Le commerce extérieur de la Belgique: entre restauration de la compétitivité et néoprotectionnisme

Article publié dans la Revue économique de Décembre 2019

Depuis le début de la décennie, l’évolution des exportation belges a été relativement moins favorable que dans les pays voisins. Or, le contexte international est devenu plus risqué, augurant de nouveaux défis – guerres commerciales et brexit en tête. Agir sur tous les leviers au niveau de la compétitivité  est essentiel pour permettre aux entreprises de se positionner stratégiquement et de façon pérenne à l’échelle internationale.

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Digest

La prospérité de la Belgique repose, en partie, sur sa capacité d’échanger avec le reste du monde. Au vu des évolutions récentes, marquées par la résurgence d’incertitudes et de tensions commerciales internationales, il s’avère dès lors primordial de pouvoir analyser comment la Belgique a navigué dans un tel contexte et si elle y était suffisamment préparée. Cet article propose dans un premier temps d’évaluer ses performances à l’exportation au cours de la dernière décennie, afin notamment d’établir si les mesures récemment adoptées en vue d’améliorer sa compétitivité-coût/prix lui ont permis de renforcer sa position extérieure et, ainsi, de faire face aux changements et aux nouveaux défis. La seconde partie de l’article vise à compléter ce premier diagnostic en adoptant un angle plus microéconomique et en étudiant les sources de croissance des exportateurs belges durant ces dernières années, et ce en vue de formuler des pistes de politiques économiques.

Un contexte international en mutation

De la fin du rideau de fer jusqu’à la crise économique et financière, l'expansion du commerce mondial avait été vive et s’était s’accompagnée d’une accentuation de la fragmentation, de plus en plus complexe et avancée, des chaînes de production mondiale. Néanmoins, depuis la crise, des mutations en profondeur bouleversent cette dynamique. La croissance mondiale est devenue moins intensive en commerce et l’expansion des chaînes de valeur de production semble marquer le pas. Plutôt que de refléter un phénomène de déglobalisation, cette situation serait cependant davantage le révélateur d’une transformation dans la manière dont les échanges s’organisent (re/near-shoring). Aussi, une nouvelle configuration des principaux acteurs du commerce international a généré un déplacement du centre de gravité géographique du commerce. Au final, les échanges se concentrent aujourd’hui autour de trois grands pôles interconnectés: l’Amérique du Nord (autour des États-Unis), l’Europe (autour de l’Allemagne) et l’Asie (autour de la Chine).

Le protectionnisme 2.0 est-il devenu le « new normal »?

Après des décennies de croissance vigoureuse des échanges internationaux, une série d’obstacles d’ordre (non) tarifaire sont apparus, en opposition avec le caractère multilatéraliste qui avait guidé le déploiement des flux passés. La tendance générale à la réduction des tarifs s’est en effet interrompue récemment, à la faveur de politiques protectionnistes. Depuis 2018, deux faits ont principalement été symptomatiques d’un tel glissement: d’une part, la guerre commerciale initiée par l’administration Trump, ciblant essentiellement la Chine, et, d’autre part, les répercussions futures, encore indéterminées, de la sortie du Royaume-Uni de l’UE. Dans les deux cas, des phases de répit et de dialogue ont été entrecoupées d’épisodes d’escalade. Le cadre qui sous-tend le commerce international, et que les entreprises actives à l’échelle mondiale avaient pu connaître jusqu’à la crise, est devenu sensiblement différent en 2019, plus risqué et plus incertain. Pour les firmes tournées vers l’international, il est en effet devenu beaucoup plus malaisé d’élaborer des anticipations claires quant à la profitabilité de leurs activités.

Les retombées négatives sont perceptibles au niveau mondial

Ces tensions ont commencé à se répercuter dangereusement dans une baisse des flux des échanges mondiaux et à percoler dans un climat d’incertitude affectant les marchés et les projets d’investissement. De nombreuses institutions internationales ont ainsi réalisé des estimations de l’impact de ces restrictions commerciales. L’exercice est cependant ardu puisque certaines hypothèses peuvent varier en fonction des divers canaux de transmission retenus, exister simultanément et s’influencer mutuellement. Les résultats s’accordent toutefois à montrer que, même si des effets d’aubaine pourraient temporairement bénéficier à certains pays, l’interpénétration des économies mondiales, notamment si on prend en compte des effets en cascade des tarifs au travers des chaînes de valeur, rend une immunisation totale quasi impossible: l’ensemble des économies mondiales seraient donc perdantes.

La Belgique dans le commerce mondial

Au vu de ces développements récents du commerce international, il apparaît essentiel d’examiner comment la Belgique parvient à évoluer dans ce contexte. De fait, en raison de la taille relativement réduite de son économie domestique et de ses ressources limitées en matières premières, la Belgique se retrouve de facto contrainte d’échanger avec le reste du monde. Cette relative dépendance de l’économie belge vis-à-vis du reste du monde se marque notamment par l’importance de ses exportations et importations de biens et de services proportionnellement à son produit intérieur brut, qui en fait un des pays au degré d’ouverture le plus élevé au monde.

Cependant, une analyse des flux d’exportations semble montrer que la croissance des exportations de biens et de services, exprimées en volume, a été relativement moindre en Belgique depuis le début de la décennie par rapport à celles enregistrées par ses pays voisins, et ce au niveau des exportations tant de biens que de services. Cette évolution moins favorable peut notamment s’expliquer par l’importance du type de biens qu’elle échange avec le reste du monde. Ainsi, une comparaison de l’évolution observée au sein d’une zone de référence constituée de trois des pays limitrophes de la Belgique[1] permet de constater que, parmi les trois principales catégories de marchandises qui ont soutenu la croissance des exportations belges au cours de la période 2010-2018, seule celle relative aux « produits chimiques et connexes dont pharmaceutiques » a réellement contribué à réduire le différentiel de croissance moyenne négatif entre la Belgique et ces pays.

Des performances à l’exportation de la Belgique toujours en demi-teinte

Outre au niveau du dynamisme intrinsèque des exportations et des importations de biens et de services, les performances de la Belgique en matière de commerce extérieur s’analysent également sur la base de l’évolution de sa balance commerciale vis-à-vis du reste du monde ainsi qu’en fonction de celle de ses parts de marché.

À cet égard, si la Belgique a été marquée par un solde commercial des biens et des services, exprimé en volume, légèrement excédentaire, à quelque 2,8 % du PIB, en moyenne, sur la période 2010-2018[2], elle a également subi d’importantes pertes de parts de marché à l’exportation, et ce en dépit des mesures de compétitivité-coût adoptées ces dernières années.

La compétitivité-coût est considérée comme un facteur essentiel et déterminant de l’évolution des performances à l’exportation, surtout pour la Belgique, compte tenu de sa grande ouverture vers l’extérieur, mais aussi de l’ampleur de ses exportations directes, qui restent majoritairement orientées vers les marchés de la zone euro, et donc concurrencées par des productions domestiques ou de pays qui présentent un taux de change commun. Cependant, si une focalisation particulière sur l’aspect compétitivité-coût est importante, les performances extérieures récentes belges dépendent aussi d’autres facteurs.

En effet, même si les pertes de parts de marché de la Belgique ont été légèrement moindres que précédemment, elles restent néanmoins, en moyenne, toujours négatives et nettement plus prononcées que dans les pays voisins[3]. Dès lors, si les mesures de modération salariale semblent avoir permis d’améliorer la compétitivité-coût de la Belgique, l’évolution de ses performances à l’exportation semble indiquer que les mesures adoptées au cours des dernières années n’ont, jusqu’à présent, que partiellement permis d’infléchir la tendance à un moindre dynamisme de ses exportations et, par corollaire, les pertes de parts de marché, qui restent conséquentes comparativement aux pays voisins.

 

[1] Allemagne, France et Pays-Bas.

[2] Selon les statistiques des comptes nationaux (0,8 % en moyenne pour les données exprimées en valeur).

[3] Abstraction faite de la réorganisation des activités d’une entreprise active dans le secteur pharmaceutique qui a gonflé les exportations belges durant les années 2016-2017.

 

Graphique 1 – Évolution des parts de marché de la Belgique et de ses pays voisins
Sources: BCE, CE, ICN.

[1] Abstraction faite de la réorganisation des activités d'une entreprise active dans le secteur pharmaceutique en 2016‑2017.

Sources de la croissance récente des exportations belges

Au-delà de cette constatation, une cartographie des exportateurs belges, réalisée sur la base de données microéconomiques, fait apparaître que ce secteur est relativement concentré et que, au sein même de ce nombre limité d’acteurs, on compte une majorité de grandes entreprises. En dépit de cette concentration, le secteur n’est pas pour autant déconnecté du reste du tissu économique belge: il emploie directement près d’une personne sur trois dans le secteur privé. De plus, et surtout, il touche d’autres entreprises domestiques qui, en amont, lui fournissent des services ou des biens intermédiaires: au total, près des deux tiers des entreprises belges sont indirectement liées au commerce extérieur, et donc à la demande du reste du monde. Il existe ainsi des effets de débordement notables du commerce international vers le reste de l’activité domestique belge.

L’analyse des données microéconomiques des transactions commerciales des entreprises permet également de décomposer la croissance des exportations des firmes en deux sources distinctes: d’une part, une marge « intensive » – qui peut être vue comme un processus d’intensification des relations commerciales déjà établies – et, d’autre part, une marge dite « extensive » – qui peut être considérée comme un processus de création/destruction des transactions avec l’étranger. Cette dernière peut elle-même comporter trois sous-dimensions, à savoir les composantes « firmes », « pays » et « produits ».

De cette décomposition, il ressort qu’au cours de la période la plus récente (2015-2018), la contribution des marges nettes intensives a certes été positive, signifiant que l’intensification des relations existantes reste une base essentielle aux exportations ; mais aussi, les contributions de type extensives sont repassées en territoire positif: de nouvelles transactions ont donc soutenu la récente croissance des exportations. Même en excluant l’influence de la réorganisation des activités d’un grand groupe pharmaceutique en Belgique, les marges nettes « firmes » indiquent un renouvellement du tissu des exportateurs. De plus, la composante extensive « produits » suggère que les exportateurs ont pu proposer une offre élargie de produits à l’étranger. Toutefois, les marges nettes « pays » signalent que les possibilités de pénétration de nouveaux marchés semblent toujours faire défaut. L’instauration de tarifs nouveaux ou renforcés serait dommageable aux exportateurs belges, et ce au niveau de leurs relations tant existantes (marges intensives) que nouvellement créées (marges extensives qui étaient justement repassées en territoire positif). Notons également que ce sont les nouvelles relations qui pourront par la suite consolider la présence belge à l’étranger.

 

Graphique 2 – Décomposition de la croissance des exportations et des importations à long terme: marges extensives et intensives

(points de pourcentage, sauf mention contraire)

Source: données individuelles du commerce extérieur, concept national.

Une décomposition de la croissance des importations belges révèle par ailleurs une image similaire. On retrouve sur la période 2015-2018 un accroissement relatif des marges extensives vis-à-vis des sources de croissance intensives, qui prévalaient dans le passé: les importateurs ont ainsi récemment davantage diversifié leurs sources d’intrants.

Extension de l’exercice des marges au Royaume-Uni et aux États-Unis

Les tensions autour des relations commerciales présentes et futures concernant plus spécifiquement les États-Unis et le Royaume-Uni, une attention particulière pour ces deux pays se justifie. Dans le cas américain, il apparaît que, jusqu’à aujourd’hui, la Belgique a été relativement peu touchée par les mesures protectionnistes adoptées. Elle pourrait cependant l’être davantage en cas d’aggravation du conflit commercial. Concernant le Royaume-Uni, dont la sortie de l’UE serait plus critique pour la Belgique, les modalités finales du possible accord qui régira le commerce après le brexit dépendront de l’issue des négociations avec les autorités européennes. Néanmoins, l’état actuel des relations commerciales belgo-britanniques indique déjà que certains secteurs belges seraient relativement plus exposés (machines et matériels de transport, produits alimentaires et animaux vivants, produits chimiques et connexes dont pharmaceutiques). À ce stade néanmoins, même s’il est en légère baisse, l’excédent commercial des marchandises belges reste important. Au total, en tenant compte des effets directs et indirects, l’exposition de la Belgique au brexit pourrait toutefois, à terme, représenter quelque 3,8  % du PIB.

Une analyse plus approfondie des marges « intensives » et « extensives » a été réalisée pour ces deux destinations. Pour les États-Unis, étant donné la plus grande difficulté à pénétrer de nouveaux marchés géographiquement plus éloignés, ce sont principalement les relations déjà établies – marges intensives – qui influencent l’évolution des exportations. Ce marché étant aussi plus lointain, les marges extensives sont naturellement moins marquées, reflétant la plus grande difficulté à desservir des économies plus éloignées géographiquement. Concernant le marché britannique, les marges intensives semblent s’être contractées dans la foulée du vote en faveur du brexit; pour autant, on n’observe pas de sorties massives des entreprises belges de ce marché malgré les incertitudes.

Conclusion

L’article a montré que la Belgique demeure une économie dont l’ouverture et l’intégration au commerce mondial restent importantes pour son développement économique et sa prospérité future. Cependant, depuis le début de la décennie, les performances à l’exportation de la Belgique semblent s’inscrire en deçà de l’évolution moyenne observée dans trois de ses pays voisins, qui sont par ailleurs ses principaux partenaires commerciaux. Des pertes de parts de marché conséquentes en termes d’exportations continuent en effet d’être enregistrées, une tendance que la politique de modération salariale mise en place ces dernières années, en vue notamment de renforcer la compétitivité-coût de la Belgique, n’a que partiellement permis de pallier.

Afin d’assurer leur résilience dans le contexte actuel et futur, l’ensemble des acteurs économiques belges vont devoir être capables de s’adapter. La question du virage protectionniste n’est en effet pas circonscrite au seul secteur du commerce extérieur parce qu’une grande part du tissu domestique y est adossé. Les entreprises actives à l’étranger devront veiller à pouvoir ajuster leurs coûts en réaction à des chocs supplémentaires éventuels. Pour autant, c’est au niveau de la compétitivité hors coût qu’elles devront se concentrer, et ce en se positionnant sur des marchés porteurs ainsi que sur des segments de niche à fort contenu technologique, afin de préserver et d’élargir leur part de marché à l’étranger – un axe jusqu’à présent relativement moins développé.

Les autorités publiques belges peuvent les y aider. L’aide et la promotion aux exportations constituent une piste évidente. Au-delà, le cadre macroéconomique et réglementaire doit être suffisamment porteur et donner les incitants nécessaires à l’essor des échanges. Pour cela, l’allocation des ressources, qu’il s’agisse du facteur travail ou du facteur capital, doit être fluide. Garantir des infrastructures de bonne qualité est aussi un prérequis, non seulement pour permettre aux entreprises de continuer de prester et d’échanger normalement, mais aussi pour conserver l’attractivité de la Belgique comme place de premier rang sur le continent européen. Enfin, des initiatives visant à stimuler la culture entrepreneuriale et la prise de risques devraient être poursuivies et renforcées, afin de pérenniser les signaux positifs actuellement visibles au travers des marges extensives.