Qui paie ? Analyse du coût des crédits à la consommation en Belgique

Article publié dans la Revue économique de Décembre 2021

Certains crédits sont plus chers que d’autres :  aperçu des prêts à la consommation à taux élevés en Belgique

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Introduction

En Belgique, comme dans d’autres pays, le coût des crédits à la consommation est réglementé afin de réduire le risque d’endettement excessif des ménages. Cela se traduit notamment par l’établissement de niveaux maximaux pour les taux annuels effectifs globaux (TAEG) appliqués par les créditeurs.

Réglementation des taux appliqués aux crédits à la consommation

Le TAEG chiffre le coût de l’emprunt selon une méthode standardisée qui permet de comparer des propositions de crédit émanant de prêteurs différents. Il doit inclure tous les frais liés à la prise de crédit (taux d’intérêt et autres coûts imposés aux emprunteurs). La législation européenne dispose que le TAEG doit être mentionné lors de la conclusion d’un contrat de prêt, et ce afin d’assurer à la fois la transparence et le bon fonctionnement du marché des crédits à la consommation et la protection des consommateurs.

En Belgique, les prêteurs doivent se conformer aux maxima légaux, repris dans le tableau 1, qui varient en fonction de l’évolution d’indices de référence ainsi que du montant de l’emprunt et du type de prêt contracté.

Typologie du marché des crédits à la consommation en Belgique

En 2020, 11,1 milliards d’euros de crédits à la consommation ont été accordés en Belgique. Il s’agissait majoritairement de prêts à tempérament, pour un volume de 9,3 milliards d’euros. Ces prêts sont généralement octroyés par des banques, essentiellement dans le cadre du financement d’un bien ou d’un service particulier. Les ventes à tempérament représentent quant à elles une part très limitée des crédits à la consommation (220 millions d’euros en 2020) et sont dans la plupart des cas le fait de prêteurs spécialisés liés à des sociétés de commerce de détail.

Les ouvertures de crédit sont des réserves de liquidités mises à la disposition de particuliers, le plus souvent par les banques et presque toujours pour une durée indéterminée. Elles peuvent être associées à une carte de crédit. En 2020, elles atteignaient un total de 1,7 milliard d’euros. Ce montant n’est toutefois qu’indicatif puisqu’il s’agit de crédits « autorisés » et non des montants effectivement utilisés.

Selon les données d’une enquête semestrielle réalisée par le SPF Économie entre 2015 et 2019 auprès de plusieurs acteurs présents sur le marché des crédits à la consommation, la distribution des TAEG varie selon le type de prêt, les ouvertures de crédit présentant moins d’hétérogénéité et étant assorties de taux plus élevés et proches du maximum autorisé (graphique 1). Les taux appliqués sur les prêts et ventes à tempérament sont en général plus bas. Outre la présence ou non d’une garantie (tel le bien acquis lors d’une vente à tempérament), les risques inhérents à chaque prêt peuvent aussi expliquer en partie l’hétérogénéité. Il existe en effet une corrélation positive entre le taux moyen pratiqué par les banques et la proportion de crédits plus risqués dans leur portefeuille (graphique 2).

Des taux élevés pour quels emprunteurs ?

Selon l’enquête sur le comportement financier des ménages (HFCS), 11 % des ménages belges (graphique 3) avaient au moins un prêt à la consommation en cours en 2017, dont le solde restant dû médian s’élevait à 10 819 euros. Selon les déclarations des ménages[1], les objets de ces prêts étaient multiples. Il s’agissait notamment d’achats de véhicules, de rénovations de la résidence principale, de remboursements d’autres crédits à la consommation, ou encore de paiements de dépenses courantes.

 

[1]  Pour cette analyse, il n’est tenu compte que de l’objet prépondérant indiqué par le ménage.

Les données de l’HFCS montrent que les ménages ayant eu recours à un prêt à la consommation sont plus vulnérables : par rapport aux autres ménages, ils disposaient, en 2017, d’un revenu brut équivalent[2] plus faible et d’une richesse nette inférieure de 32 %. Exprimée en proportion de leurs actifs, leur dette était plus importante, tandis qu’un pourcentage plus réduit des ménages concernés déclarait pouvoir épargner de manière régulière (40 %, contre 57 % des ménages sans crédit à la consommation).

De même, une fraction légèrement plus élevée de ces ménages déclaraient être confrontés à des contraintes de crédit : ils n’avaient pas demandé de prêt supplémentaire car ils pensaient que celui-ci ne leur serait pas octroyé, ou ils avaient demandé au moins un prêt qui leur avait été totalement ou partiellement refusé. Ces ménages « contraints » étaient aussi plus susceptibles de devoir payer des taux plus élevés sur leurs prêts à la consommation.

Malgré la baisse des taux d’intérêt entre 2010 et 2017, les ménages ayant emprunté pour rembourser d’autres prêts ou pour couvrir des dépenses courantes ont continué de payer des intérêts très élevés (graphique 4, gauche). Ces familles étaient toujours plus vulnérables financièrement que celles ayant emprunté à d’autres fins ou que celles n’ayant aucun prêt à la consommation en cours. De même, les ménages présentant un découvert ou un solde impayé sur leur carte de crédit se trouvaient dans une situation nettement moins confortable que ceux qui avaient -une ouverture de crédit en cours mais qui n’affichaient pas de solde impayé.

De manière générale, les ménages disposant d’une richesse nette plus réduite étaient bien plus susceptibles de payer des intérêts considérablement plus élevés que les familles plus nanties (graphique 4, droite). Ils peuvent, dès lors, être davantage exposés à des variations du niveau maximal des TAEG.

 

[2] Revenu total brut du ménage par membre, selon l’échelle d’équivalence de l’OCDE (1/0,5/0,3) : « le revenu du ménage a été ajusté en fonction de sa taille afin que tous les ménages soient comparables. Les besoins d’un ménage augmentent avec chaque membre supplémentaire, mais – en raison des économies d’échelle réalisées sur la consommation – pas de manière proportionnelle ». Source : OCDE, « Comparez vos revenus – méthodologie et concepts », juin 2020.

Sensibilité de la rentabilité des prêteurs et de l’offre de crédits à un changement des taux maximaux

En Belgique, les crédits à la consommation ne représentent qu’une fraction limitée des activités de la majorité des banques. En moyenne, celles-ci appliquent des taux relativement bas, bien en deçà des maxima légaux. Par ailleurs, une large part des prêteurs non bancaires comptent parmi leurs actifs une vaste proportion de ventes à tempérament, un segment sur lequel les taux offerts sont généralement bien inférieurs aux TAEG maximaux. Une variation du plafond actuel des TAEG est donc peu susceptible d’exercer une incidence substantielle sur la rentabilité et sur le modèle d’entreprise de ces établissements.

Les crédits à la consommation représentent toutefois une portion plus significative des activités d’un petit nombre de prêteurs bancaires. Bien que certains d’entre eux allouent des crédits à des taux moyens relativement faibles, on observe néanmoins que certaines banques pratiquent des taux implicites plus élevés. Ces dernières pourraient dès lors, à l’instar de certains prêteurs non bancaires, être davantage affectées par un changement des maxima légaux. La proportion de ces prêteurs bancaires dans l’offre totale des crédits à la consommation est relativement importante (10 % de part de marché), notamment en ce qui concerne les ouvertures de crédit et l’octroi de prêts à tempérament à but non défini.

En termes de stabilité financière, l’impact d’un changement des maxima légaux devrait être marginal. Sur certains segments spécifiques, une réduction de l’offre ne peut toutefois être exclue. Cependant, un tel effet négatif pourrait être (partiellement) compensé par d’autres prêteurs.

Au-delà du TAEG : quelques considérations supplémentaires

Bien que les crédits à la consommation ne constituent qu’une faible partie de l’endettement des ménages, leur influence sur leur budget peut être plus prononcée lorsqu’ils sont octroyés sans les garanties nécessaires (BEUC, 2019). Le prix, reflété par le TAEG, ne constitue qu’une des dimensions d’un contrat de prêt à la consommation.

Les principaux problèmes rencontrés sur le marché des crédits à la consommation concernent le coût des crédits obtenus à très court terme (notamment ceux octroyés grâce à des applications mobiles, rapides mais onéreux en raison d’un risque de défaut estimé élevé), le mauvais usage des crédits à la consommation (mauvaise correspondance entre le but de l’emprunt et le type de crédit offert), la multiplication des canaux de marketing incitant au crédit, une évaluation insuffisante de la solvabilité des emprunteurs, ainsi qu’une information contractuelle et pré-contractuelle lacunaire, en particulier s’agissant des termes et conditions des crédits, des pénalités et du remboursement anticipé (EBA, 2019[3]). D’autres problèmes récurrents sont liés au manque de clarté de certaines clauses et à l’importance des crédits octroyés à taux variable (dont le coût pourrait monter en cas de hausse des taux, entraînant des conséquences négatives pour les emprunteurs comme pour les prêteurs). La mise en évidence de ces situations justifie l’importance de la réglementation, même si certains pourvoyeurs de crédits contournent encore la loi en proposant leurs produits en dehors du marché réglementé.

Par ailleurs, le surendettement va souvent de pair avec une littératie financière (numérique) inadéquate ou peu développée dans le chef des consommateurs. Certaines recherches montrent que les institutions financières offrent des produits assortis de conditions moins favorables aux personnes dont le niveau de littératie financière est moindre (Bucher-Koenen et al. ,2021 ; Ru et Schoar, 2019).

Conclusion

Le marché des crédits à la consommation en Belgique est diversifié et comporte plusieurs catégories de prêteurs et de prêts destinés à satisfaire des besoins, tout aussi multiples, des ménages. La plupart de ces prêts sont octroyés à des taux largement inférieurs aux TAEG maximaux. Deux exceptions sont toutefois à relever : du côté de l’offre, les prêts à tempérament à but non défini et les ouvertures de crédit et, du côté de la demande, les emprunteurs financièrement vulnérables, souvent amenés à payer des tarifs plus élevés.

Un changement des TAEG maximaux pourrait alléger les charges des emprunteurs, avec le risque qu’une diminution des marges sur les prêts plus risqués limite l’offre par les prêteurs traditionnels, ce qui pourrait détourner une partie du marché vers des créditeurs moins (ou pas) réglementés. Des mesures destinées aux ménages confrontés à des contraintes de crédit pourraient dès lors être envisagées. Le risque d’entrée sur le marché de prêteurs non soumis à la réglementation nationale souligne aussi la nécessité de règles uniformes dans l’ensemble de l’Union européenne.

 

[3] Cette étude n’aborde que les crédits octroyés par des établissements de crédit.