La formation continue des salariés: investir dans l’avenir

Article publié dans la Revue économique de 2022

La formation continue pour relever les défis du marché du travail.

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Avec des carrières toujours moins linéaires, les transitions entre emplois et entre statuts socioéconomiques sont plus fréquentes. Ces mouvements s’opèrent dans un contexte de vieillissement de la population. Le marché du travail et les compétences qui y sont requises sont aussi mis à l’épreuve par le développement des nouvelles technologies et par la transition verte. Afin d’assurer l’employabilité de travailleurs dont les carrières sont appelées à s’allonger, une politique volontariste de formation tout au long de la vie s’impose. En Belgique, les résultats des nombreuses initiatives prises en ce sens demeurent inférieures aux attentes.

Le Conseil supérieur de l’emploi (CSE) a consacré son rapport thématique 2021 à la formation continue des travailleurs salariés. Il propose des pistes de recommandations pour répondre aux difficultés soulevées et pour améliorer les résultats de la formation continue. Cet article en reprend les principaux éléments.

Une participation à la formation insuffisante, en particulier pour certains groupes

Avec un peu plus d’un travailleur sur deux (54 % selon l’Adult Education Survey (AES)) déclarant avoir participé à une formation continue au cours des derniers mois, la Belgique se situe dans la moyenne européenne (52 %). Mais la marge de progression par rapport aux meilleurs est grande ; aux Pays‑Bas, 74 % des salariés indiquent avoir suivi une formation.

Certains groupes présentent des taux de participation nettement en deçà de la moyenne. Le graphique 1 illustre les écarts de participation de la population âgée de 55 ans et plus et des personnes faiblement diplômées par rapport aux groupes les plus performants. Ces écarts sont particulièrement prononcés en Belgique.

L’évolution rapide des compétences requises sur le marché du travail exige une mise à niveau tout au long de la vie professionnelle. L’allongement des carrières est un argument supplémentaire en faveur d’investissements en formation pour les personnes en fin de carrière afin de lutter contre l’obsolescence de leurs compétences, notamment numériques.

Les personnes les mieux formées initialement et celles qui occupent les fonctions les plus qualifiées sont celles qui participent le plus à la formation. Elles sont généralement mieux informées sur les opportunités de formation et les supports y afférents, mais sont également plus conscientes des effets de retour positifs qui en ressortent. De plus, pour répondre à leurs besoins immédiats, les employeurs tendent à concentrer leurs investissements en formation sur les travailleurs occupés à des tâches complexes plutôt que sur ceux qui exercent des fonctions élémentaires.

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En Belgique, selon le Cedefop, 40 % des travailleurs auraient besoin de nouvelles compétences pour assurer leur maintien en emploi ou une reconversion professionnelle. Il s’agit majoritairement de personnes faiblement diplômées, mais pas seulement. Les personnes moyennement ou hautement diplômées qui ne possèdent que de faibles compétences, notamment numériques, ou qui sont occupées dans des fonctions élémentaires sont également concernées. Paradoxalement, l’AES indique que 40 % des adultes ne souhaitent pas suivre de formation complémentaire. Certains estiment ne pas en avoir besoin. Cette attitude se rencontre plus souvent chez les travailleurs de 55 ans et plus. D’autres manquent d’intérêt pour les apprentissages. En particulier, certains travailleurs faiblement diplômés semblent avoir développé une appréhension face aux apprentissages au cours de l’enseignement initial. Enfin, des barrières pratiques peuvent freiner la participation : coût, distance, manque de temps, etc.

Des efforts de formation variables selon les caractéristiques de l’entreprise

La majorité des entreprises belges, soit 84 %, organisent des formations pour leurs salariés. C’est davantage que la moyenne de l’UE. Ce taux est proche des résultats obtenus en Suède (93 %), mais encore loin de ceux de la Lettonie, où toutes les entreprises sont formatrices.

La taille de la firme est un déterminant important de l’intensité de la politique de formation. Plus les entreprises sont de grande taille, plus elles forment. Cela s’explique notamment par des raisons d’organisation du travail et/ou de charge financière. Au sein même d’une classe de taille donnée, la stratégie de formation peut différer fortement selon la branche d’activité dans laquelle l’entreprise opère. De manière générale, indépendamment de la taille, certaines branches sont en retrait. C’est notamment le cas de l’horeca et du commerce de détail, tandis que d’autres sont à la pointe, comme les services financiers.

Les entreprises plus productives ont une intensité de formation élevée, un constat qui se vérifie tant pour les formations très structurées que pour les formations informelles. Même dans les études économétriques qui contrôlent pour la possible endogénéité des investissements en formation, la formation continue exerce des effets positifs tant sur la productivité que sur les salaires, mais l’incidence sur la productivité prévaut.

Des besoins de compétences en constante évolution

L’OCDE a élaboré un indicateur composite mesurant l’adéquation des formations continues aux besoins du marché du travail, autrement dit leur capacité de résorber les déséquilibres entre l’offre et la demande de compétences. La Belgique se situe dans la moitié inférieure du classement. Plusieurs raisons expliquent ce résultat en demi-teintes. Tout d’abord, et assez paradoxalement, si les entreprises belges réalisent souvent une estimation de leurs besoins futurs en compétences, peu proposent à leurs travailleurs des formations en lien avec ceux-ci. Ensuite, la Belgique est caractérisée par des écarts très importants en termes de participation à la formation entre les personnes qui présentent le plus grand risque de perdre leur emploi et les autres. L’OCDE estime également qu’il n’y a pas assez de travailleurs formés aux fonctions critiques.

Un cadre institutionnel complexe et de nombreux leviers

La structure fédérale du pays et le partage des compétences qui y est associé complexifient le potentiel d’activation des nombreux leviers existant en matière de formation continue.

Le cadre législatif de la formation continue en entreprise a évolué, passant d’un objectif financier de 1,9 % de la masse salariale à un objectif de cinq jours de formation en moyenne par équivalent temps plein en 2024 (loi sur le travail faisable et maniable de 2017). Celui-ci fait d’ores et déjà l’objet d’une proposition de modification en vue aussi d’instituer un droit individuel à la formation.

La formation des travailleurs est plus que jamais un axe essentiel de la politique de l’emploi qui se traduit par la réalisation de projets complémentaires tels que le compte individuel de formation (CIF), en concertation entre le gouvernement fédéral et les entités fédérées.

De nombreuses initiatives ayant trait à la formation continue – telles que les dispositifs en matière de formation et de carrière en Flandre, le renforcement des infrastructures de formation de pointe en Wallonie ou la stratégie de relance du marché de l’emploi à Bruxelles – figurent aussi dans le plan belge pour la reprise et la résilience (2021), approuvé par la Commission européenne (CE) et pour lequel des financements seront délivrés par l’UE.

Les dispositifs de soutien à la formation continue sont diversifiés. Mais, qu’il s’agisse des chèques‑formation ou du congé-éducation rémunéré, qu’ils visent tantôt le travailleur tantôt l’employeur, ces aides sont plutôt de courte durée. Elles ne garantissent donc pas la sécurisation des parcours professionnels. Le nombre d’heures ou de bénéficiaires peut être plafonné, limitant ainsi leur usage dans le cadre de projets de reconversion professionnelle. Pour contrer certaines de ces limites, plusieurs pays, dont la Belgique, posent les premiers jalons en vue de la mise en place d’un compte individuel de formation qui devrait se composer d’un bilan de compétences, de droits à la formation et d’un crédit de formation, tous facilement consultables. En Belgique, les autorités fédérales, les régions et les partenaires sociaux, ainsi que les opérateurs de formation sont appelés à y collaborer. La première phase est d’ores et déjà entamée, le but étant que le dispositif soit opérationnel en 2023 ou 2024. Le compte d’apprentissage et de carrière individuel annoncé dès 2019 dans l’accord de gouvernement flamand s’inscrit dans cette logique et a été rappelé dans la contribution de la Flandre au plan belge pour la reprise et la résilience.

Les partenaires sociaux sont des acteurs centraux de la conception et de la mise en œuvre des programmes de formation des travailleurs. La plupart des secteurs se sont dotés d’organisations qui structurent et soutiennent les activités de formation pour toutes les entreprises de la branche, notamment en gérant les fonds collectés dans le cadre des accords interprofessionnels pour la formation des groupes à risque et des travailleurs. Au fil du temps, les missions de ces fonds sectoriels se sont élargies. En plus des activités de formation, ils développent des programmes de sensibilisation, d’aide et de conseil aux entreprises. Ils collaborent avec les services publics de l’emploi en vue, notamment, d’assurer une meilleure adéquation des formations aux besoins d'emplois identifiés.

La formation des salariés passe aussi par des opérateurs privés ou publics. Dans ce dernier cas, l’ADG, Bruxelles Formation, le FOREM, le VDAB et leurs partenaires jouent un rôle de premier plan. Ces organismes proposent des centaines de formations techniques et génériques, dont certaines, encore rares, peuvent donner lieu à des certifications officielles. Les autres prestataires de formation sont nombreux et différenciés. Ils appartiennent tant au secteur privé, qu’au non-marchand, et comptent aussi parmi eux les établissements d’enseignement ordinaires.

L’enseignement de promotion sociale en Communauté française permet de cumuler études et emploi. En Communauté flamande, l’enseignement de la seconde chance offre aux adultes la possibilité d'obtenir un diplôme d'enseignement secondaire et de poursuivre des études (par l’intermédiaire des centres pour l’éducation des adultes/Centra voor Volwassenenonderwijs). Cette possibilité existe aussi en Communauté germanophone. Dans ces cas, la structure modulaire et la possibilité de suivre des cours du soir donnent aux apprenants la liberté de définir leur parcours d'apprentissage personnel.

Pour un certain nombre de compétences qui ne sont pas acquises dans l’enseignement formel ou qui ne sont pas sanctionnées par un diplôme ou un certificat, il existe aussi des possibilités – limitées – de validation. La mission du Consortium de validation des compétences en Wallonie et à Bruxelles est d’organiser les démarches visant à vérifier la maîtrise des connaissances, des compétences et des aptitudes professionnelles pour obtenir un titre de compétence. Celui-ci contribue à renforcer l’employabilité et la mobilité professionnelle des travailleurs concernés. En Flandre, il est aussi possible de faire reconnaître des compétences non certifiées en suivant un trajet « Erkennen van Verworven Competenties » (reconnaissance des compétences acquises).

Recommandations du Conseil supérieur de l’emploi

Conformément à sa mission, le Conseil supérieur de l’emploi a formulé une série de recommandations concrètes sur la base de ses analyses. Elles s’adressent tant aux autorités publiques fédérales, régionales et communautaires, qu’aux partenaires sociaux et aux prestataires de formations, sans oublier les acteurs directs que sont les travailleurs et les entreprises. Ces préconisations se déclinent en quatre axes structurants.

  1. Améliorer la coordination et rationaliser le système de formation continue

Derrière la complexité du paysage institutionnel belge et la multiplicité des types de formation se trouve un important potentiel de rationalisation. La multitude des dispositifs de soutien brouille la lisibilité de la politique de formation, tant pour les entreprises que pour les salariés. L’idée d’une plateforme unique rassemblant l'ensemble des informations ayant trait à la formation continue (offre, instruments, ressources, etc.) renforcerait l’accessibilité à ces dispositifs et leur utilisation. L’une des clés de la réussite est le déploiement de synergies entre tous les partenaires.

L’instauration du compte individuel de formation offre l’opportunité de concrétiser cette approche. Il s’agit d’un instrument et non d’une politique de formation, mais il permet grâce au cumul et à la transférabilité des droits de s’engager dans des formations approfondies indispensables pour une réelle remise à niveau ou pour une reconversion. Entreprises, particuliers et pouvoirs publics pourront contribuer à alimenter ce compte.

  1. Mieux aligner l’offre de formations sur les besoins du marché du travail

Développer une vision prospective des besoins en compétences est indispensable. Régulièrement actualisée, elle permettra d’ajuster l’offre de formations, leur contenu et les méthodes d’apprentissage. Des informations en ce sens existent déjà. Sur le plan international, le Cedefop joue un rôle de premier plan à cet égard. Au niveau belge, les services publics de l’emploi et les fonds sectoriels réalisent aussi des études de ce type. Mais ces initiatives se présentent en ordre dispersé. Le CSE recommande la constitution d’un « Skills Council » qui intégrerait ces travaux et définirait les lignes maîtresses de la stratégie globale de formation.

Au sein des firmes, des « ambassadeurs de la formation » auraient pour mission d'informer leurs collègues sur les possibilités de formation qui s'offrent à eux. Quant aux employeurs, ils devraient veiller à ce que l’organisation du travail dans leur entreprise permette une utilisation concrète et rapide des compétences nouvellement acquises, avec un retour positif pour les travailleurs en matière de salaire ou d’avancement. Le CSE souhaite promouvoir la création d’un label d’entreprise formatrice en tant que composante de la « Corporate Social Responsability ». Il traduirait le souci de l’employeur de s’engager à long terme pour garantir l’employabilité de son personnel.

Le Conseil a constaté que le système d’enseignement supérieur est peu orienté vers la formation continue des adultes. L’offre reste limitée à certains domaines d’études. Elle pourrait être élargie pour répondre à des pénuries et aux défis futurs du marché du travail et organisée de manière à en faciliter l’accès pour les personnes ayant déjà une activité professionnelle. L’e-learning ou la modularisation des cursus sont des pistes à privilégier, de même que des formules d’apprentissage en alternance.

  1. Encourager la participation, en particulier celle des groupes sous-représentés

Faciliter l’accès et renforcer la participation des groupes actuellement sous-représentés, comme les personnes peu diplômées ou celles en fin de carrière, est parfaitement justifié. Cela passe par l’élaboration de méthodes d’apprentissage adaptées et par la mise au point de services de guidance professionnelle. Des incitants financiers pour les entreprises qui réalisent des efforts particuliers en faveur de ces groupes pourraient également être instaurés.

La validation des compétences acquises en dehors du système d’éducation traditionnel doit être davantage développée pour valoriser l’apprentissage sur le terrain. Elle bénéficiera tant aux travailleurs qu’aux entreprises dans leur recherche de talents.

Les difficultés rencontrées par les plus petites firmes pour organiser des formations doivent être prises en compte en modulant les soutiens accordés en fonction de leur taille. Des courtiers en formation pourraient réaliser des bilans de besoins de mise à niveau et proposer les formations/formateurs adaptés. Une partie des coûts de la gestion des ressources humaines serait ainsi externalisée en s’appuyant sur des structures extérieures organisées et financées au niveau sectoriel.

  1. Renforcer l’outil statistique pour évaluer la politique de formation

Le pilotage des politiques suppose que l’on dispose de données statistiques de qualité. À l’heure actuelle, les sources sont disparates et incomplètes. Les données d’enquêtes européennes et celles des bilans sociaux en sont des exemples. Dans ce dernier cas, un reporting standardisé, avec pré‑remplissage des informations déjà disponibles auprès des administrations, permettrait de réduire la charge administrative des entreprises. Les données d’acteurs aussi essentiels que les fonds sectoriels font défaut.

Au terme de ce rapport comme de la plupart de ses travaux, le CSE revient sur l’impérieuse nécessité de développer une culture de l’évaluation. Il convient de s’assurer que l’affectation des moyens publics permet d’atteindre les objectifs fixés. Cela vaut certainement pour le CIF, qui devra être évalué et, le cas échéant, ajusté. Les dispositifs existants, qui apparaîtraient redondants grâce à la réforme, pourraient être abrogés.

En guise de conclusion, le CSE insiste pour que soit développée une stratégie de formation tout au long de la vie qui se voudrait visionnaire et inclusive. Ce projet est d’autant plus important que l’intégration des nouvelles technologies et la mondialisation sont loin d’avoir produit tous leurs effets sur la transformation des activités et de l’emploi tels que nous les connaissons aujourd’hui, à l’aube du verdissement de l’économie.