Tigre tricheur, dragon de haute technologie ? les préoccupations occidentales concernant les « pratiques commerciales déloyales » de la Chine et le plan « Made in China 2025 » sont-elles justifiées ?

(article pour la Revue économique de septembre)

La Chine est régulièrement accusée de ne pas respecter les règles régissant le commerce mondial ou de se montrer impitoyable dans sa course au leadership technologique. Jusqu’à quel point les données soutiennent-elles ces inquiétudes ? Et comment l’UE tâche-t-elle de relever les défis posés par les pratiques commerciales et d’investissement de la Chine ?

De nombreux observateurs occidentaux estiment que la Chine n’a pas pleinement respecté les engagements qu’elle a pris lors de son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001 et que le système économique et politique chinois n’a pas opéré la transition tant attendue vers une économie de marché libérale à l’occidentale. Qui plus est, l’Europe et les États-Unis ressentent de plus en plus la pression de la course acharnée au leadership technologique menée par la Chine, qu’illustre parfaitement l’ambitieux plan stratégique « Made in China 2025 ». Cette situation a suscité des tensions entre la Chine et ses principaux partenaires commerciaux et d’investissement.

Il ne faut pas se voiler la face. Lorsque l’on confronte aux données disponibles les inquiétudes exprimées par les entreprises et les responsables politiques occidentaux à l’encontre des pratiques commerciales et d’investissement de la Chine, il s’avère que plusieurs de ces craintes sont effectivement justifiées. À plusieurs reprises, dans des litiges opposant des membres de l’OMC à la Chine, cette dernière a été jugée coupable d’imposer des restrictions injustifiées à l’importation et à l’exportation et d’autres mesures discriminatoires. Par ailleurs, les entreprises européennes et américaines sont confrontées à des réglementations concernant les investissements directs étrangers (IDE) bien plus restrictives qu’inversement, en raison principalement de limitations touchant les participations étrangères. Les entreprises publiques demeurent toujours très présentes dans les secteurs industriels stratégiques en Chine et continuent, avec des entreprises « privées » mais politiquement liées, de bénéficier de subventions, de prêts assortis de faibles taux d’intérêt et d’autres aides d’État, qui faussent la concurrence par rapport à d’autres entreprises domestiques ou étrangères. Certaines politiques menées actuellement par la Chine visant un transfert international de technologie semblent également poser problèmes, en ce qu’elles tendent à « forcer » plutôt qu’à simplement « encourager » les entreprises occidentales à partager leur savoir-faire avec leurs partenaires chinois. L’implication d’acteurs économiques chinois dans des cas d’espionnage industriel et de vol cybernétique, même à supposer que le gouvernement chinois n’en ait pas eu connaissance, est inacceptable. Parallèlement, une part importante des IDE chinois à destination de l’UE ciblent des actifs stratégiques ou de nouvelles technologies précieuses, qui risquent de tomber aux mains du gouvernement chinois, aux dépens des entreprises et des consommateurs européens.

Contrairement à l’approche conflictuelle et unilatérale adoptée par l’ administration américaine en place à l’égard de la Chine, l’UE a, pour l’heure, choisi la voie du multilatéralisme. Elle a déjà soumis plusieurs propositions de réforme de l’OMC, parmi lesquelles une actualisation approfondie des règles actuelles, plutôt minimalistes, sur des questions telles que les entreprises publiques, les aides d’État et les transferts (forcés) de technologie ainsi qu’une application plus stricte des obligations de notification, concernant notamment les déclarations de nouvelles subventions. L’UE recherche également des solutions à la crise qui frappe l’organe d’appel (« Appellate Body ») de l’OMC. Sur le front des investissements, l’initiative la plus notable a été la création d’un cadre européen commun de filtrage des IDE, qui constitue avant tout une plateforme d’échange d’informations sur les IDE susceptibles d’exercer une influence néfaste sur la sécurité ou sur l’ordre public dans un ou plusieurs États membres, Cependant, la décision finale d’examiner et/ou d’éventuellement bloquer un investissement sur son territoire reste du ressort de chaque État membre.

À l’avenir, un engagement continu avec la Chine sera nécessaire. Le pays représente en effet un marché tout bonnement trop vaste pour être ignoré, il est bien ancré dans les chaînes de valeur des multinationales et il est appelé à devenir un partenaire incontournable pour relever de nombreux défis mondiaux. La Chine ne pouvant plus être considérée comme un pays en voie de développement, il est raisonnable pour l’UE et pour d’autres économies avancées d’exiger d’elle une plus grande réciprocité dans ses relations commerciales et d’investissement. Dans le même temps, les politiques de la Chine ne devraient pas être envisagées uniquement sous un jour négatif. Pour autant qu’elle les adapte au système économique et politique européen, l’UE a sans conteste des choses à apprendre des stratégies chinoises, notamment sur les plans de l’élaboration d’une vision claire à long terme ainsi que de l’expansion de son assise industrielle et de sa capacité d’innovation.