Le budget de l’Union européenne et le plan de relance Next Generation EU vont-ils changer la donne ?

Article publié dans la Revue économique de Septembre 2021

Quelque chose de vieux, de neuf, d’emprunté et de … vert. Le nouveau budget de l’UE change-t-il la donne ?

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Digest

Tous les sept ans, le Conseil et le Parlement européens négocient un nouveau budget pour l’Union couvrant la période de sept ans à venir (cadre financier pluriannuel – Multiannual Financial Framework, MFF). Le MFF pour la période 2021-2027 adopté en décembre 2020 fait suite à une conjonction d’événements et de défis sans précédent : pandémie, changement climatique, Brexit, crise des réfugiés et apparition de nouveaux concurrents commerciaux à l’échelle mondiale. Jamais auparavant le budget à long terme de l’UE n’avait eu à financer des plans aussi ambitieux pour trouver le moyen de s’extirper d’un dédale de crises exceptionnelles et de ramener une série d’États membres sur la voie du redressement et du développement durable. Pour y parvenir, les institutions européennes se sont accordées à la fois sur un MFF doté de quelque 1 100 milliards d’euros et sur un instrument de relance baptisé « Next Generation EU » (NGEU) assorti d’une enveloppe de 750 milliards d’euros (ces montants étant entendus aux prix de 2018).

Cet article propose une lecture économique du budget de l’UE et du NGEU ainsi qu’un focus sur certaines implications pour la Belgique considérée dans sa globalité, c’est-à-dire non seulement pour son gouvernement fédéral mais aussi pour son secteur privé.

Le présent digest commence par expliquer en quoi le budget de l’UE et le plan de relance pourraient bien changer la donne et présente ensuite quelques conclusions des travaux menés pour la Belgique.

De quoi rebattre les cartes ?

Le MFF 2021-2027 et le NGEU pourraient, dans une certaine mesure, être considérés comme des éléments capables d’infléchir le cours des choses pour l’UE pour plusieurs raisons.

Premièrement, grâce à la création de l’instrument NGEU, le financement total de l’UE atteint des proportions inédites. Pour la toute première fois, il a également été conçu avec l’ambition de le voir jouer un rôle de stabilisateur économique. Cela étant, même en passant de quelque 1 % à plus de 3 % du Revenu National Brut (RNB) de l’UE dans les prochaines années, cette part restera particulièrement limitée au regard de ceux des différents États membres de l’UE, qui ont en moyenne déboursé 50 % de leur RNB, et de modèles fédéraux tels qu’aux États‑Unis.

Deuxièmement, à l’instar de l’instrument SURE, qui a été mis sur pied promptement après l’éclatement de la crise du COVID-19, le NGEU est financé intégralement par le marché. En empruntant plus de 900 milliards d’euros, l’UE est appelée à se positionner à la fois en intervenant majeur sur les marchés financiers et en pourvoyeur d’actifs sûrs en euros, renforçant par là même le rôle de la monnaie européenne sur le plan international. La seule annonce de l’instrument de relance NGEU et, plus tard, l’accord politique bouclé lors du Conseil européen de juillet 2020, conjointement avec la réponse apportée par la BCE au travers de sa politique monétaire, ont contribué à restaurer la confiance et à calmer l’agitation sur les marchés causée par la pandémie.

Troisièmement, le plan de relance NGEU et son principal instrument, à savoir la facilité pour la reprise et la résilience (Recovery and Resilience Facility – RRF), sont destinés non seulement à accélérer le redressement de l’UE, mais aussi à stimuler la croissance à moyen et long termes en encourageant les investissements et les réformes auprès des États membres. Pour pouvoir en bénéficier, les gouvernements ont d’ailleurs dû introduire des plans nationaux de reprise et de résilience.

Des estimations réalisées par la CE, le FMI et la BCE montrent que les dépenses effectuées au titre du NGEU sont susceptibles de doper le potentiel de croissance et de gonfler le PIB réel de l’UE de plus de 1,5 point de pourcentage d’ici le milieu de la décennie. Cependant, pour atteindre ces effets sur la croissance, d’importantes conditions doivent être remplies : le financement du NGEU doit être consacré à des investissements productifs ; il doit servir à des investissements supplémentaires qui n’auraient pas pu être consentis dans d’autres circonstances ; et les pays doivent être capables d’absorber l’afflux de ressources additionnelles dans un laps de temps relativement court. À long terme, on peut en revanche s’attendre à ce que les effets sur la croissance proviennent principalement de réformes structurelles et de l’interaction entre les réformes et les investissements. Afin d’obtenir le résultat escompté, un suivi strict pourrait être avisé étant donné que les pays de l’UE n’ont pas toujours été fructueux dans l’élaboration et la mise en œuvre des réformes structurelles.

Quatrièmement, la majeure partie du NGEU se compose de transferts, témoignant d’une certaine solidarité entre États membres en ces temps de crise. Cette solidarité se reflète également dans les critères retenus pour l’affectation des fonds entre les pays, ces critères favorisant les économies de l’UE les plus lourdement touchées (au Sud), ainsi que les économies les plus pauvres et les moins résilientes (Europe centrale et orientale).

Par conséquent, le NGEU peut contribuer à maintenir le processus de convergence entre les pays en dépit du COVID-19, qui a constitué un choc commun avec des effets asymétriques. Comme lors de périodes de crise précédentes, la pandémie aurait pu interrompre le processus de convergence entre les pays de l’UE. Le NGEU n’annulera pas les effets du COVID-19 – les pays du Sud de l’Europe continuent de faire partie des pays affichant les plus mauvaises performances ‑, mais il atténuera très probablement ses effets défavorables sur les économies. Les projections prévoient actuellement la poursuite de la convergence entre les pays de l’UE, malgré la crise du COVID-19.

Cinquièmement, conjugué au nouveau MFF, le NGEU peut continuer de promouvoir la cohésion entre les régions, qui est une priorité de longue date de l’UE. Grâce au financement supplémentaire provenant du NGEU, en particulier au travers de ReactEU, la politique de cohésion conserve, en termes réels, le même budget que le précédent MFF. La politique de cohésion, dont une grande partie cible directement les régions les plus défavorisées, constitue la partie la plus redistributive du budget de l’UE. La RRF est un peu moins axée sur la cohésion. En outre, sa conception et sa structure de gouvernance sont telles qu’elle ne favorise pas nécessairement les régions les plus défavorisées de l’UE. De plus, la littérature empirique est partagée sur la question de savoir si les fonds de cohésion sont parvenus ou non à accroître le potentiel de croissance de ces régions à long terme.

Enfin, tant le NGEU que le MFF soutiennent la « double transition » – verte et numérique – qui est un enjeu de politique important de l’UE. En effet, des investissements dans les deux domaines sont nécessaires pour atteindre les nouveaux objectifs climatiques ambitieux (une réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et la neutralité climatique d’ici 2050) ainsi que pour renforcer l’utilisation des technologies numériques.

Pour la transition verte, au moins 30 % de l’ensemble (MFF + NGEU) doivent être utilisés pour des dépenses liées au climat. Un seuil de pas moins de 37 % est même fixé pour la RRF encourageant spécifiquement les États membres à se concentrer sur des investissements verts dans leurs plans nationaux pour la reprise et la résilience. Si une certaine attention est accordée aux investissements numériques dans différents programmes dans l’ensemble du budget, les investissements numériques n’affichent pas un objectif comparable pour l’ensemble des mesures et seulement un objectif plus limité de 20 % pour la RRF. Dans les deux cas, ces dépenses ne représentent qu’une petite partie des investissements nécessaires, mais on peut s’attendre à ce qu’ils exercent une incidence significative, en particulier pour la transition verte, si les questions d’additionnalité et d’attribution correcte de label des dépenses vertes sont prises au sérieux.

Perspectives pour la Belgique

Le budget de l’UE et le NGEU ont une incidence sur le solde des transactions des États membres de l’UE avec les institutions de l’UE et sur le solde budgétaire de leurs administrations publiques. Cette distinction est importante dans la mesure où certaines transactions entre les institutions de l’UE et les États membres s’opèrent directement avec le secteur privé et ne passent dès lors pas par le compte des pouvoirs publics. Notre analyse se fonde principalement sur des statistiques relatives à des transferts, c’est-à-dire des paiements n’ayant pas de contrepartie directe.

Les versements de la Belgique au budget de l’UE se sont établis en moyenne à 1,3 % du PIB par an durant la période 2000-2020. Selon des projections, l’ensemble des versements atteindraient en moyenne 1,4 % du PIB par an au cours de la période 2021-2027. La contribution versée à l’UE par les pouvoirs publics fondée sur la part de la Belgique dans le revenu national brut (RNB) de l’UE, connue également comme étant la quatrième ressource propre, est actuellement de loin la catégorie la plus importante – et devrait le rester, représentant plus de la moitié de l’ensemble des versements de la Belgique.

De 2000 à 2020, les recettes totales de la Belgique au titre du budget européen ont représenté en moyenne 0,6 % du PIB par an. La catégorie de recettes la plus importante est constituée des transferts directement versés aux entreprises, aux ménages et aux institutions sans but lucratif au service des ménages, à l’exclusion des subventions. Les informations relatives aux recettes de la période allant de 2021 à 2027 sont fragmentaires puisque seules certaines pré-allocations sont connues s’agissant des principales catégories du budget de l’UE. Au cours de cette période, les recettes totales seront toutefois, dans une large mesure, influencées par les recettes destinées à financer les dépenses dans le cadre du Plan national pour la reprise et la résilience de la Belgique, qui s’élèveront au total à 5,9 milliards d’euros selon les chiffres provisoires fixés au niveau de l’UE sur la base des prévisions d’automne 2020 de la CE. Ce montant devrait être révisé en 2022, lorsque l’évolution du PIB entre 2019 et 2021 sera connue. Selon les prévisions d’été 2021 de la CE, la Belgique pourrait recevoir 750 millions d’euros de moins que prévu actuellement, les performances économiques de la Belgique ayant récemment été meilleures que celles d’autres États membres de l’UE.

Ces vingt dernières années, la Belgique a apporté une contribution nette qui a oscillé entre 0,5 et 0,9 % du PIB, sans afficher de tendance claire. Cette contribution provient essentiellement des éléments ayant une incidence sur le solde des administrations publiques des États membres.

Si nous prenons également en compte les dépenses administratives des institutions européennes en Belgique, importantes pour l’économie locale, les secteurs résidents de la Belgique deviennent bénéficiaires nets de quelque 0,2 à 0,6 % du PIB au cours de la période allant de 2000 à 2020. Les traitements des fonctionnaires payés à Bruxelles ne sont toutefois pas entièrement dépensés en Belgique. Cela est particulièrement vrai dans le cas des pensions, qui sont en grande partie versées à des fonctionnaires ayant quitté Bruxelles.

Globalement, nous pouvons en conclure que l’incidence des transactions avec le budget de l’UE demeure plutôt limitée et stable dans le temps.

Bien qu’il soit intéressant d’examiner le solde d’un point de vue comptable, il importe d’être conscient de la teneur exacte et des limites de celui-ci. De nombreuses réserves s’imposent :

l’UE repose sur la solidarité, et non sur un quelconque principe de « juste retour ». Toute contribution nette devrait également être comparée aux avantages économiques généraux de l’adhésion et de l’intégration économique, lesquels sont particulièrement nombreux pour une petite économie ouverte telle que la Belgique ;

les dépenses consenties dans un État membre donné peuvent profiter à un autre, soit directement (p. ex. la construction d’un aéroport en Grèce par un entrepreneur allemand), soit indirectement en dopant les importations ;

dans de nombreux cas, les dépenses de l’UE profitent à plusieurs ou à tous les États membres ou visent un bien public commun ; elles peuvent également générer des économies d’échelle ;

les États membres peuvent bénéficier d’instruments financiers hors budget (BEI, EFSI, MES, etc.).

Le débat sur le rapport entre la contribution de chaque État membre au budget et ce que celui-ci en retire est dès lors biaisé et doit être replacé dans son contexte.

Perspectives

Le plan de relance NGEU pourrait changer la donne dans l’UE. Son succès dépendra de sa mise en œuvre. Aussi, pour les pays moins résilients et/ou plus lourdement frappés par la crise du COVID-19, le NGEU représente une occasion unique de remédier en partie à leurs problèmes structurels grâce à des investissements et à des réformes.

C’est la raison pour laquelle, dans le cadre d’un prochain article, nous tenterons d’analyser plus en détail et de comparer les plans nationaux pour la reprise et la résilience des principaux États membres, notamment l’Italie et l’Espagne, puisqu’elles ont reçu les montants absolus les plus élevés en termes de subventions au titre de la RRF. La Belgique sera elle aussi prise en compte dans cette comparaison.