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Étrangères nos actions ? Pas si vite !

25 février 2022
La bourse
Bière et spéculoos : difficile de faire plus belge, n’est-ce pas ? Et pourtant ! AB Inbev et Lotus Bakeries sont directement contrôlées depuis l’étranger. Un constat qui ne vaut toutefois pas pour la plupart des autres entreprises belges cotées, certes plus petites. Dans pas moins de 97 sociétés sur 140, plus de la moitié de la valeur boursière est aux mains d’actionnaires belges.

Chaque trimestre, mes collègues et moi examinons la structure de l’actionnariat des entreprises belges cotées. Dans mon travail de statisticienne, j’utilise ces données pour établir les comptes financiers. À y regarder de plus près, les chiffres du troisième trimestre montrent que 208,19 milliards d’euros, soit 61 % de la valeur boursière totale, appartiennent directement à des actionnaires étrangers. Qui sont-ils donc ? Et surtout, dans quelle mesure nos entreprises cotées sont-elles encore véritablement belges ? Ces deux questions m’ont amenée à creuser un peu plus pour découvrir ce qui se cache derrière ces chiffres.

Une poignée de poids lourds

En chiffres absolus, on peut dire que la majorité des sociétés cotées en bourse sont aux mains d’actionnaires belges. Pourquoi alors ces 61 % semblent-ils nous dire que notre bourse est plus étrangère que « noir-jaune-rouge » ? Pour y répondre, commençons par examiner de plus près la composition de la bourse belge. On y trouve de nombreux poids légers pour quelques poids lourds. Autrement dit, la valeur boursière des 140 entreprises belges cotées se répartit de façon très inégale, si bien que les sociétés dont la valeur boursière est plus importante s’arrogent la part du lion.

Et qui dit poids lourd en Belgique, dit AB Inbev depuis de nombreuses années déjà. Comme vous pouvez le voir sur le graphique qui suit, l’entreprise brassicole représente actuellement quelque 30 % de la valeur boursière totale, ce qui fait de son action celle qui a le plus de poids. À titre de comparaison, KBC pointe à la deuxième place avec 10 % « à peine ». Qui plus est, les cinq plus grandes entreprises comptabilisent conjointement plus de la moitié de la valeur totale. Or, il se trouve que ces cinq sociétés sont majoritairement soumises à une influence étrangère directe. À elle seule, AB Inbev est détenue à 93 % par des actionnaires directs étrangers. Le holding Groupe Bruxelles Lambert (GBL) est lui aussi sous forte influence étrangère, puisque son plus gros actionnaire est le holding suisse Parjointco. Logique, donc, que ces entreprises fassent grimper le pourcentage pour l’ensemble de la bourse. Voilà qui démontre comment une poignée d’entreprises seulement peut exercer une influence aussi forte sur un chiffre.

Actionnaires directs

Savoir qu’AB Inbev se trouve presque intégralement aux mains d’actionnaires étrangers pourrait vous faire froncer les sourcils. Où sont donc ces célèbres familles belges connues pour être à la tête du brasseur : les Van Damme, de Spoelberch et autres de Mévius ? 

J’en viens à la deuxième raison pour laquelle notre bourse est moins étrangère que les chiffres ne le laissent penser de prime abord. Il faut savoir qu’en établissant la structure de l’actionnariat, mes collègues et moi tenons uniquement compte des actionnaires directs : ceux qui participent directement au capital d’une entreprise. Or, un certain nombre de sociétés belges ont pour actionnaire direct une fondation ou une société holding étrangère, qui se trouve à son tour sous contrôle belge.

Tel est d’ailleurs aussi le cas d’AB Inbev. Le plus gros investisseur direct du producteur de bières est une fondation néerlandaise, qui est elle-même contrôlée entre autres par les familles belges évoquées plus haut. Ce type de fondation privée, connue sous son appellation néerlandaise Stichting Administratiekantoor (STAK), est une construction couramment utilisée par les sociétés familiales pour organiser leur succession et garder la maîtrise de leur activité. La bourse belge compte d’ailleurs d’autres exemples de familles fortunées qui contrôlent leur entreprise par la voie d’une telle fondation néerlandaise. Songez au fabricant de biscuits Lotus Bakeries, à celui de produits alimentaires Ter Beke ou encore au producteur de fils d’acier Bekaert. La société suisse Parjointco, en revanche, est un exemple de holding étranger grâce auquel la famille belge Frère et la famille canadienne Desmarais exercent leur contrôle sur GBL.

Certaines entreprises belges ont pour actionnaire direct une fondation ou un holding étranger qui est à son tour directement sous contrôle belge.
Karen De Vlaminck
Statisticienne

C’est du reste la législation sur la transparence qui nous permet d’en savoir plus sur l’identité de ces actionnaires. Cette loi oblige en effet les actionnaires qui détiennent une participation supérieure à 5 % à se faire connaître. Ce sont ces notifications que nous recoupons avec des informations complémentaires glanées sur les sites internet ou dans les déclarations à la BNB pour mettre à jour le répertoire des actionnaires. Toutes ces données montrent que les actionnaires directs étrangers proviennent principalement de la zone euro. Parmi les plus grands actionnaires, les pays d’origine les plus courants sont le Luxembourg et les Pays-Bas. La bourse belge suscite aussi de l’intérêt, quoique dans une moindre mesure, à l’extérieur de l’Union européenne, principalement au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Suisse.

Belge, vous avez dit belge ?

Je ne pourrais évidemment pas clôturer mon article sur l’actionnariat des sociétés belges cotées sans parler de la BNB. Comme vous le savez, la Banque nationale de Belgique est aussi cotée en bourse. Mais alors, est-elle entièrement belge ? D’après nos chiffres, 17 % environ de sa valeur boursière seraient détenus à l’étranger. Bien évidemment, l’État belge reste le propriétaire de la moitié des actions.

Revenons-en aux 61 % évoqués plus haut. Ce pourcentage n’a rien d’inquiétant. Il peut varier au moindre changement du cours boursier ou de l’actionnariat des plus grandes entreprises de la bourse. Ainsi, l’État belge a racheté à l’assureur chinois Ping An ses quelque 6 % de participation dans Ageas à la mijanvier. Résultat : l’assureur belge est un peu plus teinté de noir, jaune et rouge. Sans compter que, je le rappelle, nous ne prenons en considération pour l’établissement des comptes financiers que les actionnaires qui détiennent une participation directe dans les entreprises. Ce phénomène n’a d’ailleurs rien de neuf : nos chiffres montrent en effet que plus de 50 % de la valeur boursière belge sont détenus à l’étranger depuis plus de dix ans. Enfin, n’oubliez pas non plus que 97 sociétés sur 140 ont encore des actionnaires majoritairement belges.

La bière et le spéculoos restent donc bel et bien des fleurons belges.

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