Home » Blog » L’effet « montagnes russes » du coronavirus passé, pourra-t-on à nouveau mieux estimer la croissance économique en temps réel ?

L’effet « montagnes russes » du coronavirus passé, pourra-t-on à nouveau mieux estimer la croissance économique en temps réel ?

16 mars 2022
Estimations
La BNB a pour mission de prendre le pouls de l’économie belge. Il est important de disposer dans les plus brefs délais d’informations aussi correctes que possible à propos de la situation économique. C’est pourquoi mes collègues et moi-même avons mis au point le Business Cycle Monitor (BCM). Tous les trois mois, nous examinons l’état de santé de l’économie belge et nous nous livrons à une estimation en temps réel (ou prévision immédiate) de la croissance durant le trimestre en cours, bien avant la fin de celui-ci. Tout a longtemps bien fonctionné: nos estimations étaient généralement assez justes. C’est alors que le coronavirus est venu tout chambouler ! Durant l’année 2020, qui fut marquée par le COVID-19, nos estimations à court terme ont totalement manqué le coche. Il faut savoir que la croissance a été influencée par des facteurs non économiques, dont l’incidence était difficile à prédire. Fort heureusement, les choses se sont à nouveau améliorées à partir de 2021 : comme c’était le cas avant la crise du COVID-19, les estimations du BCM ont constitué une projection fiable des premières statistiques officielles, qui sont publiées près de deux mois plus tard.

Qu’est-ce que le Business Cycle Monitor ?

Depuis fin 2019, vous pouvez retrouver systématiquement la dernière édition du BCM sur le site internet de la BNB au début des mois de mars, de juin, de septembre et de décembre. Le nouveau BCM pour le premier trimestre de 2022 vient tout juste d’être publié : nous estimons que la croissance belge atteindra 0,6 %. Si ce produit existe en interne depuis plus longtemps, cela fait quelques années que nous le diffusons également auprès du grand public. En recoupant une multitude d’indicateurs, comme des données d’enquêtes et des informations sur la production industrielle ou sur les ventes au détail, nous évaluons l’état de santé de l’économie belge : la consommation des ménages, les investissements, les exportations et bien d’autres aspects encore. Ces données, qui ne sont pas encore disponibles pour l’ensemble du trimestre, sont dans un premier temps incorporées dans divers modèles. Il s’agit de modèles avancés que nous avons baptisés BREL et R2D2. Ils servent à dégager un signal pertinent de ce flux d’informations. Nous obtenons ainsi une première estimation de la croissance du PIB en Belgique pour le trimestre en cours.

Et il se murmure même que nous consultons aussi Paul le Poulpe pour nos estimations des modèles, qui aurait élu domicile dans un recoin de la Banque. Mais ça, ce n’est qu’un mythe !

Notez bien que les modèles ne font pas tout le travail : le jugement d’experts est toujours nécessaire. En tant qu’économistes, il nous appartient d’interpréter les résultats des modèles (dont il n’est pas rare qu’ils se contredisent). Cela nous permet par exemple d’accorder plus de poids au résultat de l’un d’eux, voire d’écarter tout bonnement l’un et/ou l’autre. Pour ce faire, nous utilisons souvent des informations complémentaires, qui ne font pas (entièrement) partie des modèles. Pendant la crise du coronavirus, nous avons par exemple tenu compte des pertes de chiffre d’affaires que les entreprises déclaraient dans le cadre des enquêtes de l’ERMG. Il nous arrive aussi de nous fier simplement à notre expérience ou à notre intuition pour adapter les estimations des modèles. Et il se murmure même que nous consultons aussi Paul le Poulpe, qui aurait élu domicile dans un recoin de la Banque. Mais ça, ce n’est qu’un mythe !

Chose bien commencée est à demi achevée ?

Le BCM est toujours publié aux alentours du 9e jour du dernier mois de chaque trimestre. L’estimation de la croissance pour ce trimestre est donc très précoce puisqu’elle paraît avant même la fin du trimestre en question et qu’elle précède de quelque sept semaines la publication par l’Institut des comptes nationaux (ICN) d’une première statistique sous la forme d’une estimation « flash ». Nous méritons donc la palme de la rapidité, mais notre estimation du BCM est-elle fiable pour autant ? Lorsque le BCM a été présenté au grand public fin 2019, nous pouvions déjà nous targuer d’un beau bilan en interne. Entre 2015 et 2019, l’estimation du BCM s’écartait à peine (soit de ± 0,1 point de pourcentage) de l’estimation flash plus tardive de l’ICN et on ne notait pas non plus de surestimation ou de sous‑estimation systématique. Un excellent résultat, donc !

De manière générale, nous avons sous-estimé la vigueur de l’économie et notre estimation du BCM est plutôt demeurée trop pessimiste pour le reste de l’année 2020.

C’est là que, comme souvent, un grain de sable est venu enrayer la mécanique. Le COVID-19 a porté un coup à nos facultés de prédiction (sans parler de celles de Paul le Poulpe). Comme tous les collègues d’autres institutions, nous avons échoué : l’écart par rapport à l’estimation flash de l’ICN s’est creusé jusqu’à atteindre 3 points de pourcentage en moyenne ! Ce constat n’a rien d’illogique quand on sait que la croissance économique a été déterminée à ce moment‑là principalement par des facteurs non économiques, dont nos modèles ne tiennent pas compte et que nous n’étions pas en mesure d’estimer. Les choses se sont gâtées dès le premier BCM cette année‑là. Début mars 2020, on parlait déjà d’un « virus venu de Chine », qui avait aussi été détecté en Italie, mais il était encore impossible à ce stade de prédire qu’il allait entraîner la mise en place de mesures sanitaires sans précédent. Seulement voilà, une semaine à peine après la publication, nous avons tous été priés de rester chez nous, et de larges pans de l’économie ont été mis à l’arrêt. Résultat : au cours des dernières semaines de mars, l’économie a plongé comme jamais ! L’estimation du BCM pour le premier trimestre de 2020 s’est donc révélée beaucoup trop optimiste après coup. Dans les trois autres éditions de 2020, l’erreur de prévision a en moyenne été plus faible, même si nous avons continué d’éprouver des difficultés pour suivre la conjoncture : aux assouplissements ont succédé de nouvelles mesures de restriction rythmées par l’évolution des chiffres liés au COVID-19. De manière générale, nous avons sous-estimé la vigueur de l’économie et notre estimation du BCM est plutôt demeurée trop pessimiste pour le reste de l’année 2020.

Nous revoilà dans la course !

L’année dernière, la situation s’est à nouveau sensiblement améliorée : l’estimation du BCM a recommencé à présenter en 2021 un écart moyen de 0,1 point de pourcentage à peine par rapport à l’estimation flash de l’ICN. Ces bons résultats, nous les devons surtout à notre jugement d’experts, puisque les modèles de prévision immédiate ne semblaient pas encore aussi fiables qu’avant la crise. Rien d’étonnant à cela vu que des mesures sanitaires restrictives perturbant l’économie étaient toujours en vigueur en 2021. Leur incidence n’est en effet pas prise en compte dans nos modèles, mais nous l’avons assez bien estimée.

Ces bons résultats de l’estimation du BCM en 2021, nous les devons surtout à notre jugement d’experts.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. À mesure que de nouvelles informations sont mises à disposition, les premières statistiques sont révisées. Or, l’ICN a, a posteriori, revu (nettement) à la hausse la croissance du PIB par rapport à son estimation flash pour presque tous les trimestres de 2021. Cette révision a globalement été plus importante que précédemment, si bien que la déviation de notre BCM vis-à-vis de ces dernières statistiques est plus grande que d’ordinaire.

Sources: ICN, BNB.

Nous sommes donc à nouveau en mesure de mieux estimer la croissance économique, mais nous ne nous reposons pas sur nos lauriers pour autant. Nous continuons de travailler pour étayer techniquement nos modèles et nous recherchons de nouvelles sources de données plus « exotiques », comme le volume de recherches sur Google, les statistiques des cartes de paiement et même des analyses fondées sur le contenu d’articles de médias. Vous n’avez pas fini d’entendre parler de nous !

Partagez cet article

Tenez-vous informé

Recevez régulièrement tous les nouveaux articles du blog directement dans votre boîte de réception.