Surfons-nous sur les vagues d’un cycle financier mondial dans la zone euro ?

Article publié dans la Revue économique de Septembre 2019

Les conditions financières dans la zone euro sont fortement corrélées avec le cycle financier mondial 

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Digest

Dans cet article, nous examinons la question de savoir si les conditions financières domestiques – telles que la croissance du crédit bancaire, les taux d’intérêt, les cours des actions et les prix de l’immobilier – dans les pays de la zone euro sont liées à un cycle financier mondial (CFM). En vue de mesurer cet effet, nous construisons un indice des conditions financières (ICF) pour les pays de la zone euro, résumant leurs conditions financières domestiques, et nous le comparons à une mesure du cycle financier mondial (repris de Habib et Venditti, 2019). Nos résultats contribuent à la littérature, en plein développement, relative au cycle financier mondial, qui analyse principalement l’effet de ce cycle sur les flux de capitaux des économies émergentes. Nous ajoutons à ces résultats des conclusions quant à l’incidence du CFM sur les conditions financières domestiques dans les pays de la zone euro.

1. Mesure des conditions financieres domestiques au moyen de « l’indice des conditions financieres » (ICF) 

L’ICF est un indicateur composite global des conditions financières domestiques, qui agrège cinq dimensions du risque financier (développements du crédit, immobilier, endettement du secteur privé, secteur bancaire et conditions sur les marchés financiers) en un indicateur global utilisant des pondérations variables dans le temps basées sur la structure de corrélation des données. La version actuelle de l’indicateur comporte 17 variables.

L’ICF donne un aperçu des propriétés des cycles financiers dans les pays de la zone euro. Comprendre l’évolution du cycle financier est essentiel pour la politique macroprudentielle. La littérature donne à penser que le cycle financier présente un profil marqué par des phases d’expansion puis de ralentissement. Durant la phase d’expansion, des risques systémiques se constituent et les points hauts du cycle peuvent tenir lieu de signaux d’alerte précoce pour les crises financières.

 
Graphique 1 - Indice des conditions financières en tant que mesure du cycle financier
Sources: BCE, BNB

(1) Nombre de trimestres précédant (-) ou suivant (+) le début de la crise financière.

(2) Des crises comme dans Lo Duca et al. (2018) et définies comme l’ensemble des crises systémiques étant au moins en partie d’origine domestique et considérées par les autorités européennes au niveau national comme pertinentes d’un point de vue macroprudentiel.

Comme le montre le graphique 1 (panel de gauche), l’ICF moyen dans la zone euro présente un profil en dents de scie et atteint son point culminant avant la crise financière mondiale de 2008. En moyenne, l’ICF conduit à des cycles persistants opérant à des fréquences plus faibles que le cycle économique classique. Le graphique 1 (panel de droite) montre que l’ICF commence à progresser bien avant les crises systémiques et qu’il atteint son pic environ deux ans avant le début d’une crise. On peut démontrer que l’ICF possède de bonnes propriétés d’alerte précoce, qui donnent de meilleurs résultats que ceux des mesures univariées du cycle financier telles que l’écart du ratio crédit/PIB. Ces propriétés s’appliquent à une majorité de pays, bien que l’ICF présente une certaine hétérogénéité entre pays.     

2. Les conditions financieres domestiques dans la zone euro sont-elles liees a un cycle financier mondial ?

La question majeure que nous posons dans cet article porte sur le degré de synchronisation entre le cycle financier dans la zone euro et le cycle financier mondial. Pour commencer, nous calculons donc la corrélation entre l’ICF moyen de la zone euro et une mesure du cycle mondial. Pour ce dernier, nous utilisons le « Facteur mondial des marchés boursiers » (Global Stock Market Factor) de Habib et Venditti (2019). Ce facteur est extrait d’un panel mondial de rendements des marchés boursiers.

Il s’avère que l’ICF moyen de la zone euro et la mesure du cycle financier mondial affichent une forte corrélation (0,89 comme illustré au graphique 2). Cette corrélation élevée est remarquable étant donné que les deux mesures poursuivent des objectifs différents (conditions financières domestiques par rapport au cycle financier mondial), qu’elles sont dérivées de séries de données complétement différentes (large spectre de séries macrofinancières contre rendements des marchés boursiers) et qu’elles se basent sur des méthodologies différentes (indice composite contre analyse factorielle).

 
Graphique 2 - Existe-t-il une corrélation entre les conditions financières dans la zone euro et le cycle financier mondial ?
Sources: BCE, BNB

(1) Indice des conditions financières, moyenne des pays de la zone euro. 

(2) Mesure du cycle financier mondial venant de Habib et Venditti (2019).

La corrélation élevée avec le cycle financier mondial s’applique également, quoique à des degrés divers, au niveau des pays pris individuellement. La corrélation va de 0,27 (Allemagne) à 0,86 (Luxembourg) et correspond largement à la synchronicité du cycle de chaque pays au sein de la zone euro. Il convient de noter qu’à l’inverse du cycle économique, le cycle financier de larges économies peut afficher un écart considérable par rapport à la moyenne.

3. Qu’est-ce qui explique la sensibilite des economies de la zone euro au cycle financier mondial ?

La corrélation entre les conditions financières domestiques et le cycle financier mondial (CFM) diffère selon les pays de la zone euro, ce qui donne à penser que la corrélation avec le CFM est influencée par des facteurs propres au pays. Quelles caractéristiques peuvent accroître ou atténuer la sensibilité des pays au CFM ?

La majeure partie de la littérature analysant la sensibilité des conditions financières au CFM s’est concentrée sur le régime de change (Rey, 2018; Obstfeld, 2017). De manière générale, les résultats sont mitigés, donnant lieu à des conclusions diverses concernant l’existence d’un trilemme financier (le taux de change est important) ou d’un dilemme financier (le taux de change n’est pas pertinent). Les pays de la zone euro partageant l’euro en tant que monnaie unique, le taux de change de celui-ci ne peut expliquer les différences d’incidence du CFM entre les pays.     

 
Graphique 3 - Position financière brute et nette
Sources: BCE, FMI, BNB

(1) Somme des actifs et des engagements extérieurs.

(2) Différence entre l’encours des actifs et celui des engagements, par instrument de financement.

Dans le présent article, nous établissons une corrélation entre cette sensibilité au cycle mondial selon les pays et différents autres déterminants, en ce compris l’ampleur et la composition de la position financière extérieure (graphique 3). Un élément majeur qui en ressort est que la sensibilité semble dépendre de manière essentielle de la position extérieure nette. Les pays affichant des engagements nets semblent réagir deux fois plus vivement que ceux présentant des actifs nets. Parmi les pays ayant des engagements nets, ceux qui se financent eux-mêmes au moyen d’autres investissements (principalement par endettement bancaire) s’avèrent particulièrement vulnérables au profil en dents de scie du cycle financier mondial.

4. Implications au niveau de la politique economique

Ces conclusions peuvent avoir plusieurs implications en matière de politique. Tout d’abord, la corrélation étroite entre les conditions financières dans la zone euro et le cycle financier mondial montre l’utilité pour la politique macroprudentielle de surveiller ce cycle mondial et/ou de contribuer à réduire l’extrême sensibilité à son profil en dents de scie. Deuxièmement ‑ et de manière essentielle dans le cadre du débat actuel dans la littérature ‑, cette corrélation tend à suggérer la présence d’un « dilemme financier » dans la zone euro, tel que celui présenté par Rey (2015) pour les économies émergentes. Pareil dilemme implique qu’une fois que le compte financier est ouvert, les conditions monétaires et financières sont influencées principalement par des facteurs mondiaux et, dans une moindre mesure, par une politique monétaire indépendante. Nous montrons que ce dilemme dans la zone euro est particulièrement présent pour les pays qui affichent une position extérieure négative.  

Dans le même temps, ces conclusions montrent la nécessité d’une coordination entre les politiques macroéconomique (structurelle), macroprudentielle et monétaire pour atteindre leurs objectifs. Traiter la question de la position extérieure nette négative et, plus globalement, garantir la soutenabilité de la dette, comme cela se fait actuellement dans le cadre de la Procédure européenne concernant les déficits macroéconomiques (PDM), aideraient vraisemblablement à protéger les pays durant les périodes d’appétence/d’aversion pour le risque des systèmes internationaux, contribuant ainsi également à des objectifs de stabilité financière et à des conditions monétaires indépendantes dans la zone euro.