Communiqué de presse - Qu’avons nous appris du Wage Dynamics Network?

Article publié dans la Revue économique de juin 2010

Le Wage Dynamics Network (WDN) est un réseau de recherche temporaire mis sur pied par le Système Européen de Banques Centrales (ESCB). Réunissant des chercheurs de la Banque Centrale Européenne et de 25 banques centrales nationales ainsi que des consultants externes, il a été actif de 2006 à 2009. Ses objectifs principaux étaient de mieux comprendre la relation entre les salaires et les prix, tant au niveau microéconomique que macroéconomique, et plus généralement d'identifier les caractéristiques de la dynamique des salaires et d'en tirer des conclusions en termes de politique monétaire.

En ce qui concerne le volet macroéconomique, les chercheurs ont utilisé des séries temporelles ainsi que des informations de type institutionnel pour étayer leurs analyses et construire, calibrer et/ou estimer des modèles. À côté de cela a également eu lieu un important travail d’analyse de données microéconomiques reprenant des informations individuelles sur les travailleurs et les employeurs. En 2007-2008, le WDN a également mené auprès d'environ 15.000 entreprises de 16 pays une enquête portant sur leur politique salariale afin de compléter les statistiques existantes. À la suite de la crise, l’enquête a été répétée pendant l’été 2009 dans dix pays auprès du même échantillon de firmes. La cohérence des résultats des recherches menées au niveau microéconomique et macroéconomique avec les enseignements tirés de l’enquête est remarquable et peut être perçue comme un gage de crédibilité.

La structure des salaires et les institutions présidant à leur formation sont relativement stables mais diffèrent d’un pays à l’autre. Il est cependant possible de regrouper les pays en groupes partageant un ensemble de caractéristiques institutionnelles. Les institutions belges sont globalement comparables à celles de la plupart des pays de la zone euro, à ceci près que l’indexation des salaires sur l’inflation des prix est bien plus importante. Au niveau intersectoriel, on observe des différences salariales significatives et persistantes qui ne peuvent être que partiellement expliquées par des effets de composition (le fait que les salaires dépendent des caractéristiques des travailleurs, de leur type d’occupation et de leur employeur), et qui suggèrent que, surtout dans les secteurs moins concurrentiels, les entreprises partagent partiellement avec leurs travailleurs la rente que leur procure leur position dominante en octroyant des salaires plus élevés.
La rigidité des salaires a été examinée sous plusieurs angles. Premièrement, il apparaît que les salaires sont révisés moins fréquemment que les prix, et souvent à intervalles fixes plutôt qu’en réponse à des modifications de l’environnement économique.

Deuxièmement, les entreprises montrent une forte réticence à baisser les salaires, ce
qui peut mener à un gel des salaires. Ce phénomène est particulièrement présent lors de la dernière crise économique. Troisièmement, lorsque les entreprises sont affectées par des chocs négatifs, les salaires ne jouent qu’un rôle marginal dans l’ajustement des coûts. Cette observation s’est vérifiée lors de la dernière crise. Enfin, les ajustements à la baisse affectent rarement le salaire de base, même pour les nouveaux engagés. Ils touchent plutôt la composante variable.

En matière de rigidité des salaires, il est important d'opérer une distinction entre rigidité nominale et rigidité réelle. La première permet une certaine adaptabilité des salaires réels par le biais de l'inflation des prix. Cette marge de manœuvre relative disparaît lorsque la rigidité est réelle. L'émergence d'une rigidité réelle des salaires est favorisée entre autres par le degré de protection des travailleurs, le niveau des revenus de remplacement, la centralisation des négociations salariales, l'indexation des salaires à l'inflation des prix et le manque de concurrence sur le marché des biens. Plus la rigidité à la baisse des salaires réels est importante, plus les entreprises confrontées à des chocs négatifs réagissent en adaptant leur effectif. Pour ce faire, elles réduisent le nombre de salariés réguliers mais recourent également comme marge d’ajustement au personnel temporaire et à la réduction du temps de travail. Cette dernière a été particulièrement utilisée lors de la dernière crise, avec le soutien des autorités publiques. La zone euro est caractérisée par une rigidité à la baisse des salaires réels plutôt que des salaires nominaux.

Les résultats des recherches menées dans le cadre du WDN permettent de formuler un certain nombre d’implications pour la politique monétaire. Tout d'abord, la rigidité des salaires réels rend la conduite de la politique monétaire plus complexe dans la mesure où elle entraîne de plus grandes fluctuations de l’output et de l’emploi, et rend l’inflation plus persistante. Ensuite, le taux d’inflation optimal est d’autant plus bas que les salaires réels sont rigides à la baisse. Ceci implique un objectif d’inflation peu élevé pour la zone euro en général, en accord avec l’objectif d’inflation de la BCE légèrement en-deçà de 2 p.c.. Enfin, la recherche montre également que dans une union monétaire, les pays caractérisés par une plus forte rigidité des salaires réels subissent une perte de compétitivité en cas de chocs négatifs sur la productivité. De façon générale, les institutions salariales jouent un rôle important dans la façon dont les entreprises et les économies réagissent aux chocs. Les différences institutionnelles entre pays de la zone euro constituent dès lors un défi pour la politique monétaire, une difficulté qui ira croissant à chaque élargissement de la zone. Tout ceci met en évidence le besoin de réformes des marchés du travail dans une perspective d'harmonisation et de plus grande flexibilité. Leur mise en œuvre devra toutefois être menée dans une perspective globale en opérant de délicats arbitrages entre allocation optimale des ressources et protection sociale.