Communiqué de presse - Les déterminants cycliques et structurels de l'environnement de taux d'intérêt bas

Article pour la Revue économique du mois de septembre 2017

Ces dernières années, les taux d'intérêt sont retombés à des niveaux historiquement bas partout dans le monde. Ce phénomène est en grande partie dû à une série de mesures (non) conventionnelles appliquées par les banques centrales dans le contexte de la grande récession. Cependant, lorsqu'on adopte une perspective de plus long terme, il apparaît que le bas niveau actuel des taux d’intérêt n’est probablement pas imputable uniquement à la politique monétaire des banques centrales ou à d’autres facteurs cycliques qui auraient participé à la diminution des taux depuis la crise. À titre d'illustration, les taux souverains à long terme des économies avancées ont enregistré une baisse tendancielle clairement initiée de nombreuses années avant l’éclatement de la crise, et ce en termes tant nominaux (recul depuis le début des années 1980) que réels (repli depuis le début des années 1990). De ce point de vue, la politique monétaire expansionniste menée dans bon nombre de pays depuis la crise s'inscrit dans le cadre de la tendance baissière des taux qui était déjà manifeste auparavant.

Étant donné que les taux d'intérêt ont  largement régressé à travers le monde tout au long des dernières décennies, il semble que le bas niveau actuel des taux d’intérêt s’explique par des facteurs structurels mondiaux. De manière générale, ceux-ci ont vraisemblablement soutenu l'offre d'épargne et déprimé la demande d'investissement. Ils pourraient être de natures diverses, englobant par exemple des évolutions sociodémographiques, telles que le vieillissement de la population et l'augmentation de l'inégalité, ainsi que des changements économiques, tels le ralentissement de l'innovation et la contraction de la croissance potentielle. Sous l'effet de ces facteurs structurels, le taux d'intérêt réel naturel –  reflet de l'équilibre macroéconomique assorti d'une inflation stable –  aurait chuté aux États Unis et dans la zone euro, notamment, pour retomber à des niveaux historiquement bas, comme tendent à le montrer les estimations les plus récentes. Durant la grande récession, les banques centrales ont par ailleurs tenté de contrer le recul de l'inflation et de l'activité économique en amenant les taux réels en dessous de leur niveau d'équilibre, afin de stimuler la demande.

À moyen terme, les banques centrales devraient revoir leurs taux de politique monétaire à la hausse une fois que les perspectives en matière de stabilité des prix seront devenues plus favorables, mais sans toutefois pouvoir garantir que les taux pourront remonter à des niveaux comparables à ceux atteints dans le passé. Si l’objectif des banques centrales est de ne plus encourager la demande, elles aligneront les taux réels sur le taux d'intérêt naturel de l'économie. Or, ce dernier reste influencé par les évolutions structurelles profondes liées à l'offre d'épargne et à la demande d'investissement. Si ces évolutions structurelles continuent de peser sur le taux d'équilibre, les taux d'intérêt en général stagneront à des niveaux relativement bas.

La persistance de taux d’intérêt faibles impliquerait des risques monétaires et financiers. La marge de manœuvre dont disposent les banques centrales pour relancer l'économie serait, par exemple, plus étroite si elles étaient contraintes par une « borne inférieure effective » lors d'une diminution des taux de politique monétaire. Par ailleurs, un environnement de taux hostile à la rentabilité des intermédiaires financiers pourrait donner lieu, entre autres, à une certaine chasse au rendement. Un rôle important doit donc être dévolu à la politique macroprudentielle, qui doit veiller à ce que les bilans et les modèles d'affaires des banques et des compagnies d'assurances restent équilibrés.

Au vu de ces risques potentiels, une augmentation du niveau général des taux semble souhaitable, et ce de préférence au travers d’un relèvement du taux d'intérêt réel naturel. Une telle remontée passe par des mesures économiques destinées à contrer les facteurs qui pèsent sur les taux réels. Les mesures structurelles auraient essentiellement pour but de favoriser l'innovation et de promouvoir un climat propice à l'investissement. Des mesures qui rendraient l’épargne de précaution moins nécessaire, telles que des réformes qui étaieraient la soutenabilité de la sécurité sociale, pourraient, elles aussi, faire grimper le taux d’intérêt réel naturel. Des stratégies alternatives de modification de l'objectif de stabilité des prix des banques centrales se heurtent principalement à l’inconvénient majeur qu'elles pourraient mettre à mal la crédibilité des banques centrales.