métaux, mais aussi de celles qui fabriquent des engrais artificiels, du papier et certains produits chimiques. L’énergie représente une large part de leurs coûts de production. Or, elles ne peuvent pas toujours répercuter cette hausse auprès des clients, sous peine de voir leurs volumes de ventes chuter. Moins de ventes, cela signifie à terme moins d’emplois, a fortiori si la cause de cette diminution – une électricité plus chère – se révèle finalement permanente.

Des calculs détaillés pour la Belgique montrent qu’un accroissement durable des tarifs de l’électricité de 30 % par rapport à leur niveau historique pourrait coûter jusqu’à 10 000 emplois. Dans le cadre d’une récente étude, nous avons examiné le cas de plus de 200 000 entreprises de production dans le Benelux, en France, en Allemagne, en Italie et au Royaume-Uni sur la période 2009-2017. Nous avons observé comment ces entreprises ont réagi à des hausses des prix de l’électricité par le passé et quels changements elles ont éventuellement mis en place en termes d’emploi. Nous avons pu en conclure qu’un renchérissement a bel et bien des conséquences négatives sur l’emploi. Dans le passé, un relèvement de 10 % des cours de l’électricité a ainsi fait baisser l’emploi de 1 à 2 % dans les branches d’activité qui en consomment le plus. Sur la base de ce constat, nous pouvons calculer que l’augmentation mentionnée plus haut de 30 % par rapport au niveau historique pourrait provoquer jusqu’à 300 000 pertes d’emplois dans les pays étudiés. Les principales victimes seraient l’Allemagne (environ 130 000 postes) et l’Italie (environ 55 000 postes). Sans surprise, le sud de l’Allemagne et la région de la Ruhr seraient lourdement touchés, mais la Belgique pourrait aussi enregistrer jusqu’à 10 000 suppressions d’emplois. Au sein de notre pays, la Flandre est plus vulnérable que la Wallonie puisque les entreprises à haute intensité énergétique sont largement concentrées dans certaines régions, la principale d’entre elles étant le port d’Anvers.

Répartition des emplois perdus en cas de hausse de 30 % des prix de l’électricité

Source : calculs propres
Un marché du travail suffisamment flexible permettrait d’absorber en partie les pertes d’emplois.
Gert Bijnens
Économiste

L’incidence d’une telle hausse des prix sur l’économie dans son ensemble est complexe et fait encore débat. Les emplois perdus peuvent en effet être compensés dans d’autres branches d’activité. Mais il faut pour cela un marché de l’emploi qui soit flexible. D’aucuns s’inquiètent probablement de l’augmentation des prix de l’électricité et des possibles conséquences pour leur poste. D’autres peuvent avoir une opinion différente. Après tout, ne devons-nous pas évoluer vers une société bas carbone ? Le renchérissement du gaz et de l’électricité va inciter les entreprises à rationaliser leur consommation d’énergie. Les pertes d’emplois dans les entreprises grandes consommatrices d’énergie semblent donc inévitables. Par ailleurs, des dizaines de milliers d’emplois ont été supprimés dans les industries, notamment dans celles du textile et de l’automobile, en Belgique ces dernières décennies. Malgré cela, le chômage a rarement été aussi bas qu’à l’heure actuelle. De nouveaux postes continuent en effet d’être créés dans d’autres branches de l’économie. Cela nous amène à une remarque importante concernant la méthodologie de notre étude. Nous nous sommes concentrés sur les répercussions pour les entreprises et les branches d’activité individuelles qui consomment beaucoup d’électricité, sans tenir compte des évolutions dans d’autres pans de l’économie. L’expérience du passé nous a appris que les emplois perdus ne font pas nécessairement grimper le chômage mais qu’ils peuvent être compensés dans d’autres entreprises et branches d’activité, éventuellement dans l’économie verte en plein essor. Un marché de l’emploi flexible, sur lequel les travailleurs peuvent facilement changer de poste, est indispensable pour permettre cette transition. Les nouveaux emplois créés ne le sont en effet pas toujours au même endroit, de même qu’ils peuvent exiger des compétences différentes de ceux dont l’accroissement des prix de l’électricité a eu raison.

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