Communiqué de presse: La réorganisation de la production mondiale a-t-elle bouleversé la demande de travail?

De profondes mutations ont modifié l’organisation de la production mondiale. Les avancées technologiques, à travers la robotisation, la numérisation, l’informatisation ou les développements en matière d’information et de communication, se sont largement diffusées dans tous les secteurs de l’économie, bouleversant dans la foulée les modes de création, de production et de distribution des biens et des services. En facilitant les transferts d’information et en multipliant les possibilités de contrôle, elles ont également contribué au décloisonnement des chaînes de production. Dans cette nouvelle organisation, les unités de production n’ont plus pour vocation de fabriquer un produit fini destiné au consommateur, mais elles représentent chacune un maillon d’une chaîne de production souvent complexe et fragmentée internationalement.

Les pays émergents, essentiellement d’Asie de l’Est, ont tiré profit de ce mouvement de globalisation et sont progressivement devenus la plus grande manufacture mondiale. La croissance de leur segment industriel a surtout rétribué le capital et, dans une moindre mesure, l’emploi hautement diplômé. Contrairement aux idées reçues, l’emploi peu diplômé dans les pays émergents n’a pas tiré profit de la globalisation des chaînes de production.

En Europe, on constate également des effets sur l’activité et sur l’emploi. Les pertes de parts de marché de l’industrie se sont traduites par des pertes d’emplois industriels. Les services marchands et non marchands ont, en revanche, affiché des hausses de l’emploi. En outre, la composition de la demande de travail a fortement changé ces 15 dernières années. Des professions moyennement qualifiées, comme les dactylographes, les employés administratifs et les métiers de la métallurgie, du textile ou de l’imprimerie, ont été mises sous pression. Ces fonctions au contenu prévisible et répétitif sont menacées par le progrès technologique, ou alors elles appartiennent à des segments industriels déplacés vers les pays émergents. En revanche, la réorganisation de la production mondiale a moins pesé sur les fonctions hautement et faiblement qualifiées. Les premières citées sont souvent complémentaires des technologies de l’information et de la communication (informaticiens, ingénieurs, secrétaires spécialisés, etc.), tandis que l’exercice des secondes nécessite en général des interactions répétées entre le prestataire et le bénéficiaire, comme les services à domicile.

Entre 2000 et 2013, la part des fonctions moyennement qualifiées dans l’emploi total en Belgique a diminué de 3,3 points de pourcentage, tandis que, dans le même temps, celle des professions hautement qualifiées a augmenté de 3,9 points de pourcentage. La part des professions faiblement qualifiées est, quant à elle, demeurée pratiquement stable. Ces développements pointent dès lors une polarisation de la demande de travail. Celle-ci n’est pas un stigmate de la crise économique, car elle était à l’œuvre dès le début des années 2000. Elle s’observe également dans chaque grande branche d’activité, y compris les services marchands et le secteur non marchand. Elle n’est pas spécifique à la Belgique ; une pression plus vive encore s’exerce sur les professions moyennement qualifiées dans un grand nombre de pays européens.

L'article décrit ce double mouvement de réorganisation de la production mondiale et de polarisation de la demande de travail et en examine les liens mutuels au cours de la période récente. Son caractère original réside dans l’approche nouvelle sous l’angle des chaînes de production. Celle-ci permet de mieux mesurer la participation de chaque pays à la création des biens et des services marchands. En outre, elle livre de nouvelles mesures de la fragmentation de la production, qui s’avèrent pertinentes pour expliquer la polarisation de la demande de travail.