Les incitants fiscaux en faveur de la R&D sont-ils efficaces ?

Article publié dans la Revue économique de Septembre 2020

Les investissements privés dans la R&D tendant à s’établir en deçà du niveau optimal pour la croissance économique, les administrations publiques mettent en place d’importantes aides en la matière. Cependant, dans une optique de soutenabilité des finances publiques, il convient de garantir que les mécanismes de soutien stimulent efficacement les dépenses de R&D privées.

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Digest

Stimuler l’intensité de la recherche et du développement (R&D) demeure l’une des priorités absolues des économies avancées dans la mesure où les investissements en R&D constituent un moteur important de l’innovation et de la croissance économique à long terme. En outre, la transition vers une économie soutenable nécessite des technologies nouvelles. Cependant, la R&D étant un processus de longue haleine, de nature risquée et impliquant la diffusion des connaissances, l’investissement des entreprises privées dans ces activités est généralement inférieur au niveau qui serait optimal d’un point de vue sociétal, ce qui justifie une aide des pouvoirs publics.

Pour faire face au sous‑investissement du secteur privé dans les activités de R&D, les gouvernements ont à leur disposition différents instruments de politique. Ils peuvent opter pour des dépenses propres dans ces activités ou des aides au secteur privé, soit directes par le biais de subventions, soit indirectes sous forme d’incitants fiscaux. Avec en toile de fonds la préoccupation de finances publiques soutenables, évaluer l’efficacité de ces instruments stratégiques revêt de l’importance. Le présent article examine l’utilisation des incitants fiscaux ciblant la R&D, et donc l’aide publique indirecte.

R&D et aides publiques : une comparaison internationale

Les dépenses nationales brutes belges de R&D se montaient à 2,7 % du PIB en 2017. Ce résultat est certes légèrement inférieur à l’objectif de 3 % fixé dans le cadre de la stratégie Europe 2020, mais il dépasse largement la moyenne des pays de l’UE28, qui s’établissait à 1,6 % du PIB. Dans tous les pays de l’UE, la plupart des dépenses nationales brutes de R&D sont financées par le secteur privé, tandis que l’aide publique directe varie entre 0,2 et 0,8 % du PIB. Si on considère uniquement les dépenses de R&D consenties par le secteur des entreprises, la Belgique obtenait une intensité de R&D des entreprises de 1,9 % du PIB en 2017. Il s’agit ici aussi de l’un des taux les plus élevés de l’UE28. Le graphique 1 confirme la position du tableau de bord européen de l’innovation 2020, qui considère la Belgique comme un gros innovateur, mentionnant des pôles de recherche attractifs et des collaborations entre PME innovantes comme étant deux points forts du pays.

Recours aux incitants fiscaux en faveur de la R&D

La France est le pays qui a octroyé le plus d’aides combinées pour stimuler les investissements de R&D des entreprises en 2017 (0,4 % du PIB), suivie de près par la Belgique. En Belgique, l’aide indirecte octroyée par la voie d’incitants fiscaux en faveur de la R&D relève de la responsabilité du gouvernement fédéral, les subventions directes de R&D étant une compétence régionale. Si on considère uniquement l’aide directe, les valeurs les plus élevées sont obtenues par la Hongrie, la France et la Suède. En Belgique les subventions directes aux activités de R&D sont limitées et se montaient à 0,06 % du PIB en 2017. S’agissant de l’aide indirecte octroyée sous la forme d’incitants fiscaux en faveur de la R&D, la Belgique et la France sont les pays qui enregistrent les dépenses les plus élevées. En Belgique, comme dans des pays tels que les Pays-Bas, la Lituanie et le Portugal, ce sont même plus de 80 % des aides publiques totales qui sont octroyés par la voie de mesures d’allégement fiscal. À l’inverse, plusieurs pays comme l’Allemagne et la Finlande n’accordent pas d’aide à la R&D au travers du système fiscal.

Au fil du temps, le soutien fiscal aux dépenses de R&D des entreprises s’est considérablement accru. Alors que la moyenne des pays de l’UE-28 était inférieure à 0,03 % du PIB en 2006, elle a plus que doublé, pour atteindre 0,07 % du PIB en 2017. En Belgique, les aides indirectes ont sensiblement augmenté, passant de 0,02 % du PIB en 2006 à 0,30 % du PIB en 2017. Durant la première décennie du XXIe siècle, le gouvernement fédéral belge a introduit une série d’incitants fiscaux visant à soutenir les investissements des entreprises dans la R&D. Les principaux sont la dispense partielle de versement du précompte professionnel sur les salaires du personnel affecté à la R&D, introduite en 2005 dans le secteur privé et progressivement étendue dans les années suivantes, et le crédit d’impôt pour les investissements dans la R&D, disponible depuis l’exercice d’imposition 2007.

Évaluation des incitants fiscaux à la R&D

De nombreuses études empiriques évaluent si les incitants fiscaux en faveur de la R&D génèrent des investissements privés supplémentaires dans ce domaine. Les estimations empiriques de l’ampleur de l’incidence sont très divergentes et ne sont pas toujours comparables d’une étude à l’autre. Cependant, il convient de noter que la plupart des études dans la littérature montrent que les incitants fiscaux ont des effets positifs sur les dépenses de R&D privées (cf. p. ex. Hall et Van Reenen, 2000 ; Guellec et Van Pottelsberghe, 2003 ; Thomson, 2017 ; Alvarez-Ajuso et al., 2018 ; Buyse et al, 2020). Cet état de fait est confirmé par Becker (2015), qui conclut que des données récentes suggèrent de façon bien plus unanime – par rapport aux travaux antérieurs – que les crédits d’impôt pour la R&D ont un effet positif sur les investissements privés en la matière. De manière générale, elle affirme que, selon les estimations, l’élasticité négative de la demande de R&D par rapport à la composante fiscale de son coût d’utilisation se situerait globalement autour de l’unité, du moins dans les pays appliquant un crédit d’impôt. Une baisse du coût d'utilisation de la R&D de 1 % grâce aux incitants fiscaux en faveur de la R&D entrainera, toutes choses étant égales par ailleurs, une augmentation moyenne de 1 % des dépenses de R&D privées. Fait intéressant, les résultats empiriques laissent aussi penser que les incitants fiscaux et les subventions à la R&D pourraient dans une certaine mesure constituer des substituts.

Efficacité des incitants fiscaux à la R&D en Belgique

Lorsque nous examinons plus particulièrement l’efficacité des incitants fiscaux à la R&D en Belgique, nous nous basons principalement sur les travaux réalisés par Dumont (2019). Pour un panel d’entreprises belges opérant dans la R&D, il analyse l’incidence des incitants fiscaux en faveur de la R&D pour la période 2003‑2015 en Belgique et fournit des preuves solides que les quatre systèmes différents de dispense partielle de versement du précompte professionnel sur les salaires du personnel affecté à la R&D stimulent efficacement des activités de R&D supplémentaires. Néanmoins, Dumont (2019) ne trouve aucun élément établissant clairement que les crédits d’impôt pour la R&D entraînent des dépenses supplémentaires de R&D. Dans différentes spécifications et pour son échantillon, il apparaît en règle générale que les crédits d’impôt pour la R&D exercent un effet positif, mais limité et statistiquement non significatif, sur les dépenses de R&D.

Dans son rapport par pays portant sur la Belgique, la CE (2020) mentionne également que l’efficacité de l’aide publique aux investissements des entreprises en R&D pourrait être renforcée. Pour étayer son propos, elle fait référence aux travaux réalisés par Dumont (2019) ainsi qu’à une analyse de la Cour des comptes en Belgique (2019) concernant les régimes de dispense partielle de versement du précompte professionnel. S’agissant de ces régimes, la Cour (2019) a conclu qu’on observait une absence de fonction de contrôle. Elle avance qu’il n’y a pas suffisamment de vérifications permettant d’établir si le bénéficiaire est effectivement éligible à la dispense octroyée.

Enfin, Vennix (2019) démontre que moins de 3 % des dépenses que le secteur privé belge consacre à la R&D sont consenties par des entreprises qui existent depuis moins de cinq ans. Toutefois, comme le souligne l’OCDE (2019), certaines de ces jeunes entreprises affichent le meilleur potentiel de croissance, notamment en termes de poursuite de la numérisation de l’économie belge – qui est primordiale pour stimuler la productivité et l’innovation. S’agissant des aides publiques à la R&D dont bénéficient ces jeunes entreprises, l’OCDE (2019) remarque que les avantages fiscaux qui sont accordés par le biais d’abattements d’impôt sur les sociétés, c. à d. de crédits ou de déductions d’impôt, défavorisent les jeunes entreprises qui s’adonnent à la R&D car ces dernières n’enregistrent souvent pas de bénéfices et doivent donc patienter un certain temps avant de pouvoir bénéficier des aides publiques. Ce constat est en ligne avec les données empiriques existantes, en ce sens que le financement public direct est plus efficace pour les entreprises petites et jeunes. L’OCDE (2019) suggère dès lors qu’une refonte de la politique belge de soutien à la R&D pourrait être bénéfique et en accroître l’efficacité. Plus concrètement, l’OCDE (2019) indique que le rendement des dépenses publiques de R&D et le ciblage des entreprises jeunes, au potentiel de croissance élevé et pour lesquelles les aides publiques sont peut-être les plus rentables, doivent être améliorés. L’OCDE (2019) suggère notamment de fixer un plafond pour les sommes éligibles au soutien fiscal via l’impôt des sociétés. Les petites et jeunes entreprises pourraient ainsi recevoir une part plus importante d’un montant d’aides donné comparativement aux grandes entreprises et aux multinationales. Cela éviterait que l’essentiel des ressources publiques consacrées à la R&D finisse entre les mains d’un petit nombre de grandes entreprises. Une autre réforme potentiellement prometteuse que l’OCDE (2019) propose pour cibler les jeunes entreprises consisterait à transformer les aides publiques à la R&D via l’impôt des sociétés en un financement direct par l’État. Une telle réforme est toutefois difficile à mettre en œuvre étant donné que ces compétences gouvernementales sont réparties entre les pouvoirs publics en Belgique.

Conclusion

Des études empiriques de grande ampleur existent pour évaluer l’efficacité des mécanismes d’aide publique à la R&D. Par rapport à des études antérieures, des éléments récents suggèrent de façon plus unanime que tant l’aide publique directe que les incitants fiscaux en faveur de la R&D exercent un effet positif non négligeable sur les investissements privés de R&D. Toutefois, le choix optimal de l’instrument de politique précis par les pouvoirs publics dépend du type ciblé d’entreprise. Les subventions directes ont principalement une incidence sur les décisions en matière de R&D des petites et jeunes entreprises, tandis que les incitants fiscaux à la R&D sont davantage axés sur le marché puisque la décision des projets dans lesquels investir revient aux entreprises. Les entreprises de plus grande taille semblent en bénéficier davantage. Dans une certaine mesure, les subventions en matière de R&D et les mesures d’allégements fiscaux pourraient constituer des substituts, leur efficacité se réduisant lorsque les entreprises bénéficient des deux systèmes simultanément.

Pour la Belgique, les données portant sur l’efficacité des incitants fiscaux en faveur de la R&D sont quelque peu contrastées. Dumont (2019) montre que les régimes de dispense partielle de versement du précompte professionnel contribuent largement à encourager les investissements privés en R&D, alors que l’incidence stimulante du crédit d’impôt pour la R&D ne peut être illustrée de manière cohérente. En Belgique, seul un montant limité de dépenses de R&D provient de jeunes entreprises, alors que ce sont ces entreprises qui ont souvent le meilleur potentiel de croissance. Il pourrait dès lors s’avérer profitable de repenser les mécanismes belges d’aide à la R&D.