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La BCE va davantage tenir compte du coût du logement propre

22 novembre 2021
Inflation
Vous avez l’impression que, ces dix dernières années, les prix ont augmenté de plus de 1,5 % par an soit l’inflation moyenne officielle ? Vous n’êtes pas le seul. Les consultations menées auprès du grand public par la Banque nationale de Belgique ainsi que par la Banque centrale européenne ont montré que lorsqu’on évoque la « hausse des prix », on pense spontanément aux prix des logements. Ceux-ci ont précisément bondi de pas moins de 3 % par an en moyenne ces dix dernières années mais n’ont jusqu’ici jamais été inclus dans la mesure de l’inflation.

La consultation que la BCE a menée dernièrement s’inscrit dans une récente refonte de sa stratégie de politique monétaire. Lorsque cette initiative a été annoncée, la présidente Christine Lagarde a promis que rien ne serait laissé de côté, et du changement, il y en a eu : il a notamment été décidé de tenir compte du coût que représente l’occupation de son propre logement. L’intégration des prix des logements dans la mesure de l’inflation ne fait pourtant pas l’unanimité et alimente les discussions depuis de longues années. Et pour cause : une maison est en quelque sorte aussi un bien d’investissement.

Que signifie concrètement cette décision pour nous ? À supposer que la meilleure prise en compte des prix des logements entraîne l’inflation à la hausse, il se pourrait qu’à terme, la BCE mette plus rapidement fin à sa politique de taux d’intérêt bas. Paradoxalement, cela pourrait rendre plus chers les emprunts destinés à acquérir un bien. Toutefois, nos premiers calculs nous amènent à penser que cette mesure aurait une incidence limitée.

La présidente de la BCE, Christine Lagarde, a promis que rien ne serait laissé de côté.
Jana Jonckheere
Économiste

Perceptions d’inflation contre inflation mesurée

L’objectif principal de la BCE consiste à maintenir l’inflation sous contrôle. Pour y parvenir, il est essentiel que les perceptions et les attentes d’inflation cadrent avec la réalité car elles influencent effectivement le comportement d’achat. Si vous avez l’impression que les prix augmentent fortement, vous achèterez votre nouvelle voiture dès maintenant plutôt que d’attendre le mois prochain. La demande est donc plus élevée, ce qui fait grimper les prix. De ce fait, les anticipations d’inflation créent de l’inflation.

L’inflation mesure les hausses des prix des biens et des services de consommation, comme le pain, le papier-toilette, les billets d’avion, les dépenses dans les cafés et restaurants, les voitures, et bien d’autres encore. La BCE suit ce qu’on appelle l’indice des prix à la consommation harmonisé (ou IPCH), qui n’a jusqu’à présent tenu compte des prix des logements que de manière très limitée. Les prix des loyers, les coûts de l’énergie et les prix de petits travaux de réfection, tels que des travaux de peinture, y sont par exemple déjà inclus. Pour garantir la représentativité de l’indice, l’idée est désormais d’étendre ce concept en y intégrant notamment le prix d’achat d’une maison.

Owner-occupied house price index

Comment cela va-t-il fonctionner concrètement ? L’« owner-occupied house (OOH) price index », créé en 2014, sera intégré à la mesure de l’inflation. Cet indice est publié par Eurostat, l’organe européen qui diffuse des statistiques telles que l’IPCH. En Belgique, ces chiffres sont produits par Statbel. L’indice OOH comprend non seulement les prix d’achat des maisons, mais aussi d’autres frais comme les droits d’enregistrement, les commissions des agents, les coûts de grands travaux d’entretien et de rénovation, etc.

Même si cet indicateur existe déjà, sa méthodologie doit encore être affinée. La BCE prévoit qu’une version expérimentale de l’IPCH incluant ces coûts liés à l’occupation de son propre logement puisse être disponible dès 2023. Mais pour des statistiques pleinement satisfaisantes d’un point de vue qualitatif, il faudra attendre 2026.

Les investissements n’ont pas leur place dans l’indice des prix à la consommation. C’est là que le bât blesse.
Jana Jonckheere
Économiste

Une maison ne répond pas seulement à l’objectif de consommation « logement ». Au moment d’acheter la vôtre, vous avez peut-être à l’esprit la possibilité de la revendre à un bon prix. Or, les investissements n’ont pas leur place dans l’indice des prix à la consommation, et c’est là que le bât blesse.

Pourquoi ne pas simplement extraire cette partie constituant un investissement ? Ce n’est pas si simple, même pour les statisticiens ! Connaissez-vous le pourcentage de votre maison que vous considérez comme un bien de consommation pur ? Moi non. On pourrait argumenter que l’« investissement » porte surtout sur le terrain sur lequel la maison a été construite, puisqu’il n’est pas touché par l’usure. Mais même comme cela, les statistiques actuelles ne permettent pas de distinguer facilement le prix du terrain de celui du bâtiment. La BCE encourage pourtant les statisticiens à se pencher sur la question.

Autre problème : les statistiques de l’indice OOH ne sont publiées que tous les trois mois, avec un décalage d’un trimestre. Or, pour la politique monétaire, la BCE doit intervenir plus rapidement et doit pour cela disposer de statistiques mensuelles. La question de la faisabilité du projet reste également en suspens: à l’heure actuelle, pour l’indice OOH, les statisticiens se fondent par exemple sur des données fournies par les notaires, qui ne sont pas pressés par le temps. Dans un premier temps, la BCE tiendra donc encore compte de deux indicateurs : l’IPCH (mensuel) « mesuré de façon traditionnelle » et l’IPCH (trimestriel) incluant l’indice OOH.

Incidence limitée

D’après nos premiers calculs, l’incidence sur une période prolongée serait limitée. Cela s’explique notamment par le fait que les principes de l’IPCH seront largement conservés. L’un d’eux consiste à ne pas enregistrer les transactions effectuées entre les ménages. Supposons que je vous revende directement ma voiture : cette opération ne sera pas comptabilisée dans l’IPCH. En revanche, si vous achetez une voiture d’occasion qui servait au paravant de voiture de société (passant donc par une entreprise), cette transaction sera bien prise en compte. C’est pareil pour les maisons : si je vous revends ma maison, l’opération ne sera pas comptabilisée. Cela signifie en pratique que l’indice OOH comprend essentiellement de nouvelles habitations (clé sur porte ou construites par leur propriétaire). Par conséquent, l’importance des prix des logements dans l’indice « universel » global serait relativement restreinte, autour de 10 % en Belgique et dans la zone euro d’après une première estimation.  Un autre principe est que les augmentations de prix résultant d'améliorations de la qualité ne doivent pas être considérées comme des changements de prix. Dans le cas de l'OOH, cela signifie que, par exemple, des normes d'isolation plus strictes peuvent ne pas être (entièrement) considérées comme des augmentations de prix, car elles vont de pair avec des améliorations de la qualité de la maison. Bien sûr, ils doivent être payés par le consommateur.

Durant certaines périodes, comme celle que nous connaissons avec le COVID-19, l’impact est cependant palpable. Avec le confinement, chacun s’est mis à rêver d’une maison avec jardin, si bien que les prix de l’immobilier ont grimpé en flèche depuis 2020. D’après nos propres calculs, l’inflation en Belgique aurait atteint 0,7 % en moyenne en 2020 en tenant compte des logements occupés par leurs propriétaires, au lieu du taux de 0,4 % calculé par la mesure actuelle, soit une différence de 0,3 point de pourcentage. En moyenne, l’effet s’est chiffré à quelque 0,1 point de pourcentage sur la période comprise entre le premier trimestre de 2011 et le deuxième trimestre de 2021.

Sources : Eurostat, Eiglsperger et al (mimeo), calculs propres.

Vous vous dites sûrement : « Tout cela est bien beau, mais qu’est‑ce que cela implique pour mon salaire ? » Cette modification ne le fera ni augmenter ni diminuer plus vite. Les salaires sont en effet indexés sur la base de l’indice‑santé, qui est tiré de l’indice des prix à la consommation nationaux. Sa méthodologie diffère de celle de l’IPCH et il ne tient pas (encore) compte des coûts liés aux logements propres.

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