Taux de change, prix, politique monétaire et compétitivité

(article publié pour la revue économique de septembre)

L’impact des variations du taux de change sur les prix et sur la compétitivité constitue un élément important qu’il y a lieu de prendre en considération lors de l’élaboration des décisions de politique monétaire. Dans ce cadre, il est essentiel de quantifier ces effets et de comprendre les canaux par lesquels ils opèrent. C’est un aspect d’autant plus critique que l’environnement international des économies européennes a subi de nombreuses mutations ces deux dernières décennies, avec l’émergence de l’Union monétaire, les avancées en matière d’élargissement et d’intégration européenne, de même que la globalisation du processus de production et l’exposition accrue des économies développées au commerce international. L’étude présentée ici souligne que les relations entre taux de change et prix, d’une part, et compétitivité et croissance, d’autre part, dépendent largement des caractéristiques structurelles des économies, et aussi des chocs économiques à l’origine des mouvements sur le marché des devises.

Une dépréciation produit une pression inflationniste due à la hausse du prix des biens importés qu’elle induit. Mais pourquoi la sensibilité à court terme des prix aux variations de taux de change diminue-t-elle fortement tout au long de la chaîne des prix ? Relativement élevée et contemporaine à la frontière, elle devient faible et différée au niveau des prix finaux à la consommation. Ce constat évolue peu entre les pays de l’UE, alors que ceux-ci sont caractérisés par des degrés d’ouverture très différents. La faible transmission aux prix à la consommation varie également peu dans le temps, alors que les économies développées deviennent de plus en plus ouvertes aux importations. Le commerce de biens intermédiaires et la part prépondérante qu’il occupe dans les flux internationaux contribuent à expliquer ce décalage. Le prix à l’importation des biens intermédiaires, fortement affecté par le taux de change, n’influence les prix finaux qu’indirectement en constituant un des éléments du coût marginal des firmes résidentes. La rigidité nominale globale à travers le système productif intérieur jusqu’à l’utilisateur final est le résultat de l’accumulation des délais d’ajustement des prix au niveau de chaque étape de la chaîne de production. L’effet du taux de change s’en trouve sensiblement retardé avant d’atteindre les prix finaux.

La nature des chocs qui frappent l’économie joue également un rôle essentiel dans l’intensité de la relation du taux de change aux prix à la consommation. Un choc de politique monétaire expansif, inflationniste, va ainsi provoquer une dépréciation de la devise domestique qui accroît l’effet inflationniste initial. Prix et taux de change apparaissent alors très corrélés. En revanche, un choc de productivité positif fait baisser les prix des producteurs domestiques, ce à quoi la banque centrale réagit en abaissant son taux directeur, ce qui génère une dépréciation. L’inflation importée est dans ce cas dominée par l’effet déflationniste du choc initial : prix et taux de change sont alors décorrélés.

Parce qu’elle rend les biens produits par les firmes résidentes plus compétitifs vis-à-vis de ceux de leurs concurrentes étrangères, une dépréciation est supposée avoir un effet dynamisant sur l’activité économique d’un pays, au travers d’une amélioration de sa balance commerciale. Toutefois, la transmission des mouvements du taux de change aux prix à l’exportation peut également être influencée par le commerce international de biens intermédiaires. L’augmentation de la spécialisation et le développement sous-jacent des chaînes de valeur mondiales pourraient avoir réduit la substituabilité globale entre biens et services étrangers et domestiques, au moins à court et à moyen termes. Ces éléments affaiblissent le lien entre compétitivité des prix et demande intérieure et extérieure de biens et de services domestiques, et ils peuvent donc atténuer le fait qu’une dévaluation soutienne la croissance économique.

Ces observations sont pertinentes pour la politique monétaire, qui se soucie de la stabilité des prix et réagit dès lors aux variations de prix qui proviennent de mouvements inattendus de la valeur relative des monnaies. Toutefois, la réaction de la politique monétaire à l’inflation influence également la dynamique du taux de change à travers les attentes des agents dans la parité non couverte des taux d’intérêt. Plus les autorités monétaires réagissent agressivement aux déviations par rapport à la cible d’inflation, moins les prix finaux sont touchés par des chocs de taux de change.