Communiqué de presse - L'aplatissement de la courbe des rendements: causes et implications en termes de politiques économiques

Article publié dans la Revue économique de juin 2007

La courbe des rendements sans risque, à savoir la représentation graphique du lien entre les taux d'intérêt et la maturité résiduelle des obligations d'État, constitue une source d'information importante pour les banques centrales. Ainsi, la pente de la courbe des rendements - mesurée comme la différence entre le taux d'intérêt à long et à court termes - est traditionnellement considérée comme un indicateur avancé de l'activité économique relativement fiable. En effet, une contraction de l'écart de taux est habituellement suivie après quelques trimestres par un ralentissement économique important, alors qu'une hausse s'accompagne généralement d'une accélération de la croissance économique. Par ailleurs, les rendements à long terme fournissent des indications sur les anticipations d'inflation à long terme et de la sorte, sur la crédibilité de la politique monétaire. 

Depuis la mi-2004, la courbe des rendements s’est considérablement aplatie dans la zone euro mais également aux États-Unis, où une légère inversion est même observée depuis la mi-2006, suscitant de la sorte de nombreuses interrogations quant à l'évolution économique future et dans une moindre mesure, quant aux anticipations d'inflation. Cet article examine les facteurs responsables de cet aplatissement ainsi que leurs incidences sur la qualité des signaux fournis, d’une part, par la courbe des rendements en tant qu’indicateur avancé de conjoncture et, d’autre part, par les taux d’intérêt à long terme en tant que mesure des anticipations d’inflation des agents économiques.

L’analyse a montré qu’outre le resserrement de la politique monétaire, ce phénomène est le résultat d’une baisse substantielle de la prime de risque et en particulier, de sa composante réelle au cours de la période allant de la mi-2004 à la mi-2005. L’analyse indique par ailleurs que cette contraction de la prime de risque a été occasionnée essentiellement par une forte demande pour les titres obligataires publics de la part d'investisseurs atypiques et en particulier, des banques centrales asiatiques et des fonds de pension. Ces investisseurs, en particulier, les banques centrales asiatiques, ont privilégié la détention de titres américains. Toutefois, l'intégration croissante des marchés financiers a fait que ces facteurs ont également eu une incidence dans la zone euro.

Dans la mesure où la baisse de la prime de risque relative à l'inflation ne contribue que de façon limitée à la contraction de la prime de risque globale, la fiabilité du point mort d’inflation en tant qu’indicateur des anticipations d’inflation n'est pas vraiment affectée. Le point mort d'inflation se définit comme la différence entre le rendement d'une obligation nominale et le rendement réel d'une obligation indexée sur l'inflation de maturité et d'émetteur comparable. Toutefois, l’existence d’une prime relative à l’inflation incorporée dans le point mort d’inflation  certes réduite  rend cette mesure imparfaite. Depuis 2004, le point mort d’inflation a oscillé autour de 2,1 p.c., ce qui, si on prend en compte cette prime de risque, est conforme à la définition de stabilité des prix définie par le Conseil des gouverneurs de la BCE. Cette évolution suggère ainsi que les autorités monétaires européennes ont réussi à ancrer solidement les anticipations d'inflation.

L’analyse a montré, en revanche, que la qualité de la courbe des taux en tant qu’indicateur avancé de conjoncture est affectée par la contraction de la prime de risque. C'est précisément parce que l'aplatissement de la courbe des rendements résulte d'une modification de la prime de risque plutôt que d'une révision des attentes des taux d'intérêt que le comportement actuel de la courbe des taux ne doit pas être interprété comme un signe précurseur d’un ralentissement prononcé de l’activité économique. Après avoir enregistré pendant plusieurs trimestres une croissance exceptionnelle, un retour à une croissance durable peut toutefois être attendu. Dans le contexte actuel caractérisé par des variations considérables de la prime de risque, il est donc essentiel de prendre ces modifications en considération lorsque la courbe des rendements est utilisée comme indicateur avancé de l'activité économique. 

Finalement, l’aplatissement de la courbe des rendements peut aussi avoir des implications plus directes pour la conduite de la politique monétaire. De manière générale, la contraction de la prime de risque s'accompagne d'un assouplissement des conditions financières, qui tend à stimuler la demande agrégée. Une telle situation peut donc entraîner des pressions inflationnistes. En conséquence, une vigilance accrue de la part des autorités monétaires est requise en vue d'assurer la stabilité des prix à moyen terme. Cette vigilance accrue est particulièrement nécessaire si la baisse de la prime de risque ne résulte pas de l'évolution des fondamentaux macroéconomiques. Dans ce dernier cas, existe le risque d'une correction éventuelle à la hausse des taux d'intérêt à long terme. Toutefois, il convient aussi de noter qu'à l'heure actuelle, la demande de la part des investisseurs atypiques semble plus structurelle que celle qui résultait de la « fuite vers la qualité » qui a été à l'origine de la baisse de la prime de risque au cours de la période 1997-1998. La baisse de la prime de risque qui a eu lieu entre juin 2004 et juin 2005 semble donc de nature plus persistante que celle observée entre la mi-1997 et fin 1998.