Le cadre budgétaire belge : quels sont les aspects positifs et ceux qui peuvent être améliorés ?

Article publié dans la Revue économique de Décembre 2020

Sur fond d’incidence de la crise du COVID-19 sur les finances publiques, il importe d’examiner quels aspects du cadre budgétaire belge fonctionnent bien et quels autres peuvent être améliorés.

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Une impulsion budgétaire vigoureuse a permis, durant la crise du COVID-19, le soutien de l’activité économique et, ensuite, le début d’une reprise de celle-ci. Le revers de la médaille est une hausse sensible des déficits budgétaires et de la dette publique. Il conviendra de les réduire par la suite. La politique budgétaire vient ainsi au premier plan en tant qu’élément essentiel de la politique macroéconomique qui doit favoriser la stabilité et la croissance. Des cadres budgétaires bien conçus peuvent apporter une contribution non négligeable dans ce cadre et contribuer à renforcer l’efficacité des pouvoirs publics.

Le présent article examine quels aspects du cadre budgétaire belge fonctionnent bien et quels aspects sont susceptibles d’amélioration, notamment sur la base des meilleures pratiques dans d’autres pays de la zone euro. Dans ce cadre ont pu être utilisées des informations issues d’une enquête organisée au début de 2020, dans le cadre du Groupe de travail sur les finances publiques (Working Group on Public Finance, WGPF) du Système Européen de Banques Centrales (SEBC), auprès des banques centrales nationales des 27 pays de l’UE sur la base de questionnaires détaillés portant sur les cadres budgétaires nationaux.

Les cadres budgétaires fournissent une contribution essentielle à une politique budgétaire efficace

La politique budgétaire des pays de l’UE est, dans une large mesure, déterminée par un cadre européen qui vise à favoriser la discipline budgétaire et à éviter des résultats budgétaires indésirables. Au fil des années s’est renforcée la conviction selon laquelle la réglementation européenne doit être soutenue par des cadres budgétaires nationaux solides et efficaces. Ces derniers peuvent en effet être considérés comme une manière de créer l’environnement nécessaire au respect des règles budgétaires européennes, d’une part, et comme un moyen de renforcer l’appropriation nationale de ces règles, d’autre part.

Un cadre budgétaire est généralement défini comme l’ensemble des procédures, des règles et des organismes qui sous-tendent la conduite de la politique budgétaire. Le présent article développe quatre aspects essentiels des cadres budgétaires nationaux, à savoir les procédures budgétaires, les règles budgétaires, les organismes budgétaires indépendants et la coopération entre les différents niveaux de pouvoir des administrations publiques. Parallèlement à l’élaboration du cadre budgétaire européen, ces cadres nationaux ont connu un développement vigoureux depuis la création de l’euro. C’est principalement après la crise économique et financière de 2008-2011 que, dans le contexte du renforcement de la gouvernance au niveau européen, une série d’initiatives importantes ont été prises pour consolider les cadres budgétaires nationaux.

Le cadre budgétaire belge affiche une série de points forts …

Des projections macroéconomiques et budgétaires prudentes et réalistes constituent un élément essentiel d’un cadre budgétaire national performant. En Belgique, les projections macroéconomiques qui sous-tendent l’établissement et le contrôle du budget sont élaborées par le Bureau fédéral du plan pour le compte de l’Institut des comptes nationaux (ICN). Une comparaison, sur la période 2000-2019, entre les projections de croissance pour l’année suivante, qui sont utilisées pour établir les programmes de stabilité, et celles de la CE fait apparaître que les projections pour la Belgique n’affichent en moyenne qu’un écart limité et pas de biais d’optimisme. De plus, ces projections pour la Belgique sont proches des réalisations.

De plus, le cadre budgétaire belge a été renforcé sur certains points au cours des dernières années. Ainsi, on peut épingler la création, en mai 2010, du Comité de monitoring fédéral ayant pour mission de rendre compte de manière précise de la situation budgétaire actuelle et future. Les rapports établis par ce Comité donnent généralement une image précise et fidèle du budget, ainsi que des efforts nécessaires afin d’atteindre les objectifs. Ce Comité joue dès lors un rôle important dans le suivi et le contrôle du budget.

La transmission de programmes électoraux par le Bureau fédéral du plan, qui a eu lieu pour la première fois dans le cadre des élections fédérales du 26 mai 2019, a également renforcé le cadre budgétaire, étant donné qu’elle a donné lieu à une transparence accrue. De cette manière, cette analyse d’impact pourrait contribuer significativement à la soutenabilité des finances publiques. Pour un fonctionnement optimal de cet instrument, il convient toutefois que le rôle du Bureau fédéral du plan soit complété par la disposition des partis politiques à se montrer les plus honnêtes possibles concernant leurs plans et les mesures y afférentes, ainsi que par une attitude critique de la presse.

… mais certains aspects susceptibles d’amélioration peuvent également être mentionnés

Tout d’abord, on peut épingler la distorsion qui entache l’estimation des recettes fiscales. Les recettes fiscales perçues par les administrations publiques fédérales sont estimées par le Service Public Fédéral Finances, qui procède non pas globalement mais estime chaque impôt séparément. Les principales catégories des recettes fiscales sont estimées à l’aide de la méthode dite désagrégée. Les autres recettes fiscales sont quant à elles estimées par les administrations fédérales concernées, qui se servent pour ce faire de méthodes ad hoc. Une analyse de la qualité de l’estimation met en évidence une surestimation fréquente des recettes fiscales. La qualité des estimations pourrait être améliorée en œuvrant à une transparence accrue de l’estimation des mesures de politique budgétaire et en faisant vérifier par un organisme indépendant l’estimation de l’incidence de ces mesures. Par ailleurs, il est nécessaire d’établir une documentation suffisante et d’étayer la méthodologie utilisée pour l’estimation des recettes indépendamment de la méthode agrégée.

Un deuxième aspect améliorable du cadre budgétaire belge concerne l’instauration d’un planning budgétaire pluriannuel à tous les niveaux de pouvoir en Belgique, auquel serait éventuellement associée une règle des dépenses. D’après l’enquête du WGPF, la Belgique est le seul État membre de la zone euro qui ne dispose pas d’un planning budgétaire pluriannuel à part entière au niveau national en dehors du programme de stabilité. L’instauration d’un tel planning est à recommander en ce sens que la plupart des mesures budgétaires ont une incidence qui s’étend au-delà de l’exercice budgétaire. Les meilleures pratiques observées aux Pays-Bas montrent en effet qu’un cadre à moyen terme, réservant un rôle important à une règle des dépenses, peut largement contribuer à une politique budgétaire performante. De fait, la mise en place d’un tel cadre permettra d’accroître la transparence des objectifs et d’améliorer la cohérence temporelle de la politique budgétaire. Par ailleurs, une règle des dépenses se justifierait d’autant plus dans le cas de la Belgique que les dépenses publiques y sont particulièrement élevées.

Une adaptation qui a déjà été instaurée et qu’il convient d’approfondir concerne l’établissement régulier de revues des dépenses . Ces revues consistent en une analyse coordonnée et détaillée des dépenses publiques dont le but est de dégager de potentiels gains d’efficacité ou de réduire des dépenses non prioritaires. Ces exercices sont de plus en plus souvent appliqués et reconnus comme un instrument susceptible d’améliorer la qualité des finances publiques et d’accroître leur capacité de renforcer la compétitivité de l’économie et de soutenir la croissance. Cet instrument est particulièrement utile dans le contexte de l’assainissement des finances publiques qui s’imposera au sortir de la crise du COVID-19.

Une autre amélioration possible porte sur le fonctionnement de la section « Besoins de financement des pouvoirs publics » du Conseil supérieur des finances (CSF). Tout d’abord, il convient d’opérer un choix entre, d’une part, conserver un secrétariat de trois à cinq personnes et, d’autre part, achever la réforme amorcée en 2018 visant à porter les effectifs du secrétariat à dix collaborateurs. Dans ce dernier cas, la section pourrait voir de nouvelles activités s’ajouter à ses attributions,. En tout état de cause, la section devra disposer d’un directeur opérationnel et développer des back-ups pour les fonctions et applications critiques. Ensuite, l’influence de la section pourra être renforcée par l’instauration d’un principe « comply or explain », au titre duquel tout écart de la trajectoire budgétaire par rapport aux recommandations devra être expliqué par le gouvernement devant le parlement. Enfin, la section pourrait bénéficier d’une meilleure exposition médiatique grâce à une politique de communication renforcée.

Une dernière piste d’amélioration concerne la coordination budgétaire. Celle-ci revêt une importance cruciale en ce qu’elle contribue à la discipline budgétaire de l’ensemble des administrations publiques. Bien qu’il existe un cadre légal détaillé en la matière, celui-ci ne fonctionne pas comme il se doit faute d’accord sur les objectifs entre les différents niveaux de pouvoir. Pour répondre à l’appel de la section « Besoins de financement des pouvoirs publics » du Conseil supérieur des finances et du Conseil Ecofin, il convient de souligner l’importance d’un accord annuel sur les objectifs contraignants pour l’ensemble des administrations publiques et pour chaque niveau de pouvoir. Cela clarifiera les responsabilités de chacun et permettra un contrôle indépendant par le CSF.

L’évaluation du cadre budgétaire belge livre donc un bilan mitigé…

À l’instar de celui des autres pays de la zone euro, le cadre budgétaire de la Belgique a été adapté et renforcé à de multiples reprises au cours de la décennie écoulée. Une comparaison avec les meilleures pratiques observées dans ces pays montre que le cadre budgétaire belge obtient de bons résultats sur plusieurs fronts, mais aussi qu’il présente une série d’aspects perfectibles. Il convient de se concentrer sur ces derniers étant donné que les améliorations supplémentaires suggérées peuvent permettre de contribuer à l’assainissement des finances publiques qui s’imposera à l’issue de la crise du COVID-19, à renforcer l’efficacité des pouvoirs publics et, partant, à garantir la soutenabilité à long terme des finances publiques belges.