Quels risques la dette publique élevée pose-t-elle dans un contexte de faibles taux d'intérêt?

Article publié dans la Revue économique de Septembre 2019

La baisse des taux d’intérêt a créé des conditions de financement favorables pour la dette publique belge, qui reste élevée. L’allongement de la maturité de la dette a réduit les risques.

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Digest

Introduction

Depuis la crise financière et la récession économique qui s’en est suivie, la dette publique a lourdement augmenté. La Belgique n’a pas échappé à ce phénomène, et le niveau actuel de la dette publique reste supérieur à celui observé avant 2008.

Néanmoins, les charges d’intérêts payées par les administrations publiques n’ont cessé de diminuer ces dernières années. C’est là la conséquence d’une baisse marquée des taux d’intérêt. Ceux-ci sont aujourd’hui à leur plus bas niveau historique. Le coût de financement de la dette n’a jamais été aussi faible qu’à présent.

Ces éléments soulèvent évidemment beaucoup de questions. Quels sont les risques d’un endettement élevé dans cette situation et quelle politique budgétaire faut-il mener? Comment gérer la dette publique dans un contexte de faibles taux d’intérêt? L’objectif de cette étude est donc de mettre en perspective ces enjeux et d’évaluer la sensibilité de la dette de l'État fédéral en Belgique en cas de remontée plus ou moins vive des taux d’intérêt dans le futur.

1. La dette publique 

Depuis la crise financière, la dette brute consolidée de la zone euro est passée de 65 % du PIB en 2007 à 94,4 % du PIB en 2014. Ces dernières années, la hausse du PIB à progressivement réduit le taux d’endettement, qui est revenu à 85,8 % en 2018. Par rapport à la zone euro, la dette de l’ensemble des administrations publiques en Belgique reste élevée, à 102 % du PIB en 2018, tandis que le désendettement y est également relativement moins rapide.

2. Évolution des taux et des charges d'intérêts

La baisse généralisée des taux d’intérêt n’est pas un phénomène récent, et cette tendance n’est pas propre à la Belgique. Le taux moyen des obligations d’État à dix ans a enregistré un sommet historique en 1982 dans de nombreux pays. Il s’élevait alors à plus de 13 % en Belgique. Hormis leur légère augmentation à la fin des années 1980 et au début des années 2010, les taux d’intérêt ont poursuivi leur repli pour retomber, grâce à un mouvement qui s’est accéléré ces dernières années, à leur plus bas niveau historique.

 

Graphique 1 - Les taux d’intérêt sur la dette publique restent actuellement historiquement bas

(rendement des obligations d’État à dix ans)

Sources: CE, BNB

Depuis le début de cette année, le taux de référence des OLO à dix ans a entamé un nouveau recul, revenant à 0,15 % en moyenne pour le mois de juin 2019 en Belgique. Au début de juillet 2019, le taux des OLO à dix ans est passé sous la barre symbolique des 0 %, soit le niveau le plus bas jamais observé.

En 1990, les charges d’intérêts des administrations publiques en Belgique représentaient 11,5 % du PIB. Elles se sont contractées de manière continue depuis, pour s’établir à 2,3 % du PIB en 2018. Cette année-là, elles étaient d’environ 1,8 % du PIB en moyenne dans la zone euro.

Au cours des prochaines années, les charges d’intérêts devraient poursuivre leur baisse, mais les marges de réduction des charges d’intérêts liées aux taux faibles devraient se resserrer. Pour diminuer davantage les charges d’intérêts, il faudra alors impérativement passer par un allégement de l’endettement.

3. La soutenabilité de la dette publique est renforcée par des taux d'intérêt bas

Le taux d’intérêt remplit un rôle-clé dans la soutenabilité des finances publiques. Pour que la dynamique de la dette soit explosive, il faut que le taux de croissance nominal du PIB soit inférieur au taux d’intérêt implicite de la dette, mais il faut aussi que le surplus primaire du budget de l’État soit insuffisant pour compenser cet écart entre taux de croissance et taux d’intérêt. Tant que le taux de croissance du PIB nominal dépasse le taux d’intérêt implicite, il n’y a aucun risque d’effet boule de neige: avec des déficits primaires substantiels, supérieurs au niveau compatible avec une stabilisation de la dette, cette dernière peut certes augmenter de manière endogène, mais son évolution ne sera pas explosive. Dans cette situation, la dette finit par se stabiliser.

La plupart des pays de la zone euro se trouvent actuellement dans une situation où le taux d’intérêt implicite sur la dette publique est inférieur à la croissance nominale du PIB. La situation actuelle de faiblesse extrême des taux d’intérêt ne peut toutefois pas être considérée comme normale à moyen et à long termes et il serait imprudent de fonder la politique budgétaire et la gestion de la dette sur l’hypothèse d’une persistance de ces conditions de financement favorables.  

4. Gestion de la dette

4.1 Allongement de la maturité de la dette fédérale

Dans ce contexte de diminution des taux d’intérêt, un allongement de la maturité des dettes publiques s’observe dans plusieurs pays. En moyenne, entre 2007 et 2018, la maturité des dettes publiques de l’OCDE est passée de 6,3 à 7,9 ans. Ce phénomène est toutefois plus marqué dans certains pays, dont la Belgique. En 2007, la maturité résiduelle de la dette publique fédérale belge était à peine supérieure à la moyenne des pays de l’OCDE, elle atteignait en revanche 9,6 ans à la fin de l’année 2018. La maturité résiduelle a graduellement augmenté depuis 2010. Il s’agit même de l’une des progressions les plus vives au sein des pays de la zone euro.

En pratique, la maturité résiduelle de la dette s’accroît si la maturité initiale des emprunts émis pendant l’année courante est plus élevée que la maturité résiduelle de l’ensemble de l’encours. En 2018, la maturité initiale moyenne de l’ensemble des émissions était de presque 15 ans. Cela a fait rebondir la maturité résiduelle moyenne de l’ensemble de l’encours, qui est passée de 9,2 ans à la fin de 2017 à 9,6 ans à la fin de 2018. Des obligations à très long terme figuraient parmi ces émissions. En 2019, la maturité moyenne résiduelle de la dette enregistrera un sommet historique d'environ dix ans. Elle devrait rester approximativement à ce niveau dans le futur.

 

Graphique 2 - L’allongement de la maturité de la dette a été plus prononcé en Belgique qu’en moyenne dans les pays de l’OCDE

(maturité résiduelle de la dette publique1, en années)

Source: OCDE

(1) Uniquement la dette de l’administration fédérale pour la Belgique.

4.2 Avantages et inconvénients de l'allongement de la maturité

Emprunter à plus long terme permet de progressivement limiter les besoins de refinancement. Par conséquent, cela réduit les risques liés à la hausse des taux d’intérêt dans un futur plus ou moins proche, ce qui rend la dette publique plus résiliente en cas de choc sur les taux. L’allongement de la maturité de la dette exerce aussi une influence favorable (à la baisse) sur le spread, c.‑à‑d. l’écart de taux des obligations publiques belges par rapport aux emprunts publics allemands, qui constituent le point de référence pour les emprunts considérés comme à faible risque. Néanmoins, la stratégie d’allongement de la maturité a aussi un coût en termes de charges d’intérêts puisque celles-ci sont plus élevées.

Coût en termes de charges d’intérêts

Le principal inconvénient de l’allongement de la maturité de la dette réside dans un coût additionnel en charges d’intérêts. En effet, plus la maturité des emprunts est longue, plus le taux d’intérêt associé est élevé (prime de terme).

Il est possible de calculer la différence entre les taux correspond à la maturité effective des nouveaux emprunts de l'État fédéral (qui a fait progresser la maturité résiduelle de l’ensemble de l’encours) et ceux associés à la maturité des émissions qui auraient maintenu la maturité de l’ensemble de la dette fédérale à son niveau de 2009. Il ressort de ce calcul que l’augmentation de la maturité de la dette depuis 2010 représenterait en 2019 des charges d’intérêts additionnelles d’environ 0,46 % du PIB par rapport à une politique de maintien de la maturité à un niveau de six ans.

Diminution du risque de financement

Un avantage de l’allongement de la maturité est l’amoindrissement des risques liés aux besoins bruts de financement, qui peuvent être substantiels dans des pays dont l’endettement public est élevé, comme c’est le cas de la Belgique. Dans des cas extrêmes, il peut même devenir impossible de financer des déficits ou de refinancer des emprunts qui arrivent à échéance sur le marché. Il y a aussi le risque de devoir payer plus cher les emprunts en raison de besoins de financement trop importants. Par conséquent, le risque de refinancement est lié au montant annuel de la dette publique à refinancer. Plus l’échéancier de la dette est étalé, plus le risque de refinancement s’affaiblit, et vice-versa.

Les besoins bruts de financement de l’État fédéral en Belgique ont diminué depuis la crise financière: proches des 24 % du PIB entre 2009 et 2011, ils devraient se stabiliser aux alentours des 14 % du PIB au cours des prochaines années. La stratégie d'allongement de la maturité à environ dix ans mise en œuvre par l’Agence fédérale de la dette a donc permis de réduire fortement le risque de financement.

Protection contre une remontée des taux d’intérêt

Emprunter à longue échéance permet d’immuniser une plus grande partie de la dette face à une hausse des taux. En effet, si la maturité résiduelle de la dette publique n’avait pas été allongée, les besoins de refinancement seraient nettement plus élevés qu’ils ne le sont actuellement, provoquant ainsi une augmentation plus marquée des charges d’intérêts en cas de hausse des taux.

Il est possible d’estimer la différence entre le coût d’allongement de la maturité à dix ans – qui diminue progressivement – et les charges d’intérêts supplémentaires payées chaque année si la maturité de la dette avait été maintenue à six ans. En cas de remontée des taux et de leur maintien à un niveau supérieur, ces charges d’intérêts supplémentaires vont peu à peu augmenter.

Il ressort de l’exercice d’estimation que les charges d’intérêts additionnelles liées au maintien de la maturité résiduelle de la dette à six ans finiraient, à terme, à la fois sur une base annuelle mais aussi de façon cumulée, par dépasser le coût d’allongement. Plus la hausse des taux (et leur maintien à un niveau élevé) est importante, plus ce point de renversement arrivera rapidement.

En l’absence d’une remontée des taux par rapport à leur niveau actuel, l’augmentation de la maturité résiduelle de la dette peut être considérée comme une couverture indubitablement coûteuse. Cependant, pour que l’allongement apparaisse, à terme, comme une stratégie plus adéquate que le maintien de la maturité résiduelle de la dette à son niveau de 2010, il suffit d’une remontée des taux d’intérêt modérée mais persistante dans le temps.

 

Graphique 3  -  Les bénéfices de l’allongement de la maturité dépasseront les coûts en cas de hausse des taux
Sources: ICN, BNB

Baisse du spread

Le dernier avantage d’une maturité allongée est un effet potentiel positif sur l’écart de taux des obligations des administrations publiques belges par rapport aux emprunts publics allemands. En effet, cette prime de risque peut avoir été influencée à la baisse si les marchés considèrent une dette à plus long terme comme étant relativement plus sûre (moins de risques de financement et moindre sensibilité en cas de hausse des taux). Si ces éléments ont été intégrés dans les taux par les marchés financiers, l’allongement de la maturité peut donc avoir réduit le spread de la Belgique vis-à-vis de l’Allemagne.

Conclusion

La Belgique se caractérise par une dette publique toujours élevée, une situation qui est traditionnellement épinglée comme l’une de nos faiblesses. La dette de la Belgique a sensiblement augmenté au lendemain de la crise économique et financière, comme dans de nombreux autres États. À l’heure actuelle, la dette est certes à nouveau orientée à la baisse, mais le rythme qu’elle affiche est lent et selon les récentes prévisions macroéconomiques de la Banque, à politique inchangée, le taux d’endettement demeurerait supérieur à 100 % dans les prochaines années.

Les taux d’intérêt, après s’être repliés ces dernières années, sont historiquement bas. Les conditions de financement de la dette publique sont par conséquent extrêmement favorables. Cela étant, il est peu probable que les taux d’intérêt restent éternellement établis au faible niveau qu’ils présentent actuellement.

L’Agence fédérale de la dette a réagi à cette situation en allongeant sensiblement la maturité moyenne des titres de la dette émis par le pouvoir fédéral, qui se monte actuellement à dix ans environ. Si cet allongement représente incontestablement un coût à court terme, il offre une bonne protection contre un éventuel relèvement des taux d’intérêt dans les prochaines années.

La réduction de la dette publique doit demeurer l’objectif premier de la politique budgétaire en Belgique. Cette dette rend en effet le pays vulnérable à une élévation des taux d’intérêt à laquelle l’on peut s’attendre à terme. Qui plus est, les marchés financiers semblent plus attentifs que durant la période précédant la crise financière aux risques inhérents à un manque de discipline budgétaire ou à des finances publiques insoutenables, ce qui se reflète dans les taux d’intérêt. Un repli continu du taux d’endettement permettrait d’éviter qu’une pression haussière ne s’exerce sur les écarts de taux des obligations publiques belges par rapport aux titres publics allemands et à ceux d’autres pays de la zone euro considérés comme sûrs.

Aussi serait-il opportun d’utiliser les marges budgétaires dégagées grâce à la faiblesse des taux d’intérêt pour parvenir à des finances publiques saines et atteindre un solde primaire suffisamment élevé pour réduire le déficit budgétaire et la dette publique.