Quels sont les effets macroéconomiques du récent stimulus budgétaire américain ?

Article publié dans la Revue économique de Décembre 2019

Quelle est l'influence de la politique budgétaire sur l’inflation ? Les enseignements du plan d'expansion budgétaire américain de 2017-2018

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Sous la présidence de Donald Trump, la politique budgétaire américaine a pris un tour plus expansionniste, dans un contexte où l’économie atteignait déjà peu ou prou le plein emploi. Plus spécifiquement, à la fin de 2017, le gouvernement des États-Unis a décidé d’alléger la pression fiscale pesant sur les entreprises et, dans une moindre mesure, sur les ménages (cf. Tax Cuts and Job Act ou TCJA). Par ailleurs, au début de 2018, il s’est engagé en faveur d’une augmentation des dépenses en 2018 et 2019 (cf. Bipartisan Budget Act ou BBA). Ces mesures étant de nature à comprimer les recettes et à alourdir les charges, elles contribuent à creuser les déficits et à accroître l’endettement de l’État fédéral américain.

 

Le stimulus budgétaire américain de 2017-2018 tire les déficits et l’endettement publics à la hausse
(pourcentages du PIB)

 

Source: CBO

Selon la logique simple de la pensée économique conventionnelle, les mesures budgétaires expansionnistes soutiennent l’activité économique et une économie vigoureuse dope les prix. Dans ce cadre, quelle a donc été l’incidence économique du récent paquet fiscal américain ? Cet article cherche à répondre à la question en accordant une attention particulière au lien qui unit stimulus budgétaire et inflation. Il synthétise dans un premier temps la littérature théorique et empirique, avant de passer en revue les différents effets estimés et observés.

Que disent la théorie économique et la littérature empirique au sujet du lien entre déficits budgétaires et inflation ?

De manière générale, les deux sont plutôt ambiguës sur la question.

La théorie économique pointe plusieurs canaux à travers lesquels une politique budgétaire expansionniste peut influer sur l’inflation. Selon les cas, l’effet exercé peut être positif, négatif, voire nul.

La position la plus communément admise consiste à dire qu’un creusement des déficits budgétaires exerce un effet haussier sur l’inflation à travers son soutien à la demande agrégée. L’ampleur de la hausse dépend cependant de divers facteurs, parmi lesquels la réaction de la politique monétaire (par exemple, une hausse des taux directeurs devrait modérer l’augmentation de la demande agrégée) ainsi que l’inclinaison de la courbe de Phillips (laquelle reflète précisément la mesure dans laquelle un renforcement de l’activité économique se traduit par des pressions haussières sur les prix). Une mesure budgétaire expansionniste peut également influencer le côté offre de l’économie en stimulant les capacités de production, réduisant par là même la pression inflationniste. Il est toutefois attendu que les effets budgétaires du côté de l’offre se matérialisent plutôt à long terme. Les anticipations jouent également un rôle. Ainsi, les agents économiques pourraient s’attendre à ce qu’un creusement des déficits budgétaires aujourd’hui doive être financé à l’avenir par une augmentation des impôts, afin de contenir l’endettement public (théorie connue sous le nom d’« équivalence ricardienne »). Dans un tel scénario, les agents économiques épargneront les bénéfices tirés d’une relance économique financée par l’endettement. Dans un cas extrême, il se pourrait même que la consommation privée diminue, afin de soutenir l’épargne privée, de sorte que la dépense globale de l’économie reste inchangée. La relance budgétaire n’a alors a priori ni effet réel, ni effet nominal. À l’inverse, un creusement des déficits budgétaires pourrait bien induire une augmentation des anticipations d’inflation (c’est ce que montre la théorie fiscale des prix – FTPL, fiscal theory of the price level). Plutôt que d’être financée dans le futur à l’aide de ressources réelles, l’élévation de la dette publique est ici compensée en termes réels par une hausse de l’inflation.

S’agissant des relations empiriques, la littérature s’est largement penchée sur le lien entre la politique budgétaire et la croissance du PIB, parvenant à la conclusion générale qu’une expansion budgétaire exerce un effet positif sur la production globale. En revanche, les études sur la relation entre la politique budgétaire et l’inflation sont plus limitées et présentent des résultats contrastés. Certaines concluent qu’en réaction à une hausse du déficit public, les prix augmentent, d’autres soutiennent qu’ils diminuent, quand d’autres encore avancent que la réaction est insignifiante. Globalement, les estimations pointent une relation distendue entre la politique budgétaire et l’inflation, en particulier dans le cas des pays présentant un niveau d’inflation faible, qui semble être en partie le reflet de contraintes institutionnelles comme l’indépendance de la banque centrale ou les règles budgétaires. Un examen des précédents épisodes d’expansion budgétaire aux États-Unis montre toutefois que l’orientation de la politique monétaire joue un rôle de premier plan dans la transmission de la politique budgétaire à l’activité économique et aux prix.

Le paquet fiscal américain : incidence attendue et premiers résultats

La plupart des estimations concernant les effets sur la croissance économique de l’expansion budgétaire de 2017-2018 s’accordent sur une réaction vigoureuse et concentrée en début de période. Ainsi, en avril 2018, le Congressional Budget Office (CBO) ‑ qui réalise des analyses indépendantes sur des questions économiques et budgétaires à destination du Congrès américain – prévoyait que le TCJA et le BBA feraient progresser le PIB en volume de 0,6 % en 2018 et de 1,2 % en 2019. Pour ce qui est des effets sur l’inflation, les évaluations du paquet fiscal les ont toutefois négligés ou ne les ont pas explicitement quantifiés. Si l’on compare les projections d’inflation de 2018 du CBO à celles de 2017, avant l’adoption du stimulus, il apparaît que le profil d’inflation a été seulement marginalement revu à la hausse. Le CBO avance plusieurs explications à cet égard :

Il prévoit que les mesures d’expansion budgétaire stimuleront tant la demande agrégée que l’offre agrégée, limitant ainsi les pressions haussières sur les prix ;
il part de l’hypothèse que le lien entre activité économique domestique et inflation est ténu ;
il considère que les anticipations d’inflation sont bien ancrées, endiguant de fait une inflation des salaires et des prix ;
il tient compte du fait que, si nécessaire, la politique monétaire sera resserrée, empêchant ainsi une accélération significative ou persistante de l’inflation (ou des anticipations d’inflation) au-delà de 2 %.

S’agissant des premiers effets observés, la réaction des variables macroéconomiques réelles et, en particulier, nominales à l’expansion budgétaire apparaît jusqu’à présent plutôt contenue, en ligne avec ce que suggèrent les données empiriques et les projections économiques. Il convient toutefois de garder à l’esprit qu’il est très difficile de déterminer l’incidence précise de mesures budgétaires, d’autres facteurs étant susceptibles d’influencer l’économie dans le même temps. Par exemple, au cours de la période sous revue, la politique monétaire américaine a fait l’objet d’un sensible resserrement, les droits de douane ont été relevés et des pressions désinflationnistes ont été à l’œuvre. Tous ces éléments peuvent brouiller les effets sur l’économie du stimulus fiscal.

 

L’expansion budgétaire américaine a soutenu la croissance du PIB, mais n’a que faiblement influencé l’inflation. D’autres facteurs ont pesé sur ces deux agrégats macroéconomiques.
(pourcentages de variation annuelle)

 

Sources: Datastream, FRED

L’inflation pointe-t-elle à l’horizon ?

À ce jour, l’inflation américaine semble avoir à peine réagi au vaste plan d’expansion budgétaire. Cette situation n’est pas surprenante dans la mesure où, au cours des dernières décennies, le lien entre déficit fiscal et inflation s’est avéré plutôt ténu dans les économies dotées de banques centrales indépendantes et axées sur la stabilité des prix.

À plus long terme, un scénario dans lequel une hausse de l’inflation se matérialise ne peut toutefois être totalement écarté. Il pourrait se produire au travers des canaux identifiés par les Keynésiens, de même que par les partisans de la FTPL. Par exemple, alors que la relation entre activité économique et inflation est actuellement plutôt contenue, elle pourrait soudainement et rapidement se renforcer dans un contexte de surchauffe de l’économie (c’est ce que les économistes entendent lorsqu’ils déclarent que la courbe de Phillips peut être « non linéaire »). Par ailleurs, le fait que les anticipations d’inflation aux États-Unis demeurent bien ancrées aujourd’hui – reflétant potentiellement les convictions d’une équivalence ricardienne ou encore d’une éventuelle neutralité budgétaire de la réforme fiscale – n’implique pas qu’elles sont à l’abri d’une subite augmentation. La théorie budgétaire du niveau des prix met en effet en garde contre le fait qu’un événement modeste peut potentiellement conduire à une réévaluation de la soutenabilité de la dette publique. Cela signifie que les agents économiques pourraient tout à coup s’attendre à ce que cette dette ne soit plus soutenue adéquatement par de futurs excédents publics, ce qui les amènerait à revoir à la hausse leurs anticipations d’inflation. L’incidence future de la politique budgétaire sur l’inflation dépendra donc non seulement des mesures budgétaires qui seront prises à l’avenir par les responsables américains, mais également de leur communication quant à la trajectoire de la dette fédérale américaine et aux interactions entre les politiques budgétaire et monétaire. Dans ce cadre, il est intéressant de remarquer que la question de l’orthodoxie budgétaire fait l’objet de vifs débats politiques aux États-Unis.

Néanmoins, le risque d’une accélération de l’inflation (ou d’une subite hausse des anticipations en la matière) d’origine budgétaire apparaît limité, dans la mesure où la politique budgétaire américaine demeure axée sur la maîtrise des finances publiques à long terme et où la politique monétaire continue de viser une inflation à la fois faible et stable.