Les instruments de politique budgétaire qui visent à atténuer le changement climatique – Perspective belge

Article publié dans la Revue économique de Décembre 2021

Quels instruments budgétaires la Belgique met-elle en œuvre pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ? Qu’en est-il de leur rapport coût-efficacité et quel est leur incidence sur la redistribution ? 

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Digest

Introduction

Partout dans le monde, les pays s’engagent de plus en plus à ramener leurs émissions de gaz à effet de serre à un niveau net de zéro d’ici le milieu du siècle. Dans cette perspective, l’Union européenne a coulé son objectif de neutralité climatique dans la loi européenne sur le climat, récemment approuvée par le Parlement européen et par le Conseil. Conformément à cet objectif de zéro émission de carbone, la Commission européenne a proposé de relever les ambitions de l’UE en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre en ambitionnant de ramener celles-ci au moins 55 % en deçà du niveau de 1990 d’ici à 2030, soit nettement plus que l’objectif actuel qui est d’au moins 40 %. Dès lors, des mesures complémentaires seront nécessaires pour engranger des progrès suffisants pour stabiliser le climat, pour réduire les émissions mondiales de C02 et autres gaz à effet de serre et pour atteindre les objectifs intermédiaires.

Cet article traite du rôle des instruments de politique budgétaire dans la réalisation des objectifs climatiques proposés. Il s’intéresse plus particulièrement aux instruments d’atténuation, qui visent à réduire les émissions de gaz à effet de serre, et non aux politiques d’adaptation, qui permettent de faire face aux conséquences du changement climatique. Nous analysons différents instruments environnementaux en place en Belgique, en accordant une attention particulière aux instruments de politique budgétaire qui influent sur le coût privé des émissions de CO2, qu’on appelle également instruments axés sur le marché.

Les instruments axés sur le marché sont aussi repris sous l'appellation de politiques incitatives parce qu’ils fournissent aux pollueurs des incitants économiques à réduire la pollution en augmentant le coût relatif de celle-ci. Fondamentalement, ces instruments augmentent le coût d’opportunité de la pollution en rendant un comportement nuisible à l’environnement plus onéreux – les instruments basés sur les recettes – ou en prônant un comportement favorable à l’environnement – les subventions publiques. Les instruments basés sur les recettes reposent généralement soit sur le prix, comme une taxe carbone explicite qui majore directement le coût de la pollution, soit sur la quantité, comme un système d’échange de quotas d’émission. Ce dernier réduit directement la pollution et, en autorisant l’échange de quotas d’émission, augmente effectivement le coût de la pollution. De manière générale, les instruments budgétaires offrent une grande flexibilité aux pollueurs quant à la manière dont ils peuvent réduire leurs émissions et quant à l’identité de ceux qui devraient polluer moins.

1. Instruments budgétaires basés sur les recettes

Pour réduire la pollution, les taxes environnementales devraient idéalement avoir pour assiette le niveau réel de pollution, ce qui signifie que la taxe peut être directement reliée aux dommages causés à l’environnement. Lorsqu’il s’agit de taxer le recours à des sources d’énergie combustible, la quantité de carbone émise dans l’air constitue la base d’imposition correcte. La Belgique ne lève pas de taxe directe sur le carbone, mais il est possible de calculer un signal de prix implicite du carbone sur la base des instruments budgétaires belges existants. C’est ce que fait l’OCDE dans ses publications « Taxer la consommation d’énergie » (OCDE, 2019), où les accises existantes sur les carburants et le système d’échange de quotas d’émission de l’UE (EU Emissions Trading System – EU ETS) déterminent le signal de prix effectif du carbone pour différentes sources d’énergie (pour lequel la TVA n’est pas prise en considération).

La prise en compte du prix d’un quota d’émission de l’Union européenne est simple puisque l’EU ETS est conçu pour taxer directement la quantité de pollution causée par le secteur de l’industrie, c.-à-d. que les entreprises actives dans des industries à forte intensité énergétique doivent acheter des droits d’émission pour la quantité de CO2 qu’elles envoient dans l’atmosphère. Quant aux accises sur les combustibles, elles sont pleinement considérées comme une taxe sur l’énergie en faisant abstraction des autres motifs de taxation possibles.

Une comparaison des signaux de prix effectifs du CO2 entre différents pays européens révèle d’emblée une grande dispersion entre les pays et entre les activités. De manière générale, les émissions générées par le transport routier sont les plus lourdement frappées en termes de taxation effective du CO2 ; tel est également le cas en Belgique, qui se situe dans la moitié supérieure de classement européen. Les émissions de l’industrie, par contre, sont assez peu taxées dans la plupart des pays européens[1]. La Belgique occupe même la dernière place dans ce domaine puisqu’elle ne lève quasi aucune taxe hormis celles liées à l’EU ETS. S’agissant des émissions générées par le chauffage des bâtiments résidentiels et commerciaux, l’image est plus contrastée : le taux de taxation effectif est relativement élevé aux Pays-Bas mais relativement bas en France et en Allemagne. Ici aussi, la Belgique enregistre de très mauvais résultats.

 

[1]      La prise en compte de l'impact de l’EU ETS – ce qui n'est pas le cas dans les chiffres de l'OCDE (2019) – augmenterait bien sûr le taux moyen de taxation effectif moyen sur le carbone dans le secteur industriel. La taxation de ces émissions resterait toutefois largement inférieure à celle des émissions générées par le transport routier.

Le graphique 2 présente une analyse plus détaillée de la taxation effective des émissions de carbone en Belgique dans différents secteurs d’activité et pour différentes sources d’énergie. Ci-dessous, nous nous intéressons plus particulièrement aux signaux de prix du carbone qui en résultent pour chaque secteur d’activité.

Taxer les émissions du transport routier

Le secteur du transport routier représente près d’un quart du total des émissions de CO2 issues de la consommation d’énergie, comme le montre l’axe horizontal du graphique 2. Par rapport aux autres pays européens, la Belgique est celui où le diesel est le plus taxé, tandis que les pays voisins appliquent un taux d’imposition légèrement supérieur à l’essence. Dans la plupart des pays européens, le diesel bénéficie d’une remise, étant donné qu’il est taxé à des taux moins élevés que l’essence.

Si on convertit les taux d’accises sur les carburants automobiles pour obtenir leur signal de prix du carbone respectif, on constate que le prix de la pollution – l’émission de CO2 – varie considérablement entre ces carburants. Le régime fiscal n’est donc pas neutre sur le plan environnemental pour ce qui est de l’utilisation des sources d’énergie. Même si les taux d’accises sont identiques pour le diesel et l’essence, le taux effectif de la taxe sur le carbone pour l’utilisation de l’essence est plus élevé de près de 20 %. Du point de vue de la politique environnementale, pratiquer des taux d’imposition supérieurs pour le diesel serait judicieux. Cela s’avère néanmoins compliqué dans la mesure où bon nombre de gouvernements ont encouragé l’achat de véhicules diesel pendant longtemps.

Enfin, il est important de souligner que le signal de prix du carbone associé au transport routier est – au moins – partiellement contrebalancé par le traitement fiscal avantageux des voitures de société, qui induit une circulation automobile plus importante. En particulier lorsque cet avantage est combiné à une carte de carburant professionnelle, le coût de l’utilisation du véhicule est entièrement externalisé, puisque le coût marginal d’un kilomètre supplémentaire pour l’individu est nul.

Taxer les émissions résidentielles et commerciales

Les émissions résidentielles et commerciales sont principalement le fait du chauffage des bâtiments. En Belgique, les accises sur le mazout de chauffage sont négligeables, tant en termes absolus qu’en comparaison avec d’autres pays européens. L’analyse de la taxation effective moyenne du CO2 confirme que le signal de prix en matière de taxation de la pollution est très faible, en particulier par rapport à la taxation du CO2 émis par les sources d’énergie utilisées pour d’autres activités. De plus, la taxation effective des émissions de CO2 générées par le gaz naturel servant à chauffer les bâtiments est encore plus faible que pour le mazout de chauffage. Les taux d’imposition belges actuels sur les sources d’énergie employées pour le chauffage affectent à peine la quantité d’émissions produites et ne fournissent pas de signal de prix significatif internalisant le coût de la pollution et promouvant des sources d’énergie plus respectueuses de l’environnement.

Taxer les émissions de l’industrie

Les gaz à effet de serre émis par le secteur industriel représentent un tiers du total des émissions belges dues à la consommation d’énergie. Leur coût implicite en termes de taxation effective du carbone est uniquement déterminé par la présence de l’EU ETS, qui – selon les calculs de l’OCDE sur les taux de taxation effectifs du carbone (OCDE 2022, à paraître) – couvre environ la moitié de l’ensemble des émissions industrielles belges.

Les entreprises soumises à l’EU ETS doivent obtenir des quotas d’émission couvrant leurs émissions de carbone. L’EU ETS est un système à grande échelle de plafonnement des émissions et d'échange de droits d'émission conçu pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Dans ce cadre, une limite est fixée pour le total des émissions et un marché est créé sur lequel les entreprises peuvent s’échanger des quotas. L’efficacité de l’EU ETS en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre dépend du prix des quotas d’émission de l’UE. Depuis janvier 2019, la Commission européenne a mis en place un mécanisme particulier – la réserve de stabilité du marché – qui doit garantir le bon fonctionnement de ce marché en corrigeant les éventuelles défaillances provoquées par une offre excédentaire de quotas. Le prix du permis de l'UE ETS n'a cessé d'augmenter depuis lors, passant d'environ 25 euros par tonne de CO2 en 2019 à plus de 40 euros au printemps et à plus de 60 euros depuis l'automne 2021.

S’agissant de la taxation des émissions industrielles, il convient aussi de mentionner que le transport maritime international n’est pas concerné par l’EU ETS. Le secteur de l’aviation bénéficie, lui aussi, d’un traitement de faveur sur le plan de la taxation des émissions de carbone.

Taxer les émissions dans le secteur de l’électricité

La taxation effective des émissions provenant de l’utilisation de sources d’énergie combustible primaire servant à générer de l’électricité est aussi principalement déterminée par l’EU ETS, et donc par les variations du prix des quotas d’émission de l’UE. Contrairement à d’autres secteurs, aucun droit d’émission n’est alloué gratuitement aux producteurs d’électricité. Par conséquent, la forte hausse du prix des quotas d’émission de l’UE observée ces dernières années  pourrait avoir une incidence significative sur le coût de la production d’électricité.

En se basant sur un prix de 61 euros par quota d’émission de l’UE, ce qui correspond au tarif en vigueur à la mi-septembre 2021, on peut estimer le coût moyen du CO2 émis en utilisant du gaz naturel comme source d’énergie primaire à quelque 22 euros par MWh d’électricité produite. Pour d’autres sources d’énergie combustible, le coût moyen par MWh de production d’électricité est supérieur. Cela s’explique par un taux de rendement plus faible en termes de production d’électricité et par une teneur en CO2 plus élevée du combustible fossile. Ce coût pourrait ainsi dépasser 100 euros par MWh pour l’électricité produite avec du gaz de haut fourneau ou des déchets industriels non renouvelables. Le bilan énergétique de la Belgique publié par Eurostat permet d’estimer le coût moyen global de l'EU ETS pour la production d'électricité, y compris celle provenant de sources d'énergie n'émettant pas de CO2, à environ 10 euros par MWh.

L’incidence de l’EU ETS sur le contenu énergétique des prix au niveau du consommateur final est probablement plus élevée que le coût moyen total et est plus conforme à notre coût moyen estimé par MWh pour l’électricité produite en utilisant du gaz naturel. Cela est lié au fait que le prix du marché pour l’électricité est, la plupart du temps, déterminé par le prix de production marginal de l’électricité générée par les centrales au gaz naturel[2]. Ces centrales devant acheter des quotas d’émission pour couvrir leurs émissions de CO2, leur coût de production marginal est affecté par le prix des quotas d’émission. 

 

[2]      Une brève explication simplifiée du mécanisme de fixation des prix de l’électricité basé sur l’« ordre de mérite » des différentes technologies est disponible sous le lien suivant : https://www.febeg.be/fr/merit-order.

2. Instruments basés sur les dépenses

Outre les instruments précités du côté des recettes, des dépenses publiques ciblées peuvent également corriger le signal de prix et encourager la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

La majeure partie des dépenses publiques relatives à la réduction de la pollution ont pris la forme de subventions octroyées au moyen du système des certificats verts (2,4 milliards d’euros en 2019). Depuis 2002, le gouvernement fédéral et les trois régions ont mis sur pied des mécanismes de ce type, dans le but d’encourager la production d’énergie renouvelable. Les certificats verts sont des titres octroyés par les autorités aux producteurs d’électricité verte, qui sont censés accélérer le délai d’amortissement de l’investissement pour ces sources d’énergie propres. Cela concerne généralement des ménages qui investissent dans l’installation de panneaux solaires photovoltaïques. Les producteurs d’électricité verte se voient octroyer par les autorités publiques, proportionnellement à leur production, des certificats qu’ils peuvent se faire rembourser par des fournisseurs d’énergie (à un prix minimum garanti). Les fournisseurs ont effectivement besoin de ces certificats pour respecter leur obligation de livrer un certain quota aux autorités publiques, ce qui garantit de facto la fourniture d’une quantité correspondante d’électricité verte. En échange de cette obligation, les fournisseurs d’électricité peuvent répercuter les coûts des certificats verts sur les factures de leurs clients.  

En principe, ce mécanisme devrait être neutre pour le budget de l’État. Dans la pratique, toutefois, cela n’a pas toujours été le cas. Depuis 2009-2010, un écart important a été observé entre le niveau des dépenses relatives aux certificats verts et les recettes qui en découlent. Malgré des ajustements successifs au niveau régional, ces certificats se soldent toujours pour le moment par une charge de dette élevée, en particulier du côté wallon. Cette dette s’ajoute aux coûts des politiques que les consommateurs d’énergie ont déjà dû supporter, soit sous la forme d’impôts et de surtaxes, soit de la part des fournisseurs répercutant les coûts des certificats sur leurs factures d’électricité.

L’expérience des dispositifs de soutien pour les panneaux solaires et de leurs lacunes montre l’importance de concevoir des mécanismes de soutien qui ne favorisent pas des choix technologiques mais qui se concentrent plutôt sur la contribution à l’objectif de réduction de l’empreinte carbone. Pareille nouvelle approche devrait idéalement conduire à soutenir relativement davantage d’autres technologies, telles les pompes à chaleur. Un relèvement des taxes sur le carbone pour le gaz naturel de chauffage et/ou une réduction des surtaxes sur l’électricité atténueraient l’écart entre les prix du gaz et de l’électricité.  Cela pourrait contribuer à égaliser le niveau d'attractivité de technologies alternatives. Pour traiter le problème des apports en capitaux initiaux élevés des technologies efficientes, les autorités publiques pourraient recourir à des subventions. Ces prochaines années, les réglementations relatives à l’interdiction du mazout de chauffage ou même du gaz naturel comme sources de chauffage devraient augmenter la part des pompes à chaleur installées, dans la mesure où cela s’accompagnera d’un soutien adéquat.

3. Aspects de redistribution pour les ménages

L’imposition existante des produits énergétiques n’affecte pas de manière égale tous les ménages proportionnellement à leur niveau de revenu ou de consommation. Et cela vaut également pour toute réforme de la fiscalité indirecte incluant une taxe explicite sur le carbone. La manière dont l’effort est réparti au sein de la population est une donnée importante pour pouvoir corriger les distorsions sociales. Ces dernières pourraient conduire à une opposition à des réformes ciblant une diminution des émissions en utilisant le levier de la fiscalité indirecte pour gérer les signaux de prix.  

L’enquête sur le budget des ménages (Household Budget Survey) pour la Belgique permet de recenser quatre classes de revenus. Elle révèle que les ménages faisant partie du quartile de revenu le plus bas affectent une part plus faible de leur consommation aux carburants destinés aux transports que les autres ménages, plus riches. Cela signifie que des taxes supplémentaires sur ces carburants seraient progressives, c’est-à-dire que les ménages plus riches seraient proportionnellement taxés davantage que les plus pauvres, ce qui est une bonne chose en termes d’équité sociale.

En revanche, la part de la consommation d’électricité dans la consommation totale décroît clairement avec le revenu. Cela signifie qu’une taxe (carbone) supplémentaire sur l’électricité serait régressive. Il en va de même pour la part du chauffage dans le panier de consommation des ménages (gaz naturel et mazout de chauffage).

Comme de nombreux ménages se trouvant dans la partie inférieure de la distribution des revenus font face à des contraintes financières, ils ne seront pas en mesure d’atténuer la baisse de leur pouvoir d’achat à la suite de l’instauration de taxes sur le carbone. Cela risque d’engendrer une perte de bien-être. La politique sociale devrait essentiellement s’axer sur un soutien général aux revenus qui compense l’effet de revenu (négatif) découlant des hausses de prix des émissions de carbone, tout en préservant l’effet de substitution qui accroît relativement le prix des émissions de carbone. Ce soutien pourrait s’accompagner d’un accès plus facile et moins coûteux aux capitaux et aux subventions en faveur de technologies efficientes.

Cela étant, il y a lieu de nuancer les importants constats qui sont tirés ici pour seules quatre catégories de revenus. Compte tenu de l’hétérogénéité marquée au sein des groupes de revenus, notamment les différences entre zones urbaines et zones rurales, l’identification de potentiels « perdants » ou « gagnants » de la tarification de la pollution est un exercice complexe, si bien que les mesures adoptées devraient idéalement ne pas se baser uniquement sur le revenu des bénéficiaires.

4. Conclusion

Parvenir à limiter le réchauffement de la planète à 2°C, voire mieux encore à 1,5°C, au-dessus des niveaux préindustriels, requiert une diminution sensible des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale. Pour atteindre ces objectifs, des mesures gouvernementales supplémentaires s’imposent étant donné que les politiques actuelles visant à lutter contre le changement climatique s’avèrent insuffisantes. Les instruments axés sur le marché ou les instruments de politique budgétaire constituent des outils essentiels dans l’arsenal des autorités publiques. En augmentant le prix relatif de la pollution, les instruments reposant sur les mécanismes du marché soumettent les pollueurs à des incitants économiques pour réduire la pollution. En cela, ils encouragent les technologies à haut rendement énergétique, pour autant que les émissions de gaz à effet de serre fassent l’objet d’une tarification adéquate.

Idéalement, les instruments de fiscalité environnementale devraient utiliser comme base d’imposition le niveau réel de pollution, de sorte que la taxe puisse y être directement liée. Cependant, lorsqu’il s’agit de taxer l’utilisation de sources d’énergie combustible, il n’existe pas de taxe directe sur le carbone en Belgique : seul un signal de prix indirect peut être calculé au départ des instruments fiscaux existants.

Notre pays dispose d’une vaste marge pour accroître l’efficacité de la taxation du CO2. Les émissions générées par le transport routier sont assez lourdement taxées, mais le signal de prix qui en résulte est perturbé par le traitement fiscal avantageux des voitures de société. En particulier lorsque cet avantage est associé à une carte de carburant professionnelle, le coût de l’utilisation du véhicule est entièrement externalisé, de sorte que le coût de la pollution n’est pas supporté par le pollueur final. En ce qui concerne le chauffage des ménages, les taux effectifs de taxation de CO2 sont proches de zéro et comptent parmi les plus faibles d’Europe. Le prix du CO2 associé aux émissions industrielles est déterminé uniquement par le système européen d’échange de quotas d’émission (EU ETS), dont le prix a récemment grimpé à plus de 60 euros par tonne de CO2. Ce système d’échange s’applique également à la production d’électricité. Compte tenu du dosage actuel des sources d’énergie utilisées pour la production d’électricité, le coût moyen global de la production d’électricité dans le cadre de l’EU ETS se limite à quelque 10 euros par MWh.

Les disparités en matière de taxation des émissions de CO2 entre les secteurs et les activités prouvent qu’au‑delà d’un basculement fiscal général vers les taxes environnementales, il est souhaitable de procéder à un glissement au sein même des prélèvements sur les gaz à effet de serre afin de les rendre plus neutres vis-à-vis des émissions de ces gaz. Outre la promotion des technologies les plus efficaces en matière de réduction des émissions, il importe de créer des conditions de concurrence équitables pour éviter les comportements opportunistes (free riding).

Lorsqu’on recourt à des subventions en vue d’orienter le comportement des consommateurs ou des producteurs, il est tout aussi important d’accorder une place centrale au coût effectif par tonne de réduction d’émissions de CO2. Les subventions accordées pour l’installation de panneaux solaires ont notamment montré que les subventions à l’investissement initial étaient nettement plus efficaces que celles ciblant la production ultérieure d’énergie. L’utilisation efficace des subventions est aussi favorisée par la neutralité de la taxe sur le carbone. À titre d’exemple, les subventions octroyées pour l’installation de pompes à chaleur fonctionnant à l’électricité verraient leur efficacité s’accroître si le prix du gaz naturel augmentait par rapport à celui de l’électricité.

Dans la mesure où la part que représente la consommation d’énergie dans les dépenses des ménages est différente selon les quartiles de revenu, les familles à revenus plus faibles consacrant généralement une part plus importante de leur budget à l’énergie, il importe de surveiller l’incidence distributive des taxes et subventions liées au carbone. Proposer une compensation aux groupes à faibles revenus, lesquels sont proportionnellement plus touchés par la hausse des prix de l’énergie, se justifie. Il serait toutefois préférable que cette compensation prenne la forme d’une aide au revenu globale qui ne perturberait pas le signal de prix du carbone, plutôt que d’une intervention qui réduirait le coût de l’énergie. Par ailleurs, il est crucial que les autorités publiques contribuent à la mise en place des infrastructures nécessaires afin de faciliter l’utilisation d’autres sources d’énergie. L’avantage de la taxation du carbone, en comparaison des subventions, réside dans le fait qu’elle permet de dégager des fonds qui pourront notamment servir pour indemniser les moins nantis. Les subventions visant les nouvelles technologies vertes profitent souvent davantage aux ménages à plus hauts revenus, comme cela a été le cas pour les interventions dans les panneaux solaires. Leur incidence négative sur la répartition des revenus devrait être compensée ailleurs dans le système de prestations et de taxation global.

Enfin, les augmentations des recettes tirées de la fiscalité environnementale devraient être judicieusement mises au service de l’ensemble des objectifs du gouvernement, sans pré-affectation. Cela signifie qu’une élévation des recettes fiscales environnementales pourrait être utilisée pour financer une hausse des prestations sociales, une diminution de la fiscalité du travail de nature à doper la participation au marché du travail, un resserrement du déficit budgétaire qui bénéficierait aux générations futures, ou d’autres initiatives encore. Dans le même ordre d’idées, les subventions favorisant la production d’électricité plus verte ne devraient pas nécessairement être financées par des taxes ou des prélèvements sur la consommation d’électricité, mais devraient plutôt l’être par des ressources prélevées sur le budget général. Cela permettrait de garantir que toute décision budgétaire se justifie en tant que telle sans devoir être associée à d’autres décisions.