Gestion des risques et politique monétaire : un vrai jeu d’équilibre !
Un travail d’équilibriste
Tous les agents économiques doivent trouver un juste équilibre entre rentabilité et risques encourus. La recherche d’un tel équilibre peut s’avérer compliqué pour les activités liées à la politique monétaire d’une banque centrale. En effet, le rôle la Banque centrale européenne (BCE), est avant tout de préserver la stabilité des prix dans l’économie de la zone euro tout en assurant le rôle de prêteur en dernier ressort pour le système bancaire.
Comment l’Eurosystème (la BCE et les BCN (Banques Centrales Nationales)), peut-il concilier une saine gestion des risques bilantaires avec ces objectifs sociétaux plus généraux ? On pourrait comparer cette délicate question à l’image d’un funambule se tenant en équilibre instable sur une corde. En adaptant récemment son cadre opérationnel, la BCE a tenté de répondre à cette question (cfr Les rouages de la politique monétaire | nbb.be).
La gestion des risques des opérations de la politique monétaire de l’Eurosystème (et e la BNB), repose sur une saine gouvernance, un cadre de risque clair, des modèles de mesure de risques à la pointe, un reporting interne et externe détaillés[1]. De manière générale, la principale mission de l’Eurosystème est d’atteindre ses objectifs de politique monétaire tout en encourant le moins possible de risques. Cette mission est essentielle pour préserver la confiance des acteurs économiques envers l’Eurosytème et lui permettre de conduire sa politique monétaire sereinement et en tout circonstances.
[1]The financial risk management of the Eurosystem’s monetary policy operations (europa.eu), juillet 2015
Revue du cadre opérationnel de sa politique monétaire
Lors de la revue du cadre opérationnel de sa politique monétaire (décision du 13 mars 2024[2]), l’Eurosystème a conclu que la conduite d’une politique monétaire du type « système de plancher axé sur la demande » (« demand-driven-floor »), est la plus adaptée aux caractéristiques spécifiques de l’économie de la zone euro pour les prochaines années. Cette politique vise à distribuer suffisamment de réserves aux banques (système dit « plancher » ou « floor ») tout en répondant de manière flexible à leurs besoins de financement (« demand-driven »).
Les opérations de refinancement à court-terme (opérations par lesquelles les banques empruntent auprès de l’Eurosystème) joueront un rôle déterminant dans la création et la distribution de réserves, même si une partie de cette demande pourrait aussi être satisfaite par des opérations plus structurelles telles que des opérations de refinancement de moyen/long terme et un portefeuille de titres. Ces opérations structurelles permettraient de diminuer les risques opérationnels liés au possible renouvellement hebdomadaire d’importants besoins de liquidité des banques. A titre d’exemple, les billets en circulation dans la zone euro atteignent déjà 1 500 milliards et créent de ce fait un déficit de liquidité structurel s’il n’est pas entièrement couvert par les portefeuilles des BCN ou par des opérations structurelles de politique monétaire.
L’implémentation de ce nouveau cadre opérationnel sera graduelle, en fonction de l’augmentation des besoins de réserves liés au remboursement des titres des portefeuilles de politique monétaire. Ces titres avaient été achetés suite la décision du Conseil des Gouverneurs de prendre des mesures non conventionnelles après la crise financière de 2008 et de la pandémie du Covid-19 en 2020.
[2]The Eurosystem’s operational framework (europa.eu), mars 2024
Quel impact sur la taille du bilan ?
Cette création de réserves liée à la demande permet d’augmenter la flexibilité des banques en fonction de leurs besoins de liquidités. Toutefois, cette création monétaire devrait rester modérée pour éviter un gonflement de la taille du bilan de l’Eurosystème. En effet, dans ce nouveau cadre opérationnel, une banque qui souhaite augmenter ses réserves pourrait les obtenir par des opérations principales de refinancement (au taux MRO ») ou par la facilité de prêt marginal (taux « MLF »). Si elle souhaite garder les réserves créées, celles-ci sont rémunérées aux taux d’intérêt de la facilité de dépôt (taux « DFR »). Ce spread de 15 ou 40 points de base entre les taux « MRO » ou « MLF » et « DFR » devrait assurer que les banques demandent uniquement la liquidité dont elles ont besoin, limitant ainsi la taille du bilan de l’Eurosystème et les risques financiers encourus.
Pour autant, la demande de réserves des banques centrales a augmenté ces dernières années, notamment à la suite des nouvelles exigences réglementaires en matière de gestion des risques de financement et de liquidité de banques.
Les opérations de refinancement au centre de la politique monétaire : une corde bien solide, couplée à un filet de sécurité !
Les opérations de refinancement bénéficient de trois mécanismes d’atténuation des risques :
- Un accès réservé aux banques qui sont solides financièrement, c’est-à-dire celles sujettes à une supervision bancaire harmonisée au niveau de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen et qui satisfont aux exigences réglementaires en termes de solvabilité et de liquidité.
- Collateral : l’Eurosystème exige de recevoir des sûretés (« collateral ») éligibles en échange des liquidités prêtées. Ces garanties, pouvant constituer des titres négociables ou des actifs non-négociables, obéissent à des critères stricts en matière de qualité de crédit, de liquidité et de complexité afin de protéger le bilan de l’Eurosystème.
- Haircuts : l’Eurosystème évalue régulièrement la valeur de ces actifs à laquelle une décote (« haircut ») est appliquée, dépendant du type d’actif, de sa qualité et de sa maturité. Cette décote est calibrée en fonction d’un calcul de risque (du type « expected shortfall ») à un intervalle de confiance de 99 % sur la durée attendue de liquidation des actifs, au cas où l’Eurosystème devrait se séparer de ses actifs à la suite d’un défaut d’une banque.
Ces trois piliers sont sujet à un suivi et une évaluation régulière. Les opérations de financement constituent donc une corde bien solide mais intègrent aussi une protection en cas de défaut. En somme, un filet de sécurité en cas de chute !
Les portefeuilles de la politique monétaire sont encadrés par des règles strictes
Les achats de titres de la politique monétaire sont également sujet à un cadre bien précis en matière de risques financiers et climatiques. En plus de critères d’éligibilités, un suivi régulier des risques est effectué pouvant conduire à des mesures correctives d’atténuation des risques. Par ailleurs, la BNB partage les risques et les rendements d’un certain nombre de portefeuilles avec les autres BCN, augmentant ainsi leur diversification (cfr. Risque partagé est à moitié plus léger : comment la BNB partage-t-elle les risques avec l’Eurosystème ? | nbb.be).
Le risque de taux d’intérêt
Un système « demand-driven » grâce auquel les opérations de refinancement hebdomadaires jouent un rôle d’ajustement a aussi pour avantage de limiter le risque de taux d’intérêt encourus par l’Eurosystème. En effet, les taux de refinancement (taux MRO) et de dépôt (taux DFR) sont tous deux des taux flottants à court terme déterminés par la BCE et évoluent dans la même direction et à la même vitesse[3].
Par conséquent, tout comme un funambule met en place plusieurs techniques pour réduire les risques et les dommages en cas de chute, l’Eurosystème, et les autres BCN dont la BNB, s’assurent de remplir leurs objectifs sociétaux tout en veillant à ce que les risques bilantaires restent contenus, notamment grâce à ce nouveau cadre opérationnel dit « système de plancher axé sur la demande ».
[3] Il en va de même pour le taux « MLF » de la facilité de prêt marginal.