Causes et implications de la faiblesse du taux sans risque

Article publié dans la Revue économique de septembre 2013

Les taux d'intérêt sans risque, à savoir les taux qui s'appliquent à des actifs comportant un risque de crédit minimal, ont atteint des niveaux historiquement bas sur la période récente dans la plupart des économies avancées. Or ces taux relèvent d'une importance toute particulière, car ils sont à la base de la détermination des autres taux d'intérêt et influencent dès lors les conditions de financement dans l'ensemble de l'économie. Le présent article s'intéresse aux causes et aux implications d'un tel environnement. La première section offre un aperçu du niveau actuel des taux d'intérêt sans risque dans une perspective historique. La deuxième section propose un cadre analytique des déterminants du taux d'intérêt, utilisé dans la troisième section pour étudier les principaux facteurs derrière l'évolution des taux sans risque aux États-Unis et dans la zone euro depuis 1990. La quatrième section discute de la manière avec laquelle une orientation accommodante de la politique monétaire contribue à la stabilité macroéconomique - et dès lors à la stabilité des prix -, mais également des risques qui y sont associés en termes de stabilité financière. Plus spécifiquement, la cinquième section illustre les défis que constitue la faiblesse des taux sur une longue période pour le secteur des assurances et les fonds de pension, et les risques liés à une hausse soudaine des taux.

Au cours des derniers mois, les taux d'intérêt nominaux ont atteint des étiages historiques, tandis que les taux réels ont affiché des niveaux plancher en temps de paix. Ces développements découlent d'une série de facteurs de différentes natures. Tout d'abord, le taux d'intérêt d'équilibre a suivi une tendance décroissante depuis le début des années 2000, et qui s'est accentuée quelque peu dans le cadre de la crise. Cette évolution traduit largement la réduction de la croissance potentielle et la révision à la baisse des anticipations de croissance à long terme. S'il s'agit là d'un phénomène largement exogène à la politique monétaire, cette dernière constitue par ailleurs un autre facteur important derrière la baisse des taux. En effet, la plus grande transparence et crédibilité des banques centrales depuis les années 1990 a permis de réduire la composante inflation des taux, tandis que le contexte de la crise a conduit à l'adoption de politiques monétaires particulièrement accommodantes. Plusieurs banques centrales ont en outre cherché à infléchir les taux au travers de mesures dites non conventionnelles, au premier rang desquelles figurent les orientations prospectives et les programmes d'achats de titres. Enfin, certains facteurs tels que l'excès d'épargne au niveau global, la hausse de l'aversion pour le risque suite aux tensions financières ou encore la régulation financière ont généré une hausse de la demande pour les actifs les plus sûrs et participé dès lors à la baisse des taux.

En maintenant les coûts de financement dans l'économie à un bas niveau, un faible taux d'intérêt aujourd'hui offre les meilleures chances d'une reprise de l'activité économique et contribue dès lors à la stabilité macroéconomique et financière. En ce sens, il s'agit de la meilleure garantie de voir les taux remonter dans le futur. Une situation de taux bas présente toutefois également des risques pour la stabilité financière. Ainsi, un tel environnement est susceptible d'affecter négativement la productivité de l'économie, de réduire les incitants à l'assainissement des bilans ou encore d'encourager la prise de risques chez les investisseurs. Certains acteurs, tels que les compagnies d'assurance et les fonds de pensions pourraient être particulièrement tentés d'accroître leur tolérance au risque de manière à bénéficier de rendements supérieurs. Ces effets secondaires qui accompagnent la faiblesse des taux d'intérêt nécessitent une étroite surveillance de la part des autorités prudentielles et, possiblement, l'adoption de mesures ciblées.

Une hausse brutale et prononcée des taux d'intérêt pourrait également négativement affecter la stabilité financière. La récente volatilité sur les marchés obligataires, associée à la perception des participants de marché selon laquelle la Réserve fédérale américaine pourrait réduire prochainement ses achats de titres à long terme témoigne à ce sujet de la nécessité absolue pour les banques centrales de communiquer rigoureusement et efficacement. Ce, en règle générale, mais tout particulièrement lorsqu'il sera question de sortir des politiques actuellement très accommodantes.