Communiqué de presse : Intégration et fragmentation financières dans la zone euro

Article publié dans la Revue économique de juin 2014

Au cours des dernières décennies, le monde a connu un processus prompt et intense d’intégration économique et financière. Mesurée à l’aide des encours des actifs et des passifs extérieurs, depuis 1999 l’intégration financière s’est nettement accélérée pour la zone euro: de 164 à 405 % du PIB au troisième trimestre de 2013. Cette tendance s’explique principalement par les libéralisations des mouvements de capitaux, la déréglementation et l’innovation financière. En outre, l’intégration financière au sein de la zone euro s’est encore renforcée dans la foulée du lancement du marché unique et de l’introduction de la monnaie unique. Le début de la crise financière en 2007 a toutefois brutalement interrompu la forte progression de l’intégration financière et du partage des risques. En réalité, c’est principalement dans la zone euro que l’intégration financière, mesurée à l’aide des indicateurs de facto, s’est soudainement arrêtée.

Cet article procède à une analyse fouillée de ce processus d’intégration et de fragmentation au sein de la zone euro, en s’appuyant tant sur des mesures de volume (flux de capitaux) que sur des indicateurs de prix (taux d’intérêt). Il examine la dynamique des flux de capitaux internationaux et la position financière extérieure. En ce qui concerne les taux d’intérêt, une analyse s’appuyant sur un modèle vectoriel à correction d’erreur a été réalisée pour déceler l’origine des écarts entre les taux débiteurs bancaires appliqués dans les pays de la zone euro.

Il ressort de cet article que les évolutions de l’intégration financière dans la zone euro sont en grande partie influencées par le secteur financier (les banques). Avant la crise, c’est sur le marché interbancaire ainsi que sur le marché des titres à revenu fixe que l’intégration était la plus aboutie. Parallèlement, la convergence des principaux taux d’intérêt nominaux dans la zone euro était considérable. Cette intégration s’accompagnait toutefois de profonds déséquilibres macroéconomiques qui s’étaient constitués dans un cadre institutionnel incomplet, et s’est avérée instable face à la crise financière.

La réappréciation des risques qui s’est opérée dès le début de la crise a provoqué un net coup d’arrêt du processus d’intégration, principalement sur les marchés où l’intégration avait le plus fortement progressé. Ainsi, l’intégration financière sur le marché des emprunts publics, mesurée à l’aide des positions détenues par le secteur bancaire, est revenue, à la fin de 2013, à un niveau comparable à celui qui prévalait au lancement de la troisième phase de l’UEM au début de l’année 1999. Au-delà de cette baisse du niveau de l’intégration, certains pays ont assisté en même temps à un retournement de leurs flux de capitaux: alors qu’auparavant, du capital net s’écoulait vers les pays affichant des déficits extérieurs, ces pays ont été confrontés depuis la crise à d’importantes sorties nettes de capitaux privés (« sudden stop »). Cet épisode de fragmentation financière a également menacé de compromettre l’efficacité de la politique monétaire, en témoignent d’importants écarts entre les taux de référence suivant les frontières nationales. En raison notamment d’une recrudescence de la préférence nationale, les taux d’intérêt ont largement reflété des facteurs de risque nationaux, et les perceptions des risques bancaires et souverains sont devenues interdépendantes à l’excès. En particulier, la situation macroéconomique et la fragilité du secteur financier dans certains pays ont contribué à l’écart entre les taux débiteurs bancaires.

Cet article examine également les mesures prises par les autorités de l’Union européenne pour faire face à cette situation. À court terme, l’Eurosystème et les mécanismes de soutien européens (par exemple le FESF et le MES) ont fourni des mécanismes de financement pour atténuer rapidement les tensions en matière de financement. De plus, pour contrecarrer l'affaiblissement de la transmission monétaire, l'Eurosystème a lancé les opérations monétaires sur titre. À côté de ces mesures, et pour assurer un retour de l’intégration soutenable dans le long terme, le cadre institutionnel a été adapté. En particulier, le renforcement de la gouvernance économique et la création de l’union bancaire visent à s’attaquer aux causes sous-jacentes du recul de l’intégration financière et créent un cadre institutionnel susceptible de favoriser une forme d’intégration financière plus complète et durable.

À ce stade, la plupart des pays en difficulté ont dans une large mesure corrigé les déséquilibres initiaux qui ont été à l’origine de l’assèchement des capitaux, facilitant un retour aux marchés des capitaux internationaux. Néanmoins, cet article montre qu’il subsiste des déséquilibres importants au niveau des positions financières. C’est ainsi qu’au troisième trimestre de 2013, la dette extérieure nette des pays dits sous programme a augmenté pour atteindre 113 % de leur PIB collectif, et elle continue à être financée essentiellement par l’encours de crédit « officiel ». Le retour de l’intégration financière devrait contribuer à garantir que l’endettement net extérieur de ces pays soit financé de manière soutenable. Un rétablissement de l’intégration financière s’impose par ailleurs pour induire une transmission adéquate des décisions de politique monétaire au sein de l’union monétaire./p