Communiqué de presse - Déflation au Japon, Abenomics et leçons pour la zone euro

Sept ans après l’émergence de la crise financière mondiale, l’économie de la zone euro ne semble pas encore s’être remise : sur l’ensemble de la période récente, les taux de croissance sont demeurés fort en deçà de ceux observés avant la crise et les taux d’inflation ont été faibles, et parfois même négatifs. Cette combinaison d’une stagnation de l’activité économique et d’une faible inflation/déflation est depuis longtemps déjà le propre de l’économie nippone. Les similitudes entre la situation actuelle dans la zone euro et celle qui règne au Japon depuis deux décennies sont le point de départ du présent article, qui examine notamment les leçons à tirer de l’expérience japonaise pour la zone euro.

À la suite de l’éclatement d’une importante bulle financière et immobilière au début des années 1990, l’économie japonaise a été confrontée à une récession de bilan et à une crise bancaire. La récession de bilan s’est notamment caractérisée par la volonté du secteur des entreprises de privilégier le remboursement de ses dettes, au détriment de l’investissement. Elle a nécessité une intervention vigoureuse des autorités publiques dans le but de soutenir la demande agrégée. Bien que latente, la crise bancaire ne s’est véritablement déployée qu’en 1997, alors que sévissait la crise asiatique. Entraînant la faillite de plusieurs institutions financières d’envergure dans son sillage, elle a forcé la reconnaissance des crédits non performants qui pesaient depuis un temps déjà sur l’économie réelle et a conduit à la recapitalisation publique du secteur bancaire.

Tenant compte du fait que la déflation japonaise, bien que persistante, est restée modérée, et que l’économie ne s’est pas enfoncée dans une spirale déflationniste, il peut en réalité être argué que l’économie nippone a évolué, entre le début des années 1990 et le début des années 2000, vers un nouvel équilibre. Dans le cadre de ce dernier, le taux d’intérêt nominal serait proche de 0 et l’inflation négative, mais le taux de croissance réel correspondrait, tout comme c’était le cas auparavant, à son niveau potentiel. Cette idée est corroborée par l’analyse de la croissance réelle par tête et par personne en âge de travailler, qui démontre que, depuis les années 2000, les performances du Japon ont plutôt été bonnes comparativement à celles de la zone euro et des États-Unis. À ce titre, il y a lieu de relativiser quelque peu le qualificatif de décennie perdue généralement attribué aux années 1990 et d’y renoncer purement et simplement pour les années 2000.

Bien que l’économie japonaise semble croître à son niveau potentiel, le nouvel équilibre atteint n’est toutefois pas dénué de coûts. Un régime déflationniste tel que celui qui la caractérise réduit en effet la capacité de la banque centrale de stimuler l’activité économique en cas de choc négatif et accroît dès lors le risque de stagnation séculaire. Tenant compte de cela, le programme économique dit « Abenomics », introduit en avril 2013, vise précisément à mettre un terme à la longue période de déflation qu’a traversée le Japon et à dynamiser l’économie du pays tout en veillant à la soutenabilité à long terme de sa dette publique.

L’expérience japonaise de ces 25 dernières années permet de tirer trois enseignements majeurs. Premièrement, il y a lieu de prévenir plutôt que de guérir les crises financières. Bien que cette leçon apparaisse aujourd’hui comme évidente, la grande récession donne à penser que les dirigeants avaient, jusqu’il y a peu, insuffisamment appris des événements survenus au Japon. Deuxièmement, il est crucial de préserver un bon ancrage des anticipations d’inflation. Une fois inscrite dans l’ADN de l’économie, la déflation est en effet difficile à combattre, et remettre les anticipations d’inflation sur les rails requiert l’adoption de mesures extrêmes. Troisièmement, il importe de réagir à une récession de bilan de manière prompte et coordonnée, pour maximiser l’impact des mesures adoptées et pour faciliter les ajustements qui s’imposent. L’ensemble des domaines de la politique macroéconomique doivent par ailleurs être activés en vue de soutenir à la fois l’offre et la demande. Enfin, la réalité japonaise démontre que les coûts de la déflation dépendent des caractéristiques d’une économie, et plus spécifiquement de sa flexibilité nominale. Dans la mesure où cette dernière semble moins grande dans la zone euro et où la perte de l’instrument du taux de change requiert des ajustements des prix domestiques pour pallier la perte de compétitivité, le coût de la déflation risque bien d’y être supérieur. La nécessité de combattre tout risque de déflation dans la zone euro n’en ressort que plus grande.