Se dirige-t-on vers une période de démondialisation ?

Que ce soit dans les médias, dans les appels aux résultats des entreprises voire dans les discours des banques centrales, les références à la démondialisation sont omniprésentes aujourd’hui. Certes, au vu des perturbations subies durant la crise du coronavirus et des autres événements défavorables qui ont sévi plus récemment, il n’est pas surprenant que les entreprises et les gouvernements recherchent des pistes afin de rendre les chaînes d’approvisionnement plus résistantes aux chocs. Mais dans quelle mesure cela prend‑il la forme d’un désengagement actif vis-à-vis du commerce international et des chaînes de valeur mondiales ? Assistons-nous déjà à un véritable phénomène de démondialisation ou celui-ci approche-t-il à grands pas ?

Avant la crise du COVID-19 déjà, la mondialisation était en perte de vitesse. Parmi les facteurs à l’origine de l’essor spectaculaire des chaînes de valeur mondiales depuis les années 1990, plusieurs se sont désormais essoufflés, notamment la révolution des TIC et celle des transports, les écarts salariaux entre économies avancées et émergentes, ainsi que l’appétence généralisée pour la libéralisation du commerce. Bien que, contre vents et marées, les échanges au sein des chaînes de valeur mondiales aient fait preuve d’une relative résilience durant la pandémie, les pressions s’exerçant sur les chaînes d’approvisionnement ont néanmoins atteint des niveaux sans précédent et sont demeurées élevées sous l’effet des nouveaux chocs qui ont frappé en 2022. Pour pallier les vulnérabilités de leurs chaînes d’approvisionnement, les entreprises ont jusqu’ici principalement eu recours à des adaptations de la gestion des stocks et à une diversification des fournisseurs plutôt qu’à des stratégies intensives de relocalisation (reshoring) ou de délocalisation à proximité (nearshoring), qui consistent à rapatrier, ou à tout le moins rapprocher, l’intégralité de leurs chaînes d’approvisionnement. En réaction à la guerre en Ukraine et aux sanctions imposées à la Russie dans la foulée, les firmes occidentales ont toutefois réduit, sinon interrompu entièrement, leurs activités avec cette dernière.

L’avenir de la mondialisation reposera au moins sur trois axes majeurs : les technologies numériques (et autres), l’agenda climatique et, sans doute le plus important, la géopolitique. Si les deux premiers facteurs pourraient avoir des effets équivoques, l’importance grandissante des considérations géopolitiques parmi les responsables politiques – notamment sur des aspects liés aux secteurs/produits stratégiques, à la sécurité nationale et à la compétitivité nationale – exerceront sur les volumes des échanges et sur la portée des chaînes de valeur une influence négative. Pour autant, une démondialisation rapide semble peu probable, hormis dans l’éventualité de chocs géopolitiques majeurs et prolongés. Plutôt que sur la fin de la mondialisation, nous tablons sur une reconfiguration des échanges et des chaînes d’approvisionnement, impliquant résolument une gestion plus prudente des risques et, peut-être, un processus plus marqué de régionalisme ou de délocalisation amicale (friendshoring).