L’impact économique de l'immigration en Belgique
Digest
En avril 2018, le ministre des Finances, Johan Van Overtveldt, a demandé à la Banque nationale de Belgique (BNB – ci-après dénommée « la Banque ») d’analyser l’impact économique de l’immigration en Belgique afin d’étayer le débat sur cette question. Pour fournir une analyse solide et complète de l’incidence sur les finances publiques et de l’intégration des immigrés sur le marché du travail, la Banque s’appuie sur des données de la Banque Carrefour de la Sécurité Sociale (BCSS), pour l’ensemble des personnes inscrites dans le Registre national entre 2009 et 2016[1]. Cette base de données fournit des informations sur les caractéristiques personnelles (pays de naissance, pays de naissance des parents, âge, genre, niveau d’éducation, Région de résidence et type de ménage) ainsi que sur le statut d’activité (en emploi, etc.), sur les transferts reçus de l’État et sur les revenus du travail. En ce qui concerne plus particulièrement les immigrés, nous connaissons également le canal de migration, la nationalité détenue et le nombre d’années de résidence.
L’objectif de cette étude est de donner une vue d’ensemble de l’impact économique de l’immigration en Belgique, en établissant une distinction entre les immigrés de la première et de la deuxième génération, d’une part, et entre les immigrés originaires de pays de l’UE[2] et ceux ayant une origine hors UE, d’autre part. L’analyse se décline en trois parties. La première donne un aperçu des transferts publics nets en fonction de l’origine des personnes. La deuxième examine l’intégration des immigrés sur le marché du travail et tente d’expliquer les résultats de la Belgique à cet égard. Enfin, la troisième et dernière partie définit un modèle d’équilibre général conçu pour évaluer l’impact économique global des récents flux d’immigration en Belgique. Ce rapport se concentre sur l’aspect économique de l’immigration, d’autres considérations essentielles, telles que les droits humains ou les lois internationales, notamment en ce qui concerne le droit à la protection et l’accueil des réfugiés, ne sont pas discutées.
L’origine des personnes est définie sur la base du pays de naissance plutôt que sur celle de la nationalité, étant donné que les immigrés de longue date (ainsi que leurs parents) sont susceptibles d’avoir adopté la nationalité belge.
Tous les individus qui ne sont pas nés en Belgique sont considérés comme « immigrés de la première génération ». Une distinction supplémentaire peut être opérée entre ceux nés dans un autre pays de l’UE et ceux nés en dehors de l’UE.
S’agissant des personnes nées en Belgique, une distinction est établie sur la base du pays de naissance de leurs parents. Lorsque les deux parents sont nés en Belgique, la personne est qualifiée de « native ». Si au moins l’un des deux parents n’est pas né en Belgique, la personne appartient à la catégorie des « immigrés de la deuxième génération ». Une distinction entre une origine européenne et hors-UE est également opérée pour la deuxième génération. En accord avec la littérature économique, le pays de naissance du père est d’abord pris en considération pour déterminer l’origine d’une personne. Si l’origine du père est inconnue ou si le père est né en Belgique, l’origine de la mère est alors prise en compte.
Selon les principes décrits ci-dessus, en 2016, 69,8 % de la population belge sont identifiés comme des natifs, 16,5 % comme des immigrés de la première génération et 13,7 % comme des immigrés de la deuxième génération. La distinction entre les immigrés européens (UE) et extra-européens (hors UE) est répartie plus ou moins équitablement entre la première et la deuxième génération, avec une proportion légèrement plus élevée d’immigrés extra-européens (respectivement 53,1 et 52,3 % pour la première et la deuxième génération). Une ventilation des immigrés de la première génération en groupes d’origine plus détaillés montre que les plus nombreux sont ceux nés dans un pays de l’UE14 (UE15 à l’exception de la Belgique) (36 %), suivis de ceux nés au Maghreb (14 %), en Afrique subsaharienne (12 %), dans un pays de l’UE13 (nouveaux États membres) (11 %), dans un autre pays européen, dans un pays candidat à l’adhésion à l’UE (y compris la Turquie) et au Proche-et Moyen-Orient (6 % chacun), en Amérique latine, dans un autre pays d’Asie, en Océanie et en Extrême-Orient (3 % chacun).Enfin, les moins représentées sont les personnes nées en Amérique du Nord (1 %).
On observe une grande hétérogénéité entre les Régions. Les individus issus de l’immigration représentent une beaucoup plus grande part de la population à Bruxelles (71,8 %, parmi lesquels 6 sur 10 sont des immigrés de la première génération), qu’en Wallonie (31,1 %, parmi lesquels un peu plus 5 sur 10 sont des immigrés de la première génération) et qu’en Flandre (22,1 %, parmi lesquels 55 % sont des immigrés de la première génération). En outre, les personnes vivant à Bruxelles ont plus souvent des origines extra-européennes, et cela est d’autant plus vrai pour les immigrés de la deuxième génération (72 % sont d’origine extra-européenne). L’inverse est vrai en Wallonie, où la majorité des immigrés sont d’origine européenne : 55 % pour la première génération et 63 % pour la deuxième. La Flandre occupe une position intermédiaire, avec 44 % d’immigrés d’origine européenne.
Si on compare les groupes d’origine par tranche d’âge, on observe que 75 % des immigrés de la première génération sont en âge de travailler (âgés de 20 à 64 ans), tandis que cette proportion est de 57 % pour les natifs et de 50 % pour les immigrés de la deuxième génération. La population native est plus souvent en âge d’être à la retraite (22 %, contre 13 % pour les immigrés de la première génération et à peine 4 % pour la deuxième génération), alors que les immigrés de la deuxième génération ont le plus souvent moins de 20 ans (46 %, contre 21 % pour les natifs et 12 % pour les immigrés de la première génération). Cette répartition, ainsi que les différences de taux d’emploi présentées dans la partie II, ont une influence significative sur les résultats de l’analyse des finances publiques.
[1] Compte tenu des procédures d’accès et des délais nécessaires à la BCSS pour collecter les données, les données que nous avons pu obtenir datent de 2016, dernière année disponible. Cette base de données inclut toutes les personnes présentes dans le Registre national, de sorte que les immigrés sans permis de séjour ainsi que les demandeurs d’asile, les travailleurs détachés, les immigrés temporaires ou saisonniers ne sont pas repris dans l’analyse.
[2] Tout au long de l’étude, nous entendons par UE l’UE28 avant le brexit.
Partie I : Immigration et finances publiques
Ces dernières années, diverses recherches ont été consacrés à la manière de mesurer avec précision l’impact de l’immigration sur les finances publiques. Il n’y a à cet égard pas de réponse simple, de nombreux et différents facteurs étant interconnectés de manière très complexe à l’échelle macroéconomique. La principale approche suivie dans cette partie de l’étude adopte un point de vue partiel en analysant dans quelles mesures les immigrés contribuent aux recettes publiques et sont les bénéficiaires des dépenses publiques, la combinaison de ces deux résultats donnant leur contribution nette aux finances publiques. Cette approche statique est un instantané qui reflète la situation à un moment donné et qui n’intègre aucun effet indirect ou effet dynamique. Le modèle développé dans la dernière partie de l’étude complète l’analyse en simulant les principales interactions macroéconomiques qui sont en jeu. Les deux approches ne sont toutefois pas directement comparables, cette dernière étant plus théorique.
L’extrait de la base de données de la BCSS qui a été utilisé aux fins de cette analyse s’est révélé très riche et a permis d’obtenir des résultats assez uniques pour la Belgique (pour laquelle il existe très peu d’autres analyses). Les transferts reçus par les individus sont estimés sur la base des prestations de pension, allocations de chômage, allocations familiales, dépenses en soins de santé, prestations d'aide sociale, et des allocations de maladie ou d’invalidité. Les transferts payés par les particuliers sont estimés sur la base des cotisations de sécurité sociales et des taxes.
Les transferts nets s’obtiennent en soustrayant les transferts reçus par les individus des transferts versés par les individus à l’État. Toutefois, le fait que le niveau de ces transferts nets soit positif ou négatif dépend largement des différentes composantes des transferts qui ont été prises en compte lors de cet exercice (tous les postes des dépenses et des recettes ne sont pas couverts[1]), ainsi que de la situation budgétaire en vigueur durant l’année choisie. Dès lors, les résultats de cet exercice sont présentés sous la forme de différences par rapport à la moyenne du pays. Ainsi, un chiffre positif indique qu’il s’agit d’un groupe pour lequel les transferts nets sont supérieurs à la moyenne, tandis qu’un chiffre négatif signale que la contribution nette aux finances publiques de ce groupe est inférieure à la moyenne. Un avantage supplémentaire de cette approche réside dans le fait qu’elle donne exactement les mêmes résultats que lorsque toutes les autres dépenses publiques et recettes publiques – celles qui ne sont pas explicitement couvertes dans le cadre de l’approche proposée – sont réparties par tête de manière égale entre tous les résidents.
Les différents types de transferts, reçus et versés par les individus, sont fortement liés à l’âge. Au niveau agrégé, les transferts reçus par les individus augmentent progressivement avec l’âge jusqu’aux environs de 60 ans, moment où ils affichent une hausse significative correspondant aux prestations de pension. Les transferts payés par les individus augmentent eux aussi avec l’âge, jusqu’aux alentours de 50 ans, moment où ils commencent à diminuer, ce qui reflète dans une large mesure le parcours professionnel de la plupart des travailleurs. Le taux d’emploi, de même que le niveau de salaire perçu, sont donc des éléments déterminants pouvant expliquer les différences en termes de transferts payés.
[1] Nous avons fait le choix délibéré de limiter l’analyse aux transferts versés et reçus par l’État. Les transferts sont par définition des paiements sans contrepartie directe. Il s’agit donc de transactions purement distributives. D’autres dépenses individualisables, comme l’éducation, ne sont pas prises en compte dans l’analyse. D’un point de vue théorique, il est impossible de définir les bénéficiaires finaux de ces dépenses : il s’agit bien sûr des étudiants eux-mêmes, mais aussi des employeurs et de la société dans son ensemble. En outre, le choix d’inclure ce type de dépenses dans l’analyse poserait problème en raison du manque d’informations détaillées.
L’analyse menée indique que la contribution nette des immigrés de première génération aux finances publiques est inférieure à la moyenne, alors que la contribution nette de la deuxième génération est supérieure à la moyenne et supérieure à la contribution nette des natifs.
Concernant les immigrés de première génération, ces différences de contribution sont dans une large mesure imputables aux différences observées au niveau des transferts versés par les individus : moins d’impôts et de cotisations sociales sont payés. Il s’agit là d’une conséquence directe des différences en termes de taux d’emploi entre les groupes. Mais les salaires moyens plus faibles des personnes qui ne sont pas nées en Belgique jouent également un rôle. Les écarts en matière de transferts reçus sont plus faibles et peuvent être attribués à la situation sociale moyenne des différents groupes de population. Là encore, l’accès au marché du travail joue un rôle important pour expliquer ces différences puisque les travailleurs affichent un niveau de transferts reçus similaire quelle que soit leur origine.
L’analyse des transferts nets fournit également quelques éclaircissements intéressants quant aux différences entre divers groupes d’immigrés de la première génération. Elle montre en effet que la contribution nette des personnes nées en dehors de l’UE est inférieure à celle des personnes nées dans l’UE, une situation qui peut de nouveau être mise en relation avec leur taux d’emploi plus faible et leur salaire moyen inférieur.
Lorsqu’on met l’accent sur le groupe des immigrés récents de première génération, définis comme les immigrés qui sont arrivés en Belgique au cours des cinq dernières années (groupe sur lequel l’analyse d’équilibre général se concentre également, cf. partie III), on constate qu’au niveau agrégé, leur contribution nette est supérieure à la moyenne pour la Belgique, mais pas aussi élevée que pour les natifs. La ventilation par grands groupes de pays d’origine fait apparaître que les individus nés dans des pays de l’UE et récemment établis en Belgique affichent des transferts nets largement supérieurs à la moyenne nationale. Le groupe d’origine extra-européenne présente des contributions relativement plus faibles que la moyenne pour la Belgique et que les autres groupes, ainsi qu’un taux d’emploi beaucoup plus bas.
Contrairement aux immigrés de première génération, la contribution nette de la deuxième génération est supérieure à la moyenne du pays et supérieure à la contribution nette des natifs. Ce résultat reflète clairement des différences de structures d’âge entre les groupes. La deuxième génération est en moyenne plus jeune que la population native. Évaluée sur l’ensemble de la vie active, la contribution de la deuxième génération demeure plus élevée que celle de la première, mais inférieure à celle des natifs. Outre la structure par âge, le taux d'emploi de la deuxième génération joue également un rôle; il est supérieur au taux d'emploi des immigrés de la première génération, mais inférieur à celui des natifs.
Ces résultats étant (en partie) liés aux différences de taux d’emploi, augmenter le taux d’emploi des immigrés (et de leurs enfants) est essentiel en vue d’accroître leur contribution aux finances publiques.
Partie II : L’intégration des immmigrés de la première et de la deuxième génération sur le marché du travail
Les résultats présentés dans la partie consacrée aux finances publiques dépendent, on l’a vu, largement du degré d’intégration des immigrés sur le marché du travail. Dans la plupart des pays européens celle-ci tend à être plus faible que pour les natifs. En 2019, en moyenne au sein de l’UE, l’écart moyen de taux d’emploi entre les natifs et les immigrés de la première génération s’élevait à 5 points de pourcentage pour la population âgée de 20 à 64 ans. Néanmoins, on observe une différence notable au sein de la population immigrée. Ceux qui sont nés dans l’UE ont un taux d’emploi très proche, voire supérieur à celui des natifs dans l’ensemble des pays. Pour les immigrés d’origine extra-européenne, occuper un emploi pose beaucoup plus de difficultés : dans ce groupe, l’écart de taux d’emploi se chiffre en moyenne à 9 points de pourcentage dans l’UE.
La Belgique ne constitue pas une exception. Elle fait même partie des pays affichant les plus mauvaises performances. Elle enregistre un des taux d’emploi les plus faibles pour les immigrés de la première génération dans l’UE, juste derrière la Grèce et la France. En 2019, 61 % de ces immigrés avaient un emploi, soit près de 12 points de pourcentage de moins qu’une personne née en Belgique. Si l’écart n’est pas aussi grand pour les immigrés venant d’un autre pays de l’UE (2 points de pourcentage par rapport aux natifs et un taux d’emploi de 71 %), le taux d’emploi des immigrés extra-européens ne dépassait pas 54 %, soit près de 19 points de pourcentage de moins que les natifs. Réduire l’écart de taux d’emploi entre Belges et étrangers extra-européens faisait partie de la stratégie EU2020. Aucune amélioration significative n’a toutefois été notée à cet égard au cours des dix dernières années.
Le niveau d’éducation est l’argument le plus souvent cité pour expliquer le taux d’emploi plus faible des immigrés. La base de données fournies par la BCSS donne un aperçu de la façon dont les taux d’emploi et de participation des immigrés de la première et de la deuxième génération diffèrent selon leurs caractéristiques personnelles (âge, genre, niveau d’éducation, Région de résidence et type de ménage). Elle offre la possibilité d’analyser si ces caractéristiques permettent ou non d’expliquer les écarts par rapport aux natifs.
Si l’écart moyen en termes d’intégration sur le marché du travail entre immigrés de la première génération et natifs observé sur la base d’une comparaison internationale est important, notre analyse montre qu’il demeure considérable et significatif même après la prise en compte des caractéristiques personnelles, en particulier pour les immigrés extra-européens. Ces caractéristiques ne suffisent donc pas à expliquer les plus mauvais résultats sur le marché du travail des immigrés de la première génération par rapport aux natifs. Les décompositions d’Oaxaca-Blinder, permettant de distinguer les écarts entre les parties expliquées et les parties inexpliquées, montrent que seul 18 % de l’écart en termes d’emplois entre immigrés de la première génération et natifs s’explique par les caractéristiques identifiées (30 % pour les immigrés européens, 15 % pour les immigrés extra-européens), alors que les caractéristiques personnelles analysées n’expliquent en rien l’écart en termes de participation, ni pour les immigrés européens ni pour les extra-européens.
L’analyse relative à la deuxième génération fait apparaître une amélioration de l’intégration sur le marché du travail par rapport aux immigrés de la première génération. Les écarts restent toutefois importants, avec une pénalité de 10 points de pourcentage pour la probabilité d’emploi et de 5 points de pourcentage pour la probabilité de participation au marché du travail par rapport aux natifs. Les historiques migratoires différents des pays de l’UE rendent la comparaison internationale difficile. La situation de la Suède est néanmoins similaire à celle de la Belgique, tant en termes de proportions de sa population d’immigrés de la première et de la deuxième génération qu’en ce qui concerne l’écart en termes d’emploi entre les immigrés de la première génération et les natifs. Les résultats de la Belgique sont inférieurs à ceux de la Suède pour la deuxième génération, ce qui indique qu’il subsiste une marge de progression en Belgique s’agissant de l’intégration sur le marché du travail des immigrés de la deuxième génération.
Pour les immigrés de la deuxième génération, une part bien plus grande de l’écart s’explique par des caractéristiques personnelles. Près de la moitié des écarts en termes d’emploi et de participation entre les immigrés de la deuxième génération et les natifs s’explique par leurs différences de caractéristiques personnelles. Alors que quasiment les trois quarts des deux écarts s’expliquent pour les immigrés européens de la deuxième génération, ce n’est le cas que d’un tiers pour les immigrés extra-européens.
Bien que notre analyse montre une hausse de la part qui s’explique pour les immigrés de la deuxième génération, cela ne signifie pas que l’écart vis-à-vis des natifs soit justifié. En fait, si le plus faible niveau d’éducation chez les immigrés de la deuxième génération explique une partie plus importante de leurs différences d’intégration sur le marché du travail par rapport aux natifs, ils n’ont pas les mêmes opportunités pour atteindre un niveau d’études supérieur. Ce constat a été formulé par Danhier et Jacobs (2017), qui estiment que la Belgique affiche, parmi les pays de l’OCDE, le niveau d’équité le plus faible en termes d’origine dans son système éducatif, ainsi qu’un niveau élevé de ségrégation basé sur les performances scolaires.
Outre les caractéristiques personnelles, d’autres facteurs propres aux immigrés peuvent fournir un éclairage sur les raisons pour lesquelles ils éprouvent plus de difficultés que les natifs à entrer sur le marché du travail et à trouver un emploi. Premièrement, le canal de migration utilisé par les immigrés affecte leurs résultats sur le marché du travail. En Belgique, le principal canal de migration enregistré dans les données administratives est le regroupement familial (41 %), suivi par le travail (27 %) et la protection internationale ou la régularisation (21 %). Près de la moitié des immigrés extra-européens sont arrivés via des procédures de regroupement familial, alors que cette procédure n’est que le deuxième canal pour les immigrés européens, pour qui le travail est le principal canal de migration enregistré, avec 49 %. Nos estimations indiquent que la probabilité d’avoir un emploi pour les personnes migrant via des canaux de regroupement familial ou de protection internationale est inférieure de 30 points de pourcentage et leur probabilité de participer au marché du travail inférieure de 34 points de pourcentage par rapport aux migrants venus pour l’emploi.
La nationalité des personnes constitue un deuxième facteur explicatif d’une meilleure intégration sur le marché du travail. Nos résultats font apparaître que, toutes autres choses restant égales, la probabilité d’occuper un emploi pour un immigré de la première génération ayant la nationalité belge dépasse de 9 points de pourcentage celle d’un immigré de la première génération de nationalité étrangère. La différence est de 10 points de pourcentage en ce qui concerne la probabilité d’être actif. Ce résultat pourrait en partie être imputable au fait que les personnes qui demandent la nationalité belge sont également celles qui sont mieux intégrées ou qui désirent rester sur le territoire pour une plus longue période. Toutefois, lorsqu’on compare les différences de probabilités d’emploi entre les immigrés européens et extra-européens, les résultats montrent que l’acquisition de la nationalité représente un avantage significatif pour les immigrés extra-européens. Les immigrés européens, en revanche, bénéficient déjà des avantages liés à l’appartenance à l’UE ; ils sont donc moins susceptibles de demander la nationalité belge.
Troisièmement, la reconnaissance des diplômes et des compétences acquis à l’étranger par les immigrés de la première génération est essentielle pour augmenter leurs chances de trouver un emploi, car elle résout le problème de l’asymétrie d’information entre les employeurs potentiels, qui ne savent pas si le diplôme est conforme aux requis nationaux, et les immigrés. Cette question est particulièrement cruciale pour les immigrés extra-européens, pour lesquels la reconnaissance n’est pas aussi facile que ce que permet le système de Bologne pour les immigrés ayant étudié dans un pays de l’UE.
Le quatrième facteur explicatif a trait à l’acquisition de capital humain (qui augmente avec le nombre d’années de résidence) : des études de plus en plus nombreuses suggèrent que la compétence qu’affichent les immigrés dans la langue du pays d’accueil est capitale pour leur intégration économique et sociale. Le réseau social joue également un rôle clé pour faciliter l’entrée sur le marché du travail. Néanmoins, la qualité de ce réseau est essentielle pour éviter de ne trouver que des opportunités d’emploi limitées et peu rémunératrices. Les projets de mentorat peuvent contribuer à établir des liens entre des nouveaux arrivants et des natifs.
Enfin, bien que la discrimination soit illégale, elle demeure une réalité pour les personnes d’origine étrangère lorsqu’elles postulent à un emploi. En utilisant l’envoi de CV fictifs présentant des caractéristiques identiques mais des noms différents à des employeurs, la littérature économique fournit des éléments montrant qu’une telle discrimination à l’embauche fondée sur l’origine ethnique existe bel et bien. La discrimination a différentes sources. Elle peut, d’une part, tenir à des préférences (discrimination « fondée sur les préférences ») : les membres de la majorité traditionnelle souhaitent éviter les interactions avec des travailleurs de la minorité. Elle peut, d’autre part, s’expliquer par une « discrimination statistique » : en raison de l’asymétrie d’information sur la productivité du candidat, l’employeur examine les statistiques sur les performances moyennes du groupe auquel le candidat appartient, en vue d’estimer sa productivité. La littérature n’est pas unanime sur la question de savoir quel effet domine, les deux motifs peuvent donc jouer un rôle.
À ce stade, l’analyse n’a pas fourni assez d’éléments permettant de comprendre entièrement les plus mauvais résultats des immigrés par rapport aux natifs et les mauvaises performances de la Belgique en ce qui concerne l’intégration sur le marché du travail. Fondée sur une nouvelle base de données comprenant l’ensemble des pays de l’UE durant la période 2006-2019 et fusionnant des informations issues de différentes sources, une analyse économétrique teste 25 variables explicatives[1], comprenant des caractéristiques personnelles des immigrés, pour expliquer les écarts en termes d’emploi et de participation au marché du travail entre les immigrés (extra-européens) de la première génération et les natifs.
Les résultats montrent une fois encore que l’éducation est un facteur essentiel pour expliquer les écarts en matière d’emploi et de participation au marché du travail entre les immigrés de la première génération et les natifs, bien qu’il ne soit pas le seul. Les résultats sont moins solides si on se concentre sur les immigrés extra-européens. D’une part, un haut niveau d’éducation (basé sur leur propre déclaration) est moins avantageux pour un immigré extra-européen, probablement à cause de la question de la reconnaissance des diplômes. D’autre part, un faible niveau d’éducation leur est moins préjudiciable. Cela pourrait notamment s’expliquer par le fait qu’ils sont davantage actifs dans des secteurs intensifs en main-d’œuvre faiblement qualifiée et qu’ils sont plus disposés que les natifs à accepter des salaires peu élevés. Cela accroît leurs chances de trouver un emploi par rapport aux natifs.
La surreprésentation des immigrés, en particulier des immigrés extra-européens, dans des emplois faiblement rémunérés se reflète également dans les résultats obtenus pour le taux de revenu de remplacement net. Un taux de remplacement élevé en cas de chômage renforce l’effet du piège à l’emploi et cet effet est plus prononcé pour les immigrés (extra-européens) pouvant percevoir ces allocations.
S’agissant de la protection de l’emploi dans les contrats réguliers, nos conclusions confirment la thèse exprimée dans la littérature, selon laquelle un niveau de protection plus élevé réduit l’écart en termes d’intégration sur le marché du travail entre immigrés et natifs. Les immigrés, qui sont généralement moins au courant des réglementations relatives à la protection du travail, sont moins susceptibles de revendiquer leurs droits, et il est de ce fait moins coûteux pour certains employeurs d’embaucher des immigrés plutôt que des natifs.
Les rigidités sur le marché du travail, telles qu’un niveau élevé d’ancienneté professionnelle, rendent l’accès au marché du travail plus difficile pour les individus qui ne sont pas encore actifs, en raison d’une plus faible rotation entre entreprises. Un taux de syndicalisation plus grand creuse également l’écart avec les natifs en termes tant d’emploi que de participation au marché du travail. Un taux plus élevé de syndicalisation tend en effet à favoriser les travailleurs établis (insiders) plutôt que les personnes au chômage ou les nouveaux entrants (outsiders) et les immigrés sont surreprésentés dans les outsiders.
Au vu de leur faible variabilité dans le temps, il convient de considérer les résultats concernant les politiques d’intégration des immigrés avec prudence. Cela étant, plusieurs conclusions intéressantes se dégagent de l’analyse. Les politiques d’activation visant à promouvoir la mise à l’emploi ainsi que le soutien général en faveur d’une meilleure accessibilité du marché du travail tendent à creuser les écarts entre les immigrés et les natifs en matière d’emploi et de participation. Ces types de politiques atteignent moins les immigrés, faute de les cibler spécifiquement, alors qu’elles se montrent efficaces pour les natifs, qui en bénéficient davantage. Pour améliorer significativement l’accès des immigrés au marché du travail, les politiques ciblées ont tendance à être plus efficaces.
L’accès à l’éducation est associé à une meilleure intégration des immigrés sur le marché du travail par rapport aux natifs et ce constat se vérifie pour tous les types d’immigrés. La conception de politiques d’éducation axées spécifiquement sur les immigrés est également bénéfique. Pourtant, l’incidence positive disparaît lorsqu’on examine l’emploi des immigrés d’origine extra-européenne. De fait, ces derniers sont temporairement tenus à l’écart du marché du travail le temps de mettre leurs compétences à niveau, l’effet non significatif qui s’exerce sur leur taux d’emploi pourrait toutefois être contrebalancé par une incidence positive sur la qualité de leurs emplois.
Les politiques destinées à encourager les immigrés à prolonger leur séjour dans le pays tendent à réduire les écarts en matière d’emploi et de participation au marché du travail par rapport aux natifs. À cet égard, l’outil le plus efficace consiste à faciliter l’accès au séjour permanent, là où les autres indicateurs, le regroupement familial et l’accès à la nationalité, n’apportent pas toujours des résultats concluants.
Enfin, les politiques antidiscriminatoires sont efficaces pour réduire l’écart entre les immigrés et les natifs en matière d’intégration sur le marché du travail si on considère l’ensemble des immigrés de la première génération. Cela dit, l’incidence positive est moins évidente en ce qui concerne les immigrés d’origine extra-européenne. Comme pour les politiques d’activation ou d’éducation, il se peut que les politiques antidiscriminatoires ne ciblent pas suffisamment les immigrés, dans la mesure où elles sont souvent associées à d’autres caractéristiques potentielles entraînant une discrimination fondée sur le genre, l’âge, le handicap, etc.
Ces constats apportent une explication cohérente aux résultats relativement médiocres qu’obtient la Belgique en matière d’intégration des immigrés sur le marché du travail. En comparaison de la moyenne des pays analysés, la Belgique accueille proportionnellement moins d’immigrés hautement qualifiés et plus d’immigrés moins qualifiés. Les rigidités qui caractérisent notre marché du travail pourraient également constituer un facteur explicatif. De plus, rares sont les politiques qui sont spécifiquement conçues pour aider les immigrés dans leur recherche d’emploi. Il n’en reste pas moins que certaines politiques, pour lesquelles la Belgique obtient de bien meilleurs résultats, sont de nature à stimuler l’intégration des immigrés sur le marché du travail, notamment celles qui visent à favoriser l’accès au séjour permanent ainsi qu’à l’éducation, celles qui ciblent les besoins d’éducation spécifiques ainsi que les politiques antidiscriminatoires fortes. Il subsiste toutefois une marge d’amélioration possible dans le cas des politiques d’éducation et d’anti-discrimination en comparaison des pays obtenant les meilleurs résultats en la matière, en particulier en ce qui concerne les politiques d’éducation.
Partie III : Analyse d’équilibre général de l’immigration en Belgique
Les deux premières parties de l’étude décrivent l’immigration en Belgique, en analysant la situation des immigrés sur le marché du travail ainsi que leur contribution aux finances publiques. Dans cette troisième et dernière partie, l’accent se portera sur une estimation de l’incidence agrégée de l’immigration récente sur l’économie, avec une attention particulière à ses effets sur les natifs[2] et sur les immigrés déjà établis en tenant compte des effets directs et indirects. Au nombre des incidences estimées figurent les effets démographiques de l’immigration, de même que ses effets agrégés sur l’emploi, sur les taux de chômage et de participation, sur les salaires, sur les revenus nets, sur le bien-être ainsi que sur le PIB et sur le PIB par habitant.
Pour y parvenir, un modèle d’équilibre général a été spécifiquement mis au point. Afin d’évaluer l’incidence de l’immigration, un scénario de base a été construit en calibrant le modèle à la situation économique de la Belgique et en excluant les immigrés qui sont arrivés en Belgique au cours des cinq dernières années (dénommés ci-après « immigrés récents »). Ensuite, l’incidence économique de l’immigration est calculée en comparant ce scénario de base (abstraction faite de l’immigration récente) à une situation dans laquelle les immigrés récents sont à nouveau inclus (en établissant une distinction entre les immigrés originaires d’un État membre de l’UE et les immigrés hors UE)[3].
Le premier constat à tirer est que l’immigration influe sur l’économie au travers de la composition de la population. D’un point de vue démographique, l’immigration récente a entraîné un accroissement de la population de 2,7 %, répartis équitablement entre immigrés d’origine européenne et extra-européenne. L’afflux d’immigrés est constitué en grande partie d’une population jeune. Les immigrés retraités sont quant à eux presque intégralement arrivés il y a plus de cinq ans. L’immigration récente réduit donc la proportion de personnes retraitées dans la population. Les immigrés récents présentent aussi une probabilité légèrement plus élevée d’être hautement éduqués[4] que la population native en Belgique (ce constat s’applique au nouvel afflux d’immigrés d’origine européenne et, dans une moindre mesure, d’origine extra‑européenne) et que les immigrés déjà établis.
L’effet agrégé de l’immigration sur les salaires s’avère proche de zéro, mais il n’est pas réparti équitablement entre les individus. Si les salaires des natifs augmentent légèrement (0,4 %), l’incidence est clairement négative pour les immigrés établis (-2 %). Conformément aux principes de complémentarité et de substitution sur les plans des compétences, de l’âge et de l’origine dans la fonction de production, une offre plus importante de jeunes immigrés hautement qualifiés entraîne la demande de main-d’œuvre à la hausse et fait grimper les salaires de la main‑d’œuvre complémentaire (autrement dit les travailleurs moins qualifiés, les personnes plus âgées et les natifs), tout en comprimant les salaires des travailleurs plus substituables aux immigrés récents, en particulier les jeunes immigrés hautement qualifiés déjà établis.
La modélisation d’un secteur public simplifié révèle que l’incidence de l’immigration sur les finances publiques constitue un ajout important à l’effet de l’immigration sur les salaires. L’augmentation calculée des dépenses publiques (+2,2 %) est inférieure à la croissance de la population (+2,7 %). Par conséquent, la vague récente d’immigrés fait peser un fardeau moins lourd que la moyenne sur les dépenses publiques, principalement grâce au jeune âge de ces personnes. L’assiette fiscale augmente dès lors de 3,4 %. Puisque cette dernière progresse davantage que les dépenses publiques sous l’effet de l’immigration récente et que les administrations publiques sont supposées maintenir un budget en équilibre, le taux d’imposition sur le revenu est abaissé, de 0,6 point de pourcentage. Bien qu’elles soient obtenues suivant des méthodologies différentes et qu’elles ne soient pas directement comparables, les contributions publiques nettes positives observées dans le modèle d’équilibre général sont conformes aux transferts nets positifs constatés dans la première partie de l’étude concernant les vagues récentes d’immigration.
La réduction du taux d’imposition sur les revenus entraîne un effet positif sur le revenu net pour tous les travailleurs, en réduisant ou en inversant la baisse des salaires nets des personnes susceptibles d’être remplacées par les immigrés récents et en augmentant le salaire net des travailleurs complémentaires. En moyenne, le revenu net par personne augmente de 0,7 %.
La décision d’intégrer ou non le marché du travail est dictée par le revenu net des individus une fois qu’ils sont occupés. Les travailleurs qui y perdent au niveau du revenu net (c’est-à-dire les immigrés faiblement qualifiés âgés de 20 à 34 ans et les immigrés hautement qualifiés âgés de 20 à 49 ans) réduisent leur participation au marché du travail, tandis que les personnes qui voient leur revenu net augmenter l’intensifient. Même si la plupart de la population accroît sa participation au marché du travail, la variation agrégée de celle-ci demeure limitée. Ce constat s’explique par la part accrue d’immigrés dans la population, dont la participation progresse tout en restant sensiblement plus faible que celle des natifs.
[1] Ces variables sont les suivantes : caractéristiques personnelles des immigrés (âge, genre, niveau d’éducation élevé ou faible), histoire de l’immigration (part dans la population), environnement économique (taux de chômage), caractéristiques du marché du travail (législation sur la protection du travail, emploi public, emploi indépendant, ancienneté professionnelle, taux de syndicalisation, taux de remplacement net et mesures de politique sur le marché du travail), et indicateurs de la politique d’intégration (12 sous-indicateurs MIPEX).
[2] La population de natifs inclut les immigrés de la deuxième génération en raison de la disponibilité de données.
[3] Pour pouvoir réaliser ce type d’analyse, nous devons définir différents scénarios afin de calculer l’écart entre le scénario de base (à l’exclusion de l’immigration de ces cinq dernières années) et le scénario estimé (incluant ce flux migratoire). Nous ne pouvons pas mesurer l’effet économique total de l’entièreté de l’historique migratoire belge.
[4] Il est généralement vrai que les immigrés récents sont plus souvent hautement éduqués, principalement en raison de l’immigration temporaire de travailleur hautement qualifiés. De plus, la fusion des personnes peu et moyennement éduquées (nécessaire pour éviter de complexifier encore plus le modèle et en raison de la non disponibilité des élasticités de substitution pour trois groupes de niveau d’éducation) masque la plus grande proportion d’immigrés peu éduqués en Belgique.
Une fois en emploi, les immigrés présentent un taux de séparation plus élevé : soit parce qu’ils sont licenciés, en raison d’une inadéquation d’information entre les employeurs et les immigrés sur leurs compétences au moment de leur recrutement et sur la productivité avérée une fois embauchés, soit parce que les immigrés décident de démissionner afin de regagner leur pays d’origine. Cela signifie qu’en dépit d’une offre de main-d’œuvre potentielle plus étendue, les entreprises évaluent le coût de l’ouverture d’un nouveau poste vacant comme étant plus élevé qu’auparavant et ont de ce fait tendance à créer moins d’emplois. A contrario, la diminution des salaires des immigrés établis les rend moins coûteux à embaucher, ce qui augmente l’incitation à la création d’emplois. De manière générale, ces deux effets se neutralisent, si bien que l’incidence moyenne sur les immigrés établis est très proche de zéro. En ce qui concerne les natifs, l’élévation des salaires n’est pas suffisante pour compenser le moindre risque de séparation que pour les immigrés, de telle sorte qu’ils présentent un taux de chômage plus faible.
Si on combine les effets sur le chômage tant pour les immigrés établis que pour les natifs avec l’afflux de nouveaux arrivants (éprouvant en moyenne plus de difficultés à trouver un emploi), le taux de chômage agrégé croît de 0,2 point de pourcentage.
Les individus évaluent favorablement la consommation non seulement d’une plus grande quantité de biens (lorsque leur revenu augmente) mais aussi d’une plus grande variété de biens. Le modèle suppose que chaque entreprise produit une variété de biens. L’augmentation du revenu net dans l’économie et le nombre accru de travailleurs occupés permettent à davantage d’entreprises d’entrer sur le marché, si bien qu’une plus grande diversité de biens peut être produite. En conséquence, le bien-être des individus augmente davantage que le revenu net (+1,2 % contre +0,7 %).
En cumulant les différents canaux d’incidence, on montre que l’immigration récente a influencé positivement le PIB, le faisant progresser de 3,5 %. L’effet est positif pour les deux origines, étant entendu que la hausse est à attribuer à hauteur de 2 % à l’immigration intra‑européenne et de 1,5 % à l’immigration extra-européenne. Bien évidemment, l’immigration induit également un accroissement de la population. Cela étant, elle entraîne tout de même une élévation de 0,7 % du PIB par habitant.
Il importe de souligner que ces conclusions résistent aux variations de la valeur des paramètres exogènes (élasticités de l’offre de main-d’œuvre, de la substitution entre les groupes d’âge et d’origine ainsi que de la substitution entre biens). Bien que l’ampleur précise des variations en matière de salaire, de revenu ou de bien-être diverge, l’interprétation des résultats est similaire.
Enfin, il y a fort à croire que d’autres canaux d’incidence tels que les gains de productivité, l’innovation ou les barrières au commerce et aux investissements internationaux fournissent également une estimation positive de l’incidence de l’immigration sur l’économie. Rendre les hypothèses plus souples (autrement dit permettre aux natifs d’optimiser leur éventail de compétences pour qu’ils soient complémentaires des immigrés après un afflux de nouveaux immigrés ou instaurer un taux d’imposition progressif) devrait également amplifier les effets positifs de l’immigration sur l’économie obtenus par le modèle. Les résultats présentés ici doivent être considérés comme une borne inférieure des estimations de l’incidence économique de l’immigration en Belgique.
Messages principaux
La présente étude a pour but de dresser un aperçu de l’incidence économique de l’immigration en Belgique, en établissant une distinction entre les immigrés de la première génération et ceux de la deuxième ainsi qu’entre les immigrés d’origine européenne et ceux d’origine extra-européenne. Cette étude se concentre sur l’aspect économique de l’immigration. Une évaluation plus globale doit également prendre en compte d’autres considérations telles que les droits humains ou les lois internationales, notamment en ce qui concerne le droit à la protection et l’accueil des réfugiés.
D’après les données de la BCSS, en 2016, la population belge totale se composait de 69,8 % de natifs (nés en Belgique de parents également nés en Belgique), de 16,5 % d’immigrés de la première génération et de 13,7 % d’immigrés de la deuxième génération.
L’analyse de l’incidence de l’immigration sur les finances publiques montre que la contribution nette aux finances publiques d’une personne en âge de travailler à un certain moment dans le temps, dépend de sa position sur le marché du travail : elle est positive si la personne est en emploi et négative si elle est sans emploi. La structure d’âge des populations étudiées joue aussi un rôle prépondérant. La contribution nette aux finances publiques des immigrés de première génération est en moyenne inférieure à celle des natifs. Les différences sur le plan des contributions peuvent être attribuées dans une large mesure aux écarts en matière de transferts payés par les individus : les immigrés paient comparativement moins de taxes et de cotisations sociales. Ce constat est une conséquence directe des différences entre les taux d’emploi des groupes. Cependant, le niveau plus faible des salaires moyens des travailleurs nés hors des frontières belges joue également un rôle. Sur base des données pour 2016, la contribution nette aux finances publiques des enfants des immigrés de première génération (la deuxième génération) est en moyenne supérieure à celle des natifs, principalement en raison de leur structure d’âge jeune. Augmenter le taux d’emploi des immigrés (et de leurs enfants) est essentiel pour accroître leur contribution aux finances publiques.
Toutefois, la Belgique compte parmi les plus mauvais élèves de l’UE sur le plan de l’intégration des immigrés sur le marché du travail. En 2019, 61 % d’entre eux étaient en emploi, soit près de 12 points de pourcentage de moins que pour les natifs. Les caractéristiques personnelles n’expliquent que 18 % de cet écart. La deuxième génération présente une intégration au marché du travail plus favorable et une grande partie de l’écart par rapport aux natifs peut être expliquée (46 %), les opportunités en matière d’éducation semblant constituer leur principal désavantage. Le canal de migration n’est pas sans incidence sur les perspectives sur le marché du travail. Les personnes qui immigrent dans le cadre du regroupement familial ou de la protection internationale ont 30 points de pourcentage de chance en moins que les travailleurs migrants de trouver un emploi. L’acquisition de la nationalité, la reconnaissance des diplômes et des compétences, la maîtrise de la (des) langue(s) du pays d’accueil et la discrimination sont autant de facteurs qui influencent nettement l’intégration des immigrés. Les mauvais résultats obtenus par la Belgique dans ce domaine s’expliquent non seulement par le niveau d’éducation des immigrés mais aussi par les rigidités caractérisant le marché du travail belge, sans compter le fait que peu de politiques mises en place sont conçues spécifiquement pour aider les immigrés à trouver un emploi.
Un modèle théorique, calibré pour la Belgique, montre que sur les cinq dernières années, les flux migratoires ont exercé une incidence positive sur le PIB, le faisant grimper de 3,5 %. L’effet est positif tant pour les flux d’immigrés d’origine européenne que pour ceux d’origine extra-européenne, avec un accroissement de 2 % pour les premiers et de 1,5 % pour les seconds. Par ailleurs, aucun effet néfaste de l’immigration n’a été constaté pour les natifs en ce qui concerne les salaires, le chômage, la participation, le revenu net ou encore le bien-être. Les immigrés déjà établis, qui sont plus facilement substituables aux nouveaux arrivants, courent plus de risques de pâtir de la situation, un constat qui est appuyé par la littérature économique sur le sujet. L’effet positif au niveau agrégé dépend de l’intégration des immigrés sur le marché du travail. Un plus haut taux d’emploi sera dès lors associé à une plus grande augmentation du PIB et du PIB par habitant.