Émissions de carbone et potentiel inexploité de la réallocation des activités - Quelques enseignements du SEQE-UE

Article publié dans la Revue économique de 2022

La réduction des émissions de CO2 de l’industrie manufacturière européenne étant plutôt limitée, celle-ci passera à l’avenir par une réallocation de l’activité économique.

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Digest

Sur la base des données relatives aux émissions de gaz à effet de serre (GES), nous constatons que, contrairement à celles du secteur de l'électricité, les industries européennes n'ont pas encore réduit leurs émissions de manière significative ces dernières années. Toutefois, le paquet de mesures « Fit for 55 » de l'UE contient des objectifs ambitieux de diminution de ces émissions d'ici à 2030. Cet effort devra reposer non seulement sur l'innovation, mais aussi sur le rattrapage technologique et sur le transfert de l'activité économique aux entreprises les plus efficaces en matière d’émissions. Une réaffectation limitée des activités au sein d'un secteur et l’éviction des entreprises les plus émettrices peut entraîner des baisses substantielles des émissions. Une hausse du prix du carbone stimulera à la fois l'innovation et cette mutation, dans la mesure où ces prix plus élevés pourraient rendre certaines entreprises industrielles déficitaires.

Le système d’échange de quotas d’émission de carbone de l’UE (le SEQE-UE, introduit en 2005) constitue une tentative ambitieuse de concilier la croissance économique avec la réduction des émissions de GES des grandes entreprises manufacturières et de celles liées à la production d’électricité. Le SEQE-UE fonctionne comme un système de « plafonnement et d'échange » selon lequel les installations industrielles peuvent recourir à l'échange de droits d'émission de carbone pour compenser les émissions supérieures ou inférieures à un certain seuil d'allocation gratuite de droits. La troisième phase du SEQE-UE, qui s'est achevée en 2020, visait à comprimer les émissions de 21 % (par rapport à 2005) au niveau de l'ensemble du système. Les émissions réelles sont demeurées bien en deçà de l'objectif fixé (cf. volet gauche du graphique 1). Pour la phase suivante (qui courra jusqu'en 2030), le plafond d'émission sera abaissé de 43 % (toujours par rapport à 2005). Ce taux pourrait encore être resserré dans le paquet de mesures « Fit for 55 » proposé par la Commission européenne en 2021.

De l'analyse détaillée des émissions du SEQE-UE, il ressort que c'est principalement le secteur de l'électricité qui a diminué ses émissions (cf. volet droit du graphique 1). En effet, le recours à des sources d'énergie renouvelables a considérablement augmenté, tandis que l’utilisation du charbon pour la production d'électricité a progressivement été abandonnée. En revanche, les industries manufacturières n'ont pas réduit leurs émissions de manière substantielle au cours de la décennie précédant la crise du COVID-19, que ce soit à l’échelle de l'ensemble de l'UE ou à celle de la Belgique. Cela peut s'expliquer par l'incertitude quant aux technologies à appliquer et à leur potentiel réel d’abaissement des émissions. Par contre, la trajectoire de décarbonation du secteur de l'électricité est assez claire.

Ainsi, les réductions des émissions industrielles de la dernière décennie résultent de la mise en œuvre des solutions les plus faciles. Pour atteindre les ambitieux objectifs du paquet « Fit for 55 », le secteur de l'électricité ne sera donc pas le seul à devoir poursuivre sa décarbonation. Les industries manufacturières devront elles aussi entamer une décarbonation en profondeur. Pour abaisser les émissions globales, les entreprises peuvent s'efforcer de devenir plus efficaces s’agissant de leurs émissions, ou les moins performantes peuvent se rétracter et laisser le marché aux entreprises plus efficaces en la matière. Ces concepts d'innovation vs réallocation des ressources sont bien connus pour leur contribution à la croissance globale de la productivité. Cependant, le débat sur la décarbonation de l'économie se concentre sur les nouvelles technologies plutôt que sur la pleine exploitation du potentiel des technologies existantes.

Une analyse des facteurs sous-jacents à l'évolution de l'intensité des émissions des industries manufacturières est également avancée et relève que, dans le passé, la production ne s'est pas déplacée vers les entreprises les plus efficaces en termes d'émissions de GES. La contribution de l'innovation a été mitigée. Elle a été positive pour la chimie, par exemple, mais négative pour l'industrie métallurgique. La croissance des entreprises est toutefois allée de pair avec une amélioration de l'efficacité des émissions de GES.

En ce qui concerne la réallocation ou le déplacement des activités, nous constatons que l'intensité des émissions est très inégalement répartie entre les entreprises d'un même secteur des industries manufacturières. Dans la plupart des secteurs, un nombre limité d'entreprises dont l'efficacité en matière d'émissions est relativement faible sont responsables d'une grande partie des émissions (cf. graphique 2). Cela implique qu'il existe un énorme potentiel inexploité de rattrapage technologique et de réallocation des activités entre les entreprises pour réduire les émissions globales. Un retrait limité des entreprises les plus intensives en carbone peut entraîner une diminution totale des émissions de l'ordre de 40 %. Une hausse du prix du carbone alimentera ce processus de réaffectation puisque certaines entreprises pourraient alors subir un flux de trésorerie négatif. Toutefois, cette réallocation basée sur le prix du carbone ne sera pas nécessairement la solution la plus optimale pour comprimer les émissions. La raison en est que les entreprises les moins rentables ne sont pas toujours les moins efficaces en matière d’émissions de GES. Cela signifie qu'une combinaison plus large de mesures politiques sera nécessaire pour décarboner les industries manufacturières dans les temps. La généralisation de la tarification du carbone pourrait donc s'accompagner d'objectifs d'efficacité sur le plan des émissions de GES afin d'inciter les secteurs très rentables ou les entreprises peu efficaces à rendre leurs activités plus écologiques et à transférer la production vers les entreprises les moins émettrices.