Une évaluation de la théorie monétaire moderne

La théorie monétaire moderne (TMM) est une école de pensée économique dite hétérodoxe selon laquelle les gouvernements élus devraient lever des fonds en émettant autant de monnaie que possible afin de mettre en œuvre les politiques qu’ils jugent nécessaires. Ces dernières années, cette théorie a reçu le soutien de représentants politiques, qui y ont vu un raisonnement pouvant étayer leurs appels à un New Deal vert et à d’autres programmes de dépenses publiques de grande envergure. Dernièrement, elle a également trouvé un écho dans les plaidoyers en faveur de plans de relance ambitieux après la crise du COVID-19. Mais elle a aussi fait l’objet d’une attention accrue et été la cible de critiques virulentes de la part du monde économique traditionnel.

Cet article vise à comprendre la théorie monétaire moderne en répondant à six questions fréquentes.

En quoi consiste précisément la TMM ? La TMM suggère l’instauration d’un régime dans le cadre duquel le gouvernement finance ses programmes de dépenses en émettant de la monnaie de base, afin d’atteindre le plein emploi, et lève des impôts en cas de risques inflationnistes. Le rôle de la banque centrale, si tant est que son existence subsiste sous un tel régime, se résume à subvenir aux besoins du gouvernement.

Comment les fondements théoriques de la TMM se comparent-ils à l’approche consensuelle ? La TMM repose sur une approche non conventionnelle en matière d’affectation des politiques macroéconomiques aux objectifs de stabilisation macroéconomiques : elle attribue l’objectif central de plein emploi et de stabilité des prix au gouvernement (c’est-à-dire à la politique budgétaire) et la soutenabilité de la dette à la banque centrale (c’est-à-dire à la politique monétaire). Selon l’approche consensuelle, c’est le contraire : la dominance monétaire s’applique. En théorie, et pour autant que le gouvernement et la banque centrale remplissent tous deux leur mandat en déployant leurs instruments respectifs de façon adéquate, les deux approches doivent orienter la macroéconomie vers l’équilibre.

La TMM est-elle applicable dans la pratique ? Certains indices laissent penser que la TMM pourrait se heurter à des limitations pratiques. Les gouvernements élus font généralement face à des problèmes d’engagement, car ils sont incités à pousser l’économie au-delà de sa capacité de production/du plein emploi. En outre, l’engagement du gouvernement envers l’objectif commun de plein emploi et de stabilité des prix pouvant être perçu comme non crédible, la probabilité que les anticipations d’inflation de la population ne soient pas solidement ancrées augmente.

Comment expliquer la popularité de la TMM ces dernières années ? L’atonie de l’inflation observée ces dernières années pourrait suggérer que les risques inflationnistes induits par les politiques budgétaires expansionnistes sont limités. De plus, l’environnement de taux bas entraîne une modération des coûts du service de la dette pour l’État souverain. Il n’en demeure pas moins que l’attrait de la TMM pourrait reposer de manière excessive sur la faiblesse persistante de l’inflation et des taux d’intérêt.

Quelle est la différence entre la TMM et les programmes d’achats d’actifs (APP et PEPP) de l’Eurosystème ?

Tant les programmes d’achats d’actifs que la TMM ont pour put de stabiliser l’économie. Ils se distinguent toutefois par leur mode d’approche : là où les programmes d’achats d’actifs visent à réduire les taux d’intérêt à long terme afin de garantir des conditions de financement souples pour l’ensemble de l’économie jusqu’au redémarrage de celle-ci, la TMM s’attache exclusivement à fournir en permanence un financement abondant et bon marché au gouvernement.

Une mise en œuvre temporaire des principes de la TMM dans la zone euro est-elle réaliste dans le contexte de la crise du COVID-19 ? Récemment, la nécessité d’un soutien budgétaire accru s’est fait sentir plus vivement dans le cadre de la crise du COVID-19, ce qui justifie une réflexion approfondie sur le dosage adéquat des politiques monétaire et budgétaire afin d’appuyer une reprise économique à la fois rapide et saine. Cela ne signifie pas qu’il faille abandonner la dominance monétaire et adopter les préceptes de la TMM. Il est essentiel de ne pas donner l’impression d’ouvrir la « boîte de Pandore » que représente la TMM, ce qui minimisera le risque d’être confronté à un choix difficile entre une inflation élevée et un assainissement budgétaire radical dans le futur, fût-il lointain.