Communiqué de presse - Déflation, démon d'un lointain passé ou réel danger pour le présent?

Article publié dans la Revue économique de septembre 2009

Au cours de l'été 2009, de même que beaucoup d'autres pays industrialisés, la Belgique et la zone euro ont enregistré des taux d'inflation négatifs. Bien que ceux-ci aient été une conséquence directe de la forte chute des cours des matières premières observée au second semestre de 2008, la question s'est posée de savoir s'il fallait y voir l'amorce d'une spirale déflationniste. D'aucuns ont en effet fait un parallèle avec la Grande Dépression des années 1930 – qui s'est elle aussi caractérisée par l'éclatement d'une bulle sur les marchés des actions et de l'immobilier, et par des troubles du système bancaire.

Cet article explique d'abord dans quelles conditions la déflation peut avoir des répercussions désastreuses sur l'activité économique. Il évalue ensuite les risques de déflation actuels et évoque enfin les options de politique économique dans un environnement déflationniste.

Au cours des siècles passés, la déflation – définie au sens large comme une baisse du niveau général des prix – était un phénomène fréquent, qui ne s'accompagnait pas systématiquement de difficultés économiques. En revanche, définie restrictivement comme étant une baisse persistante du niveau général des prix qui découle d'un choc négatif de demande, suscitant la crainte d'une poursuite des baisses des prix, le phénomène n'a plus rien d'innocent. L'économie est alors confrontée à une série de rigidités nominales susceptibles de provoquer une véritable spirale déflationniste. La limite inférieure de zéro pour cent pour les taux d'intérêt nominaux constitue une première rigidité. Cela réduit en effet la possibilité pour la banque centrale de stimuler l'économie car elle ne pourra plus faire baisser les taux une fois cette limite atteinte. Par ailleurs, la charge réelle de l'endettement augmente lorsque les prix diminuent, ce qui entraîne une redistribution de la richesse vers les prêteurs, dont la propension à consommer est généralement moindre que celle des emprunteurs. Enfin, il apparaît difficile de faire baisser les salaires nominaux et ainsi d'ajuster les salaires réels à une situation économique détériorée. Ceci se traduit par davantage de chômage et un recul supplémentaire de l'activité économique.

À l’heure actuelle, il semble que le risque de déflation soit limité - dans la zone euro comme en Belgique. Les taux d'inflation négatifs relevés durant l’été 2009 s’expliquent uniquement par le recul des prix des produits alimentaires et énergétiques et ne traduisent donc pas des baisses de prix généralisées. En outre, les anticipations d’inflation restent bien ancrées, même si l’inflation ne devrait que graduellement remonter à des niveaux correspondant à la stabilité des prix. Cette évolution se reflète dans les projections de prévisionnistes professionnels et d’institutions internationales, dans les mesures des anticipations d'inflation extraites des marchés financiers et dans les projections macroéconomiques des services de l’Eurosystème. Dans une perspective plus large, l’indicateur développé selon la méthodologie du FMI, le deflation vulnerability indicator, qui combine une large gamme d’indicateurs macroéconomiques, fait néanmoins apparaître un risque ex ante accru de déflation dans tous les pays industrialisés. L'évaluation prompte et correcte de ce risque accru a cependant incité les autorités à mener une politique fortement expansionniste. Les mesures de soutien aux banques, les plans de redressement des différents gouvernements et les importantes baisses de taux complétées par des mesures non conventionnelles par les banques centrales du monde entier ont eu pour effet de réduire significativement le risque de déflation ex post. Une telle réaction de politique contraste fortement avec ce qui avait été mis en œuvre lors de la Grande Dépression.

En ce qui concerne les options de politique, on doit d'abord évoquer qu'une définition quantitative, dans laquelle la stabilité des prix correspond à une inflation basse mais strictement positive - l'Eurosystème s'efforce par exemple de maintenir l'inflation à un niveau inférieur, mais proche de 2 pourcents sur le moyen terme -, contribue à éviter que l'économie ne tombe dans une spirale déflationniste. En outre, si un risque de déflation vient néanmoins à se manifester, la politique monétaire dispose d’un large éventail d’instruments pour l'endiguer. Premièrement, les taux directeurs nominaux peuvent être abaissés de façon proactive - plus vigoureusement que dans des circonstances normales - jusqu’à ce qu’ils atteignent leur niveau plancher. Si des mesures supplémentaires sont nécessaires, les banques centrales peuvent recourir à une politique monétaire non conventionnelle, comme elles l’ont fait ces derniers mois. Cette politique peut prendre la forme d’un octroi abondant de liquidités, d’un assouplissement quantitatif, d’un assouplissement du crédit, d'une annonce comme quoi les taux seront maintenus bas pendant une plus longue période, d'interventions sur le marché des changes ou d'une modification de la définition de la stabilité des prix en substituant l'objectif pour le taux d'inflation annuel par un objectif en matière de niveau des prix. De plus, les politiques budgétaires peuvent contribuer à contenir les risques déflationnistes, en premier lieu en résolvant les problèmes de solvabilité des banques s’ils menacent la stabilité financière. Il convient toutefois dans le même temps de garder à l’esprit qu'une politique budgétaire expansionniste ne peut exercer une incidence positive que si la soutenabilité à long terme des finances publiques demeure intacte.

Enfin, il importe de souligner que c’est en temps réel - c'est-à-dire sur la base des informations disponibles au moment de la prise de décision - que les autorités doivent adopter des mesures appropriées pour s’attaquer aux risques déflationnistes. « Mieux vaut prévenir que guérir » est ainsi un adage plein de sagesse, mais bien difficile à mettre en œuvre. En gardant un oeil sur l'avenir, les autorités doivent ainsi peser soigneusement les risques attachés à une réduction trop rapide des impulsions macroéconomiques, et dès lors d'une résurgence des risques de déflation, au regard des risques liés à un retour trop tardif à la normale, ce qui pourrait au contraire provoquer une envolée de l'inflation ou conduire à l'apparition d'une nouvelle bulle.